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Jean de Gliniasty, ancien consul général de France à Jérusalem et directeur de recherche à l’Iris, analyse pour Ici Beyrouth le rôle et la position de la France dans le conflit en cours entre Israël et le Hamas.

Le 7 octobre, l’attaque meurtrière du Hamas en Israël, qui a fait plus d’un millier de morts (en majorité des civils), avait choqué en France. Paris a immédiatement condamné cette attaque, qui a engendré la guerre dans la bande de Gaza, laquelle dure depuis maintenant près de quatre mois.

Après avoir adopté, pendant plusieurs semaines, une position considérée comme en faveur de l’État hébreu – ce qui lui a été reproché par certains en France, ainsi que dans le monde arabe – Paris semble adopter, depuis quelque temps, une position plus équilibrée entre Israéliens et Palestiniens. Une position réaffirmée par le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, dans un discours à l’ONU, le 23 janvier dernier, où il a notamment réitéré la volonté de Paris de lutter pour la solution à deux États.

 

Par ailleurs, quelques mois après avoir accueilli une conférence internationale humanitaire, Paris a été, le week-end dernier, hôte de discussions entre de hauts responsables américains, israéliens, égyptiens et qataris sur un projet de trêve dans l’enclave palestinienne.

Ancien diplomate français ayant été consul général de France à Jérusalem, actuellement directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), Jean de Gliniasty fait le point pour Ici Beyrouth sur la position de la France dans le conflit entre Israël et le Hamas.

Comment pourrait-on qualifier la position actuelle de la France vis-à-vis de la guerre à Gaza?

La France a participé à l’endormissement général sur la question palestinienne. C’est-à-dire que la France, avec les pays arabes, les États-Unis, la Russie… ont fermé les yeux devant un processus qui pouvait être défini comme suit: le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou colonisait en silence la Cisjordanie, tenait Gaza sous un couvercle et normalisait ses relations avec les pays arabes via les accords d’Abraham. Et ce qui s’est passé le 7 octobre, avec son cortège d’abominations, a été une sorte de réveil brutal.

Le premier réflexe de la France a été la solidarité avec Israël, alors atteint très gravement et qui réagissait en demandant la solidarité du monde et la condamnation des horreurs perpétrées par le Hamas. D’où la visite du président français Emmanuel Macron dans la région et cette déclaration qu’il a faite sur la coalition anti-Hamas, qui marquait une séquelle du consensus antérieur sur le fait qu’on "néantisait", en quelque sorte, la question palestinienne.

Mais devant la réaction négative de tout le monde – y compris d’Israël – face à cette proposition, la France a un peu modifié son point de vue. Elle a rappelé la nécessité d’une solution politique à deux États, ce qui ne figure par ailleurs pas dans la déclaration conjointe publiée le 10 octobre par les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie, qui marquent leur solidarité avec Israël, mais ne parlent même pas de la solution à deux États ou d’une solution politique. La déclaration parle de perspective pour les Palestiniens. C’était une régression dans le traitement de la question palestinienne.

Le tir a été corrigé parce que la France a rappelé la solution à deux États, appelé à un cessez-le-feu et parce qu’elle n’a pas participé en tant que telle à la coalition occidentale anti-Houthis. Il y a une inflexion très claire, dans un sens palestinien, de la position française.

Il y a eu des discussions sur une éventuelle trêve à Gaza qui se sont déroulées à Paris la semaine dernière. La France a-t-elle un rôle à jouer dans les négociations sur le conflit à Gaza, ou ce rôle est-il dévolu aux États-Unis et aux autres acteurs régionaux (Égypte, Qatar…)?

Les seuls – et ils ont du mal – à avoir des moyens de pression sur Israël, ce sont les Américains. Ce sont eux qui peuvent peser le plus, et encore, pour obtenir un cessez-le-feu puisque l’effort de guerre israélien à Gaza ne serait pas possible sans les livraisons accélérées de matériel militaire en provenance des États-Unis.

Mais en accueillant ces discussions principalement dédiées à la libération des otages, la France montre qu’elle a une position qui est équilibrée, qu’elle peut servir d’hôte à une négociation pour la libération des otages. Cela dit, il est clair que, dans l’esprit du Hamas, la libération des otages signifie un cessez-le-feu. Et comme Israël n’en veut pas pour l’instant, les progrès ne peuvent être qu’infinitésimaux.

La France peut être utile dans différents domaines. On l’a vue sur le plan humanitaire avec l’envoi du navire Dixmude pour aider les blessés de Gaza. Elle peut être utile pour faciliter un accord de cessez-le-feu qui mettrait fin aux souffrances des populations, ainsi qu’à l’intérieur de l’Union européenne pour faire un peu évoluer une position qui, pour l’instant, au sein de l’UE (avec une petite exception à Paris), est uniquement centrée sur la solidarité avec Israël.

D’un point de vue plus général, qu’en est-il du rôle et de l’influence de la France dans la région? On se souvient de la "politique arabe" de la France sous le général De Gaulle, de l’amitié de la rue arabe pour Jacques Chirac…

Paris a participé à l’endormissement général sur la question palestinienne. Tout le monde se satisfaisait de cette espèce d’état où la question palestinienne paraissait neutralisée.

Pendant cette période, il n’y a eu aucune spécificité de la position française par rapport à la position occidentale et même à celle des pays arabes ou de la Russie. Le rôle spécifique de la France a alors disparu, dans la mesure où le fil traditionnel de la politique étrangère française, c’est d’avoir une préoccupation plus particulière pour la question palestinienne. À partir du moment où, à tort, on a estimé que la question palestinienne était en voie de règlement par "neutralisation", le rôle spécifique de la France a disparu.

Manifestement, on voit que la diplomatie française essaye aujourd’hui de retrouver le fil de sa politique traditionnelle, d’attacher un prix plus important que les autres au règlement de la question palestinienne dans le respect de la sécurité d’Israël. Mais c’est un processus en cours…

Avant le 7 octobre et tout de suite après, l’image de la France n’est pas différenciée de celle du monde occidental. Et c’est maintenant qu’on commence à voir réapparaître des nuances qui pourraient, à terme, faire retrouver à la France un certain crédit au sein des opinions arabes. Mais nous n’en sommes qu’au début et il n’est pas sûr que tout cela se concrétise.

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