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Au cours des deux dernières semaines, le corridor de Philadelphie, adjacent à la frontière égyptienne avec la bande de Gaza, est devenu un point de discorde égypto-israélien.

Le directeur du Service d’information égyptien, Diaa Rachwan, a déclaré lundi soir que "toute initiative israélienne visant à occuper le corridor de Philadelphie (connu sous le nom de Salah al-Din en Égypte) dans la bande de Gaza constituera une menace pour les relations avec Israël".

Il a rejeté "les fausses allégations" israéliennes de contrebande d’armes à travers des tunnels. Le responsable égyptien avait par ailleurs demandé à Tel-Aviv de mener des enquêtes internes au sein de son armée et de ses agences d’État pour déterminer qui était réellement derrière cette contrebande. Mais, qu’est-ce que le corridor de Philadelphie?

Ce couloir est une bande de terre de 14 km de long et 100 mètres de large qui longe la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza et s’étend de la Méditerranée au point de passage de Karam Abou Salem (Kerem Shalom). Le couloir inclut le passage de Rafah vers l’Égypte – le seul exutoire de la bande qui n’est pas contrôlé par Israël – et divise la ville de Rafah en deux: un côté palestinien et un côté égyptien.

Cette appellation trouve son origine, en 1979, dans les accords de paix de Camp David entre l’Égypte et Israël. Alors que le Sinaï était restitué à l’Égypte, l’objectif du corridor était de servir de zone tampon et a été placé à l’époque sous contrôle israélien de sorte à se prémunir contre toute attaque ou circulation d’armes vers Gaza.

En 2005, le contrôle de ce corridor change de main au profit du Caire lorsque Tel Aviv décide de retirer ses troupes de Gaza. L’Égypte est alors autorisée par l’accord dit "de Philadelphie", et pour la première fois depuis le traité de paix, à déployer 750 soldats des gardes-frontières légèrement armés.  Elle s’engage aussi à collaborer contre tout trafic d’armes à sa frontière, l’autre côté étant contrôlé par l’Autorité palestinienne. C’était sans compter l’arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza en 2007.

L’accord de Philadelphie stipule qu’il ne s’agit pas d’amendements au traité de paix avec Israël, ce qui signifie que le corridor de Philadelphie et le Sinaï de l’Est (adjacent au golfe d’Aqaba et à la bande frontalière avec Gaza) restent des zones démilitarisées.

La position de l’Égypte

Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue la semaine dernière, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a affirmé que le Hamas continuait de faire passer des armes en contrebande et que la guerre ne prendrait pas fin tant que cette brèche ne serait pas fermée. Il avait aussi précisé, le 30 décembre, son intention de prendre contrôle de cette bande de terre.

Le directeur du Service d’information égyptien a donc répondu que toute initiative israélienne dans ce sens menacerait les relations égypto-israéliennes. L’Égypte craint qu’une attaque sur Rafah ne provoque un flux de Palestiniens dans le Sinaï. Rappelons que plus d’un million de Gazaouis sont entassés à Rafah, ayant fui les offensives israéliennes sur la bande depuis près de quatre mois. Si l’armée de l’État hébreu attaque Rafah, ils n’auront nulle part où aller. Dans le passé, en 2008, et au début du blocus imposé par Israël à Gaza après la prise de pouvoir du Hamas, des milliers de personnes sont passées en Égypte, après la destruction du mur frontalier par le Hamas.

Selon l’agence AP, Israël avait officiellement demandé à l’Égypte, à la mi-décembre, de déployer ses forces dans le corridor. L’Égypte avait refusé, craignant qu’une opération terrestre dans la région entraîne l’arrivée de milliers de Palestiniens dans le Sinaï. Depuis le début la guerre, l’Égypte s’oppose fermement aux appels d’un exode des Palestiniens, craignant qu’ils ne rentrent pas chez eux une fois la guerre terminée, comme l’ont fait les réfugiés de 1948 qui sont toujours dans les différents pays d’accueil.

Un enjeu géopolitique stratégique

Si l’Égypte abandonne le corridor, elle perdra le contrôle du point de passage de Rafah qui lui permet une grande influence dans les affaires palestiniennes. De plus, cela lui conférera une étiquette de pro-israélienne participant au siège imposé au peuple palestinien de Gaza.

Sur le plan stratégique, Gaza est un pilier de la sécurité nationale égyptienne, et toute atteinte israélienne représenterait une atteinte à la souveraineté égyptienne. La création d’une nouvelle présence israélienne le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte aurait, en effet, des répercussions sur la sécurité du pays.

Ce différend constitue aussi un enjeu important pour Israël. M. Netanyahou souhaite rassurer ses concitoyens, de plus en plus critiques à l’égard de sa gestion de la guerre et du fiasco des otages. S’il arrête son offensive sans prendre Rafah, il n’atteindra pas son principal "objectif" de guerre, qui est de détruire le Hamas.

Mais en poussant jusqu’à Rafah, il risque de compromettre le fondement essentiel de sa stabilité, à savoir l’accord de paix avec l’Égypte, et de contrarier son allié le plus proche: les États-Unis.