Emmanuel Macron et Olaf Scholz, à la tête des deux plus grandes puissances de l’UE, affichent désormais avec une rare ostentation leurs différends sur l’Ukraine, avec le risque de faire le jeu de Vladimir Poutine.

Un " désastre ": l’influent magazine allemand Der Spiegel dénonce mercredi le comportement " égocentrique " des deux dirigeants français et allemand, qui se présentent volontiers " comme des moteurs de l’Europe " alors qu’ils sont en train de lui nuire par pure " vanité ".

Les relations entre l’austère chancelier de centre gauche et le chef de l’État français, qui évoluent cahin-caha depuis le début, semblent avoir atteint un point bas.

Les différends les plus flagrants portent actuellement sur la forme d’aide à apporter à l’Ukraine face au rouleau compresseur russe, au moment où une enveloppe vitale de plus de 60 milliards de dollars reste bloquée aux États-Unis.

La conférence de soutien à Kiev organisée par Paris lundi aurait pu être une bonne occasion pour les Européens d’afficher leur unité.

Au lieu de cela, " de nouvelles attaques entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz jettent une ombre sur l’état de la coopération européenne, deux ans après l’attaque de la Russie ", déplore le magazine allemand Wirtschaftswoche.

Le chef d’État français a paru implicitement s’en prendre à des pays comme l’Allemagne, qui a longtemps hésité à livrer certaines armes lourdes à Kiev. " Je vous rappelle qu’il y a deux ans, beaucoup autour de cette table disaient: +nous allons proposer des sacs de couchage et des casques+. Aujourd’hui ils disent: +il faut faire plus vite et plus fort+ ", a-t-il dit à Paris.

Berlin s’était attirée les sarcasmes après avoir proposé d’envoyer 5.000 casques à l’Ukraine, juste avant le début de l’offensive russe.

La déclaration d’Emmanuel Macron a sonné comme une réplique à Olaf Scholz qui venait de signifier son refus de livrer les missiles longues portée Taurus que réclame le président Volodymyr Zelensky.

Elle est intervenue aussi alors que le chancelier allemand, dont le pays est le plus grand contributeur européen en valeur absolue d’aides financière et militaire à l’Ukraine avec plus de sept milliards d’euros prévus cette année, ne cesse d’appeler ses alliés européens à faire davantage, visant implicitement la France et l’Italie.

Dans ce contexte, l’éventualité évoquée par le président français d’envoyer en Ukraine des soldats de pays d’Europe ou de l’Otan a été rejetée catégoriquement mardi par Olaf Scholz.

" Cela n’est pas dramatique ", a tenté de minimiser mercredi le porte-parole du chancelier, Steffen Hebestreit.

Emmanuel Macron " a marqué sa position, pour laquelle il y a peu de soutien international (…) tandis que l’Allemagne appartient à un grand groupe qui voit les choses différemment ", parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore l’Italie, a-t-il néanmoins ajouté.

Mais ces rivalités sont " profondément regrettables " et profitent au président russe Vladimir Poutine, prévient l’ancien ambassadeur allemand Wolfgang Ischinger sur la chaîne de Welt TV. " Où pensez-vous que les bouchons de champagne vont sauter? Pas à Washington, ni en Italie, mais à Moscou ", estime l’ancien directeur de la Conférence sur la sécurité de Munich.

" L’arme la plus puissante de Poutine est la dispute en Europe ", abonde le magazine allemand Wirtschaftswoche.

Au-delà, la France et l’Allemagne ont plusieurs divergences de fond, notamment sur la préférence européenne pour les achats d’armement, la conception de la défense aérienne.

" La différence avec Scholz, c’est qu’il n’a pas l’arme nucléaire et pas la même armée que nous ", dit un conseiller de l’exécutif français, et " fermer une porte c’est stratégiquement offrir un point à Poutine ".

" Ces différends affaiblissent la capacité européenne à soulever le défis de sa sécurité ", juge Rym Momtaz, de l’International Institute for Strategic Studies.

Paris voit la politique de défense du chancelier, essentiellement orientée sur la protection des Etats-Unis via l’Otan, comme " une remise en cause des compromis franco-allemands " décidés en 2017 avec Angela Merkel visant à promouvoir la souveraineté de l’UE, pointe Jacob Ross, du groupe réflexion DGAP.

" Du point de vue français, Olaf Scholz trahit l’idée de souveraineté de l’UE ", souligne l’expert, " et sape l’héritage politique que Macron aimerait laisser en 2027 ".

Avec AFP