Ce samedi 8 janvier, la Mutinerie, lieu queerféministe au centre de Paris, a reçu des activistes afghans prodémocratie réfugiés en France suite à la reprise du pouvoir par les talibans, il y a quatre mois. Invités par les collectifs Lignes de Crêtes et Urgence afghanes, les jeunes résistants ont pris la parole, bien loin des clichés paternalistes et misérabilistes communs en Occident, signalant que l’avenir du monde passe par l’Afghanistan.

Ils/Elles sont démocrates, progressistes, de toutes les religions ou athées, activistes, journalistes, artistes, féministes connecté.e.s avec les mouvements noirs américains, arabes ou iraniens avec qui ils partagent des problématiques communes. Dans le chaos des évacuations, de l’horreur de la guerre et des exactions talibanes, cette génération incarne un espoir inattendu sur la scène internationale: un mouvement pacifique non armé, rassemblé autour d’une cause fédératrice – la lutte pour un Afghanistan moderne, égalitaire, libre et démocratique.

Août 2021, Kaboul tombe aux mains des talibans. Très vite, le Mouvement de la résistance internationale pour l’Afghanistan s’organise, réunissant des activistes afghans, français et d’un peu partout, autour du fondateur Reza Jafari. Car cette jeunesse afghane a fait l’expérience de la démocratie durant ces vingt dernières années, après l’intervention d’une coalition internationale menée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre, qui a mis fin au régime des taliban. Pour elle, pas question de se soumettre au groupe terroriste qui a repris les rênes du gouvernement.

Contre la pensée totalitaire

Il y aussi ceux qui sont restés là-bas. Dans 22 provinces, des jeunes déjà actifs sous l’ancien gouvernement ont rejoint ce mouvement. Car tout cela ne date pas d’hier. Comme le souligne Shabnam, journaliste et activiste réfugiée à Paris: "Les inégalités sont présentes depuis au moins quatre décennies en Afghanistan. On se bat contre les inégalités – qui touchent en premier lieu les femmes – et aussi tous les groupes qui répriment les gens. Il faut combattre les idées apparentées aux talibans présentes depuis longtemps dans la société, même au sein notre cercle familial."

 

Des Afghanes participent à un rassemblement à Kaboul contre les allégations de violations des droits humains des femmes par le régime taliban en Afghanistan, le 4 août 2021 (SAJJAD HUSSAIN/AFP)

Pour elle, les femmes ont toujours été réprimées en Afghanistan, même à l’époque de l’Union soviétique. Pourtant, au cours des vingt dernières années, après la chute du premier régime des Taliban, les filles ont pu aller à l’école, malgré de fortes inégalités entre les régions, notamment les grandes villes et les campagnes. Shabnam souligne: "Il y a eu un exode rural important ces dernières décennies, et certains ont tenté d’exploiter les inégalités pour diviser les gens. Notre problème, ce n’était pas la guerre, la religion ou la confession, mais plutôt les différences culturelles et ethniques. Nos dirigeants ont tiré profit de cela pour nous diviser."

Ancienne  responsable des ressources humaines auprès d’ONGs internationales, Sayida raconte: "Lorsque les talibans ont été chassés par la coalition internationale, nous avons eu un gouvernement pendant une vingtaine d’années. Cela a engendré des avancées sur les plans social, politique et économique. Nous avions plein d’espoirs. On se disait qu’on avançait, on allait à l’école, on travaillait. Même si dans certaines régions et villages ce n’était pas comme dans les villes, au moins on tentait de reconstruire le pays. On se rebellait contre notre famille, la société, les différents groupes pour progresser, partir étudier seules à l’étranger… Mais lorsque les talibans ont pris le pouvoir pour la deuxième fois, ça a été comme un tremblement de terre: on a tout perdu. Je fais partie des chanceux.ses qui ont pu fuir. J’ai survécu, mais mentalement je suis dévastée. J’ai abandonné toute ma famille que je soutenais grâce à mon salaire d’employée dans une ONG étrangère. L’ensemble des organisations de femmes ont dû mettre fin à leurs activités. Les autres ONGs continuent de fonctionner, mais ont dû changer la nature de leur travail. Les talibans ont fixé des règles, surtout pour les employées femmes, qui se sont vu imposer des restrictions."

Des talibans, dans la ville de Jalalabad, au nord-est de l’Afghanistan, le 15 août 2021 (AFP)

La sécurité mondiale sous la menace

Le mari de Sayida, Aziz Neekyar, journaliste et activiste, affirme de son côté: "La situation est bien pire que ce qu’on peut lire dans la presse. C’est juste une petite partie de la réalité. Personne ne peut vivre comme un être humain libre en Afghanistan. La majorité des gens dans les grandes villes et les petits villages sont opposés aux taliban. Mais ils ne peuvent rien faire car s’ils protestent, ils se font arrêter et tuer."

Pour lui, les Afghans ont été abandonnés par le monde entier après les négociations de Doha, au Qatar. "On savait qu’elles n’aboutiraient pas à quelque chose de positif. Et aujourd’hui, voilà le résultat: la chute de l’Afghanistan aux mains des talibans avec le soutien du Pakistan, de la Chine et des politiciens afghans corrompus. La coalition internationale a décidé de quitter l’Afghanistan dans un court laps de temps. Tout en soutenant ouvertement la démocratie, des contrats ont été signés dans les coulisses avec les talibans."

Cela mène Aziz Neekyar et ses camarades à conclure que l’intervention étrangère de 2001 ne s’est pas faite pas dans l’intérêt de la population afghane. "Si c’était le cas, le peuple afghan n’aurait pas été jeté de cette façon dans les mains des terroristes, fustige Shabnam. Ils n’ont pas changé, ils sont même pires qu’avant. Ils tuent, arrêtent et discriminent des femmes enceintes, des militants de droits de l’homme, des anciens fonctionnaires ou policiers en pleine rue, puis mettent la responsabilité sur le dos des autres. La communauté internationale ne doit pas les reconnaître, car il s’agit tout simplement d’un groupe terroriste."

Pour Shabnam et Aziz Neekyar, en se retirant de l’Afghanistan et en reconnaissant les talibans, la communauté internationale a commis une grande erreur, car elle a créé un chaos total dans le pays. "Si vous pensez que c’est un petit groupe terroriste dans un pays lointain, vous vous trompez. Même pour votre propre sécurité, il faut faire quelque chose. Reconnaître les talibans en se disant que dans cinq ou dix ans, la situation sera meilleure, c’est se leurrer. Si les taliabans sont reconnus comme un gouvernement légitime, il y aura une radicalisation totale de la prochaine génération. Les terroristes sont en train de se propager partout dans le monde, y compris dans les pays occidentaux. Ils représentent un danger pour nous, pour vous et les autres. Lorsqu’on pense à l’Afghanistan, il faut penser à tout le monde. Il va y avoir un problème partout", soutiennent-ils.

Une lutte pour la liberté qui va de pair avec la survie

"Le gouvernement français nous a aidés en tant qu’activistes, mais nous avons surtout trouvé un soutien  auprès des militants . La plupart des réfugiés ont de gros problèmes en France, à cause de la situation politique et des discours xénophobes d’extrême droite. Certains pensent que les réfugiés vont poser des problèmes dans la société. Si ça continue comme ça, nos problèmes vont devenir irrémédiables, remarque Aziz Neekyar. Des membres de minorités sexuelles et ethniques, des journalistes, des chanteurs, des défenseurs des droits de l’homme et des femmes sont actuellement menacés en Afghanistan et ont besoin d’aide pour sortir. Il y a une diminution des aides de la part des ONGs, ce qui n’est pas bon pour l’humanité, car les talibans peuvent profiter de cela. Il faut donc aider les exilés contre les talibans, dans l’intérêt de l’Afghanistan et du monde entier."

Une famille de migrants afghans sur l’île de Lesbos, en Grèce, le 16 février 2020 (AFP)

Cofondatrice du collectif Lignes de Crêtes, Nadia Meziane, antifasciste franco-algérienne connue sur la scène militante, brosse un tableau édifiant. "Beaucoup d’Afghan.e.s arrivé.e.s au mois d’août n’ont toujours pas obtenu l’asile, ce qui signifie qu’il faut lever des fonds pour financer leur vie quotidienne. C’est une communauté de militant.e.s politiques en exil et les préfectures leur demandent de se disperser dans toute la France. On envoie des jeunes Afghanes de 22 ans dans des villages du Jura, où elles ne connaissent personne. Nous essayons de créer un réseau au sein de la communauté afghane en exil tout en tissant des liens avec des Français afin que la résistance puisse continuer."

"Nous allons lancer une collecte pour financer l’activité des militants. D’autre part, nous avons besoin de gens pour  sortir des personnes de là-bas en aidant à remplir des demandes de visas, ou en alertant les élus sur leur situation. Beaucoup de pays sont prêts à accueillir des Afghans en transit, notamment le Qatar ou l’Iran, mais dans de nombreux cas, les personnes restent bloquées car la France ne délivre pas de visas. Nous allons organiser un rassemblement pour que ce gouvernement délivre des visas en masse et arrête d’obéir à Marine Le Pen et Éric Zemmour. Il y a aussi des besoins en accompagnement administratif, en cours de français, en échanges et discussions", poursuit Nadia, avant de conclure: "Le collectif Urgence Afghanes a offert un accueil inconditionnel aux Afghan.e.s qui voulaient quitter le pays. La France est un des pays d’Europe qui a délivré le moins de visas et arrêté les évacuations le plus tôt possible, en prenant pour prétexte la situation sécuritaire là-bas. Ils disent que les Afghans, c’est différent des autres réfugiés et que bien sûr, ils vont les accueillir, pourtant les demandes restent sans réponse au ministère des Affaires étrangères."

L’association Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs collecte par ailleurs des fonds pour l’éducation des enfants et la promotion de la culture afghane a l’étranger.