Un double scrutin doit se tenir en Iran vendredi 1er mars. Dans un pays où le pouvoir reste accaparé par les mollahs, quelle est la véritable portée de ces élections? Ici Beyrouth a contacté Bernard Hourcade, directeur du Cermi, pour répondre à ces questions.

Vendredi 1er mars, quelque 61 millions sur 85 millions d’Iraniens sont appelés à se rendre aux urnes, pour le premier scrutin depuis les manifestations provoquées par la mort de Mahsa Amini en 2022. En jeu, le renouvellement de deux organes de la vie politique iranienne: le Parlement iranien, ainsi que les membres de l’Assemblée des experts. Contacté par Ici Beyrouth, Bernard Hourcade, directeur du Centre de recherche sur le monde iranien (Cermi), a accepté de répondre à nos questions.

Un Parlement "débat"

Composé de 290 députés élus pour quatre ans, le premier constitue l’organe législatif du pays. Dans les faits, son pouvoir reste soumis au Conseil des gardiens de la Constitution, un organe réunissant les fonctions de Conseil constitutionnel et de commission électorale répondant directement au bureau du Guide de la Révolution.

Ce conseil est notamment chargé de valider les candidatures qui, jusqu’au début de la décennie, étaient généralement issues de deux mouvements politiques: réformateurs et conservateurs. Après l’invalidation de milliers de réformateurs aux législatives de 2020, ces élections opposent désormais principalement conservateurs et ultraconservateurs. Les premiers prônent un certain pragmatisme, tandis que les seconds se montrent très attachés à l’idéologie du régime et hostiles au dialogue avec les pays occidentaux, tant en interne que sur le plan extérieur.

Le président iranien Ibrahim Raissi (Centre) s’adresse aux législateurs au sujet de son projet de loi de finances, au parlement iranien à Téhéran, le 22 janvier 2023. (Atta KENARE, AFP)

Mais Pour Bernard Hourcade, "il constitue davantage une chambre de débat" qu’un Parlement effectif. "Il s’agit d’un très bon indicateur des rapports de force politiques en Iran", insiste-t-il, dans le sens où la population, "qui critique jusqu’à la figure du guide suprême", est réduite au silence par la répression, rappelant au passage que le gouvernement reste responsable devant celui-ci. Le Parlement iranien remplit donc un rôle essentiellement de façade.

L’Assemblée des experts, une chambre "feutrée"

Beaucoup moins connue, la seconde possède une fonction très différente. Élus pour huit ans, ses 88 membres – exclusivement composés de religieux – sont chargés de nommer et de superviser le guide suprême, voire de le relever de ses fonctions. Des prérogatives qui n’ont jamais été appliquées en principe, l’Assemblée des experts s’étant jusqu’à présent bien gardée de critiquer le guide suprême. Tout comme le Parlement, les éléments réformateurs furent mis à l’écart par le Conseil des gardiens, à l’image de l’ancien président Hassan Rohani.

À première vue, le scrutin du 1er mars pourrait revêtir une importance particulière. En effet, l’actuel guide suprême, Ali Khamenei, atteindra l’âge avancé de 85 ans en avril prochain. Il n’est donc pas exclu que cette assemblée doive lui désigner un successeur.

Les membres de l’assemblée des experts iraniens assistent à une session à Téhéran, le 12 mars 2019. (Atta KENARE, AFP)

Pour autant, "cette assemblée est feutrée, il n’y a rien à attendre d’elle", commente M. Hourcade qui ajoute que "l’élection du prochain guide ne se fera pas entre ses murs". Celui-ci ajoute que la question de la succession reste, à l’heure actuelle, "un peu surévaluée", Ali Khamenei restant apte à diriger. Les rumeurs qui circulent sur son état de santé se sont jusqu’à présent avérées infondées.

