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Macron s’en va-t-en guerre… et de ce fait renoue avec l’histoire de France et sa littérature qui sont, dans les faits, deux vases communicants. Le voilà en chef de guerre, endossant armure et portant épée et bouclier armorié. Rien ne pourrait le styliser davantage qu’une image d’Épinal. Et c’est peut-être bien le portrait qu’il voudrait laisser de lui à la postérité, même s’il ne colle nullement à celui du gestionnaire avisé des finances publiques, ni à celui de l’assistant du philosophe Paul Ricoeur.

Pourquoi s’en étonner? Les prérogatives militaires relèvent, en France, des fonctions de celui qui se trouve à la tête de l’État. En effet, en matière de défense, les pouvoirs sont partagés entre les deux pôles de l’exécutif: si l’article 20 de la Constitution édicte que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation" et qu’il "dispose de l’administration et de la force armée", l’article 15 désigne le président de la République comme "chef des armées". C’est lui donc, et nul autre, qui peut, après mûre réflexion, appuyer sur le bouton atomique.

L’héroïsme et le panache

Emmanuel Macron a bien intériorisé l’histoire d’une France qui n’hésitait pas à prendre des risques et qui faisait entendre sa voix. De saint Louis le roi capétien, à l’empereur Napoléon au général De Gaulle, toutes les grandes figures du récit national avaient guerroyé et s’étaient plus ou moins illustrées sur les champs de bataille. Rien n’ajoute à la gloire d’un personnage politique comme les victoires remportées sur l’adversaire ou le sang-froid sous le feu ennemi. Clemenceau, en son temps, n’hésitait pas à se rendre sur le front et ne manquait pas de se laisser photographier avec les poilus dans les tranchées. C’était tout aussi bon pour remonter le moral des troupes que pour servir sa propre gloire de bleu de Vendée. Après tout, l’héroïsme est payant tant la bravoure n’est plus monnaie courante dans les élites dirigeantes, ces classes sociales qui génèrent plus de financiers, de communicants et de médiateurs que de guerriers ou de conquérants!

Alors, adoptant une attitude soudainement martiale, quelque peu surprenante pour certains de ses alliés qui s’en sont publiquement défiés, Emmanuel Macron vient de faire preuve d’un raidissement à l’égard de Vladimir Poutine. Il y a vingt mois, il se démenait pour "ne pas humilier" la Russie. Et voilà qu’il durcit le ton, aussi bien au palais de l’Élysée (le 26 février), qu’à la Sorbonne (le 25 avril) et à l’École européenne de Strasbourg (le 26 avril) où il a plaidé pour la constitution d’une Europe de la défense. De même, lors de l’entretien du 2 mai accordé à The Economist quand il avait déclaré: "Si les Russes devaient aller percer les lignes de front, s’il y avait une demande ukrainienne, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, on devrait légitimement se poser la question." La question étant de savoir si l’on devait venir en aide aux Ukrainiens en envoyant des troupes au sol, perspective qui a fait sursauter Américains et Britanniques.

Ma foi, ça sent la poudre! Emmanuel Macron va-t-il élégamment se coiffer du casoar de Saint-Cyr? L’invasion de l’Ukraine lui en fournit l’occasion autant que le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Un Macron gaullien mais pas nécessairement gaulliste

Macron aurait-il gardé à l’esprit la conférence de presse du général De Gaulle du 5 septembre 1961? Rappelons qu’au mois d’août de cette même année, l’Allemagne de l’Est (RDA) avait érigé le mur de Berlin et que l’Occident, qui pouvait s’attendre à d’autres mesures hostiles, n’avait pas réagi au-delà de condamnations verbales sans portée. Nul ne pouvait imaginer que, moins d’un mois plus tard, le chef de la France libre et fondateur de la Ve République allait faire entendre au bloc communiste des propos retentissants. Écoutons-le: "Si ceux-ci (les Soviétiques) veulent par la force réduire les positions et couper les communications des alliés à Berlin, les alliés doivent par la force maintenir leurs positions et maintenir leurs communications. Assurément de fil en aiguille, comme on dit, et si tout cela a fait multiplier les actes hostiles des Soviets, actes auxquels il faudrait répondre, on pourrait en venir à la guerre générale, mais alors c’est que les Soviets l’auraient définitivement voulue et dans ce cas tout recul préalable de l’Occident n’aurait servi qu’à l’affaiblir et à le diviser. Et sans empêcher l’échéance à un certain point de menace de la part d’un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l’agresseur et de le pousser à redoubler sa pression, ce qui finalement facilite et hâte son assaut. Au total, actuellement, les puissances occidentales n’ont pas de meilleur moyen de servir la paix du monde que de rester droites et fermes."

Ce texte est désormais un classique de la littérature politique comme le serait le monologue de Don Diègue dans Le Cid. Alors pourquoi le président Macron ne s’en serait-il pas inspiré dans ses échanges avec Moscou? Ne vivons-nous pas la société de spectacle au niveau international?

La situation générale s’y prête. Les pays limitrophes de la fédération de Russie sont sur le qui-vive, l’invasion de l’Ukraine, qui dure depuis deux ans, risquant de faire tache d’huile en Europe de l’Est. Et puis, cette incursion illégale en territoire ukrainien n’est pas sans rappeler, mais en plus périlleux, l’érection du mur de Berlin en son temps. La fermeté s’imposait donc face à la transgression de l’ordre international. Cependant, en adoptant un ton gaullien, le président Macron n’a-t-il pas été un peu loin dans la bravade?

Des tas de raisons objectives et de calculs militaires, économiques ou autres ont pu amener Macron à relever le gant. La dissuasion doit être rétablie dans son principe. Mais je n’exclurais pas l’aspect littéraire de la scène qui se déroule sous nos yeux. Et c’est à se demander si ce n’est pas l’amateur de théâtre, que fut le président français dans sa jeunesse, qui vient occuper le devant de la scène pour se donner en spectacle devant le monde. Cela faisait quand même deux ans que Vladimir Poutine avait la vedette en jouant à Ivan le Terrible!

Qui n’a pas tenté un jour de redresser les torts? Qui n’a pas rêvé de jouer Cyrano dans une mise en scène à haut risque?

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