Les pays des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont récemment orchestré une proposition qui ne manquera pas de laisser son empreinte sur l’échiquier géopolitique mondial.

Lors du 15e sommet des Brics, qui s’est tenu à Johannesburg, en Afrique du Sud, du 22 au 24 août, les cinq pays ont émis une invitation à six nations, à savoir l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, l’Argentine et l’Iran, les conviant à rejoindre leurs rangs. Une initiative qui soulève des questions cruciales et qui, indubitablement, marque un tournant dans l’évolution des dynamiques internationales.

Les dirigeants des pays membres des Brics lors du sommet de Johannesburg le 23 août dernier. Seule la Russie a envoyé son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov , le président Poutine faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international du CPI pour crimes de guerre. (AFP)

L’option de l’élargissement semble être à ce jour-là la plus rationnelle. Les Brics ne peuvent pas prétendre au statut d’organisation internationale à part entière, n’étant doté d’aucune infrastructure permanente et ayant institué jusqu’à présent un unique établissement commun, à savoir une banque de développement dont le siège se trouve à Shanghai.

La diversité de ses membres, ayant des systèmes politiques divergents et l’absence de tout marché unique ou de normes communes, complique davantage toute perspective d’approfondissement.

L’expansion se présente donc comme l’opportunité de choix pour le BRICS d’imprimer sa marque sur l’échiquier mondial.

L’idée de privilégier, au sein de cette démarche d’expansion, des pays du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran, se révèle dès lors stratégique. Cette région étant traditionnellement l’objet de convoitises des États-Unis, qui se sont souvent positionnés en médiateurs.

En outre, l’inclusion de l’Iran revêt une signification morale pour le régime des mollahs, qui se trouve actuellement confronté à des défis internes majeurs. Cependant, cet événement s’inscrit surtout dans le cadre du pacte de coopération stratégique établi entre l’Iran et la Chine, le 27 mars 2021, s’étendant sur une période de 25 ans.

Par ailleurs, la Chine accroît son influence au Moyen-Orient en intégrant simultanément l’Iran et l’Arabie saoudite. Pékin a été, rappelons-le, l’artisan de la normalisation des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

L’élargissement des Brics vise également à intégrer les deux pôles majeurs de l’islam mondial, l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite. Enfin, avec l’adhésion de l’Iran, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, des pays représentant au total 25% de la production pétrolière mondiale, cette initiative revêt une portée géostratégique importante.

Il convient de noter que l’Arabie saoudite, traditionnellement considérée comme un allié de premier plan des États-Unis, semble depuis 2019 manifester une tendance au rééquilibrage diplomatique.

Les rapports entre Riyad et Washington se sont détériorées depuis la réaction américaine, perçue comme tiède par les Saoudiens, aux attaques des installations d’Aramco en 2019 par les Houthis. Sans oublier les relations glaciales entre le président Biden et le prince héritier Mohammad ben Salmane.

Une dynamique similaire s’observe aussi aux Émirats arabes unis, qui ont récemment engagé des manœuvres militaires conjointes avec la Chine, marquant ainsi un désir d’émancipation diplomatique vis-à-vis de leur allié américain.

Ces évolutions pourraient être interprétées comme un appel pressant adressé aux États-Unis, l’exhortant à reconsidérer sa politique au Moyen-Orient, à la lumière des mutations géopolitiques en cours.

Toutefois, il est à noter que Riyad n’a toujours pas accepté l’offre des Brics. Il est probable qu’elle évaluera d’abord la réaction de Washington et examinera toute offre que la Maison-Blanche pourra proposer à Riyad.

Néanmoins, l’Arabie saoudite, déjà leader régional, nourrit également une ambition de devenir une puissance internationale, pour laquelle des liens plus étroits avec la Chine et d’autres pays émergents sera indispensable.

Il convient de souligner que depuis leur création, les Brics ont constamment poursuivi deux objectifs. En premier lieu, leur démarche s’est ancrée dans un cadre de coopération économique, visant à mettre fin à la prédominance du dollar. Ces dernières années, la dédollarisation a occupé le cœur de leur projet, une entreprise qui se doit d’être envisagée à long terme.

En second lieu, leur union comporte une dimension géopolitique: la Chine et la Russie étant les plus sérieux adversaires de l’Otan et aux États-Unis.

Deux réalités s’imposent: l’élargissement des Brics sur une base de coopération économique multilatérale constitue une nouvelle donne internationale que l’Occident devra prendre au sérieux. De plus, il s’agit d’un important gain politico-économique pour la Chine, porteur du projet d’élargissement.

Pour autant, il faut éviter d’amplifier la portée de cet élargissement et dissocier les mythes et les réalités: même si le projet constitue une victoire pour Xi Jinping, qui en était le partisan le plus ardent, il ne faut pas oublier que le président chinois se heurtera à l’opposition de l’Inde.  Le pays le plus peuplé du monde fait désormais partie d’une alliance militaire, le Quad (États-Unis, Inde, Japon et Australie), dont la mission est, ni plus ni moins, de contenir l’extension de la Chine en Asie du Sud-Est. Même constat pour le Brésil, qui ne cultive pas face aux Américains la même animosité affichée par Pékin et Moscou.

De même, si l’idée chinoise, soutenue par Vladimir Poutine, était de créer un groupe de pays capables de contrebalancer le G7, il serait difficile pour Xi Jinping de trouver la même cohérence entre des régimes politiques aussi divergents que ceux de l’Iran, de l’Afrique du Sud, du Brésil ou de la Chine.

Enfin, la dédollarisation demeure un objectif hors de portée dans le proche avenir, les divergences des Brics et, surtout, leur poids économique, ne leur permettront pas de créer une monnaie commune crédible. Tout au plus, quelques pays du groupe ont commencé à régler leurs transactions en monnaies nationales à la place du billet vert.