Bureau du guide et CGRI, cœurs du pouvoir iranien

Le véritable pouvoir est en réalité détenu par le bureau du guide suprême. Répondant aux questions de la revue Le Grand Continent le 26 février, Ali Vaez, professeur à l’université de Georgetown et président du projet Iran au think tank belge International Crisis Group, décrit ce dernier comme un "gouvernement fantôme", rassemblant environ 5.000 personnes. Un pouvoir surévalué selon M. Hourcade, qui reconnaît néanmoins son importance et, surtout, son opacité.

À l’heure actuelle, Ali Khamenei reste au cœur du pouvoir. Celui-ci "bénéficie d’une expérience et d’une autorité exceptionnelles", insiste ce dernier, issues d’une gestion du pays débutée dans les années 80, lorsqu’il était président de la République. De la production pétrolière à la guerre avec l’Irak, celui-ci a effectivement fait ses armes sur de nombreux dossiers.

L’ayatollah Ali Khamenei, le 28 février 2024, lors d’une réunion avec des jeunes qui peuvent voter pour la première fois, avant les élections du 1er mars, à Téhéran. (KHAMENEI.IR, AFP)

À l’inverse, pour le chercheur, ce sont les rapports de force internes au sein de ce bureau qui détermineront l’identité du prochain guide suprême, ce qui pourrait potentiellement mener à la mise en retrait de cette figure, au profit des factions internes.

Un bureau où le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) est aussi très présent et que M. Vaez considère comme l’autre institution détentrice du réel pouvoir. Pour autant, M. Hourcade ne considère pas que ces derniers détiendront l’ensemble du pouvoir. "Il s’agit d’un groupe social désormais présent à tous les niveaux du pouvoir, tous les leaders actuels en sont proches, insiste-t-il. Le véritable duel oppose davantage les pragmatiques (conservateurs) aux idéologiques (ultraconservateurs)."

Enjeux gigantesques, mais pas immédiats

Les enjeux à l’issue de cette élection sont "gigantesques", estime Bernard Hourcade, qui cite une situation économique désastreuse, des relations avec Washington dans un état analogue ainsi que, bien entendu, la situation au Proche-Orient. Néanmoins, "il ne s’agit pas d’une étape majeure et il n’y a pas d’enjeu dans l’immédiat au regard de la situation actuelle", tempère-t-il, compte tenu du pouvoir réel des institutions concernées.

Le premier enjeu du scrutin réside dans la mobilisation des Iraniens. Selon les premières estimations, celle-ci pourrait tomber en dessous de la barre des 40% de participation, malgré l’incitation massive des autorités à voter. À titre de comparaison, les législatives de 2020 avaient vu la participation grimper péniblement à 42,75%. Dans les faits, celle-ci sera surtout influencée par les questions locales, considère M. Hourcade. Quant au second enjeu, il s’agira surtout de voir quelle force va l’emporter entre conservateurs et ultraconservateurs.

Une femme passe devant un panneau de campagne électorale portant le portrait du guide suprême de la république islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, dans la ville sainte iranienne de Qom, au sud de Téhéran, le 20 février 2024. (Atta KENARE / AFP)

En revanche, l’issue du scrutin "n’impactera pas la politique extérieure, qui fait consensus en Iran", déclare à Ici Beyrouth le chercheur. Pour lui, tant les conservateurs que les ultraconservateurs ont "une seule peur, celle d’une guerre massive avec les États-Unis", le régime étant conscient qu’un tel développement pourrait le faire tomber. C’est notamment dans ce but précis qu’il essaye de contrôler ses mandataires en Irak et au Liban.

"L’Iran a pour principale priorité de défendre la République islamique et de favoriser son essor en tant que puissance régionale stable", ajoute M. Hourcade, précisant que "la guerre Israël-Hamas tombe mal, en lui imposant la défense des Palestiniens, tout en devant accepter des compromis", à l’image d’une coexistence avec Israël, ce qui lui impose "de négocier une solution médiane".