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L’adoption du projet de loi d’immigration dit "Safety of Rwanda" (ou "Sûreté du Rwanda") par le gouvernement britannique dirigé par Rishi Sunak n’a pas été une simple formalité législative, mais plutôt le résultat d’une bataille politