Israël et la bande de Gaza sont en guerre après le déclenchement samedi matin d’une offensive militaire surprise et spectaculaire du Hamas, qui a tiré des milliers de roquettes, infiltré des combattants en territoire israélien et capturé des Israéliens. Israël a déjà mené quatre guerres contre les militants palestiniens à Gaza depuis que ses forces et ses colons se sont retirés de la bande côtière en 2005: en 2008, 2012, 2014 et 2021.

Pourquoi maintenant?

La date choisie par le Hamas pour lancer son offensive n’est pas tirée au hasard: le 6 octobre est une date qui a marqué longtemps beaucoup d’Arabes.

L’offensive du Hamas survient au dernier jour des fêtes juives de Soukot en Israël, alors que le pays vit au ralenti et que de nombreux pèlerins et touristes ont afflué en cette période de vacances scolaires.

Elle a lieu aussi cinquante ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973 qui avait pris Israël totalement par surprise en plein Kippour (le jour du Grand Pardon juif), entraînant la mort de 2.600 Israéliens et faisant au moins 9.500 morts et disparus côté arabe en trois semaines de combat.

C’est l’un des rares moments où leurs armées, principalement celle de l’Égypte, ont pu effacer des décennies d’affront et d’humiliations infligés par la machine de guerre israélienne.

Bien que la suite de la Guerre de 1973 – baptisée "guerre du Kippour" par Israël et l’Occident et "Guerre d’Octobre" par les Arabes – ait prouvé qu’il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus pour les deux belligérants, la fierté arabe demeurait intacte et, jusqu’à nos jours, des quartiers, des rues et même des villes portent le nom de ce fait d’arme.

Photo d’archive qui date du 7 octobre 1973 montrant le canal de Suez avec, au fond, une brèche dans les fortifications de sable installées par les Israéliens. (AFP)

Le fait d’arme était la traversée de l’armée égyptienne du canal de Suez suivie du reflux des forces israéliennes dans le Sinaï… Avant que celles-ci n’encerclent la troisième armée égyptienne dans le désert et arrivent à quelque 100 km du Caire.

Mais la Guerre d’Octobre a ébranlé la confiance des Israéliens dans l’invincibilité de leur armée. Elle a provoqué la chute du gouvernement de Golda Méir et elle a surtout permis à Anouar el-Sadate de négocier en position de force avec Israël et de conclure un accord de paix en 1979.

À la suite de cet accord, Israël a restitué tous les territoires égyptiens occupés en Sinaï, Sadate n’ayant pas pu, toutefois, obtenir la moindre concession concernant le conflit avec les Palestiniens.

Toute la propagande iranienne repose sur cette articulation historique et idéologique.

Le rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite

Dès juillet 2023, les déclarations et les événements portant sur une possible normalisation des relations entre L’Arabie saoudite et Israël se sont succédé à un rythme frénétique.

Des analyses, des éditoriaux ainsi que de déclarations officielles et officieuses émanant tant des Saoudiens que des Israéliens ont inondé les médias.

Le ministre des Communications Shlomo Karhi est devenu cette semaine le deuxième ministre israélien à se rendre dans la capitale saoudienne, où il a participé à une conférence de l’Union postale universelle, une agence spécialisée de l’ONU. (AFP)

Des "fuites" d’informations et de détails sur la forme et le fond du futur traité de paix ont alimenté les discussions, tout comme les spéculations de part et d’autres sur les positions des deux protagonistes et, surtout, la marge de compromis qu’ils peuvent accorder, etc.

Ensuite, un tournant significatif s’est produit: le Royaume saoudien a reçu, pour la première fois de son histoire, deux ministres israéliens à deux semaines d’intervalle.

Ces visites ne concernaient pas les négociations en cours, mais elles marquaient quand même une avancée inédite dans les relations entre l’État hébreu et l’Arabie saoudite, gardienne des deux plus importants lieux sacrés de l’islam.

Pour l’Iran, une affaire alarmante

L’Arabie du prince héritier et dirigeant de facto du pays, Mohammad ben Salmane, avait déjà franchi un pas très important en rétablissant les relations diplomatiques avec l’Iran le 10 mars 2023, lors de négociations qui ont eu lieu sous l’égide des Chinois.

Les relations entre ces deux puissances régionales étaient rompues depuis 2016. Cependant, la normalisation avance graduellement, sans changements majeurs, hormis une trêve très occasionnellement violée sur le front yéménite, où l’Iran et l’Arabie se livraient une guerre par procuration depuis 2014.

Des Iraniens assistent à un rassemblement à Téhéran le 7 octobre 2023, pour exprimer leur solidarité avec la Palestine. (AFP)

L’annonce d’une éventuelle paix saoudo-israélienne, susceptible de peser lourd sur le rapprochement entre Téhéran et Riyad, et qui pourrait même le court-circuiter, n’est pas en mesure de plaire au régime des mollahs.

Par ailleurs, d’aucuns affirment que plusieurs pays arabes pourraient suivre l’exemple saoudien dans les mois qui suivraient un éventuel accord de paix.

Netanyahu lui-même a affirmé qu’une dizaine de pays arabes étaient prêts à emboîter le pas des Saoudiens.

Le rôle du Hamas

Face à cette situation, l’Iran devait donc agir. Pour la République islamique, cette opération était relativement facile, parce qu’elle a construit lentement, mais sûrement, à travers les années et malgré les sanctions, une force tentaculaire couvrant le Moyen-Orient.

Le Hamas, bras militaire de l’Iran à Gaza, était prêt à passer à l’offensive.

Des soldats israéliens se mettent à l’abri lors d’une salve de roquettes en provenance de Gaza dans la ville d’Ashkélon. (AFP)

La Révolution islamique se voulait depuis ses débuts, bien avant 1979, et jusqu’à présent, le porte-étendard des musulmans opprimés et persécutés. Qu’ils soient arabes ou pas, chiites ou sunnites, le régime des mollahs veut montrer que l’Iran est le seul garant honnête, suffisamment puissant et déterminé à redresser les torts subis par la nation de l’islam.

La cause palestinienne détient dans cet ordre d’idées une place de choix. Elle mobilise indifféremment les Arabes et les non-Arabes.

Elle est pour beaucoup éthiquement défendable. Puis évidemment, les gouvernements israéliens successifs, forts du soutien américano-européen plus ou moins inconditionnel selon les époques, ne font pas grand-chose pour soigner leur image aux yeux des défenseurs de la cause palestinienne.

Cela constitue une brèche idéale pour la machine idéologique iranienne en quête d’expansion.

Pourquoi c’est une opération inédite?

L’Iran des mollahs, s’appuyant sur le très puissant Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI, ou Sepah-e Pasdaran, ou Pasdaran), a tiré les leçons des échecs des guerres arabo-israéliennes.

Face à l’incroyable machine de guerre israélienne, il a opté pour la guérilla, le terrorisme et, d’une façon non officialisée encore, la menace nucléaire stratégique.

Les Pasdaran ont misé sur les nouvelles armes que forment les drones (ils en exportent même chez Poutine) et les missiles de différentes portées, qui manquent, certes, de précision, mais qui disposent d’un fort pouvoir de nuisance et de destruction.

Ces armes se distinguent par leur efficacité due à leur simplicité technologique, leur faible coût et leur disponibilité en grande quantité.

L’opération de samedi a mobilisé une nouvelle arme: l’ULM, sigle français pour Ultra Léger Motorisé, à savoir une voile de parapente motorisée, qui a permis aux combattants du Hamas de franchir la barrière israélienne pour attaquer les Kibboutzim et autres installations militaires israéliennes frontalières de la bande de Gaza.

Quelles seront les conséquences?

Au vu des dernières images, car c’est avant tout une guerre d’images, Benjamin Netanyahu et Mohammed ben Salmane doivent reporter leurs pourparlers de paix, quitte à geler tout le processus pendant un certain temps.

Ni les peuples arabes, surpris par les exploits militaires du Hamas, ni, surtout, les Israéliens, ne sont désormais disposés à accepter le moindre compromis en faveur d’Israël, pour les premiers, ou en faveur des Palestiniens, pour les seconds.

Les partisans de l’AKP affichent une banderole à l’effigie du président turc Recep Tayyip Erdogan, et de sa mère Tenzile Erdogan, ainsi qu’un slogan indiquant " Vous avez élevé un tel fils, puissiez-vous en avoir des milliers d’autres " lors d’un meeting électoral à Ankara, le 7 octobre 2023. (AFP)

La situation actuelle est semblable à celle qui a suivi la promenade d’un certain Ariel Sharon sur l’Esplanade des Mosquées – un événement qui a mis fin à tout espoir de paix dans ce conflit.

Par ailleurs, il faut rappeler que l’Iran est membre d’une alliance comprenant la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan. Ce dernier se prépare aux élections municipales, où il espère provoquer un véritable raz de marée après sa victoire moins diluvienne à l’élection présidentielle.

L’opération du Hamas constitue donc une occasion inespérée pour mobiliser ses troupes. Pas plus tard qu’aujourd’hui, il a averti Israël contre "toute atteinte à la mosquée d’Al-Aqsa".

Plus au nord, Vladimir Poutine, empêtré dans le bourbier ukrainien, a tout à gagner en bénéficiant d’un peu de répit. Un conflit aussi intense et médiatisé à Gaza détournera suffisamment les regards (et les caméras) de la guerre en Ukraine.

Cela ne va sûrement pas changer le cours de la guerre, mais permettra à Moscou de mettre en œuvre certaines actions sans craindre une réaction adéquate de la part du reste du monde, comme l’utilisation d’une arme nucléaire tactique, l’intensification des frappes dans des zones habitées ou une escalade militaire sur le théâtre syrien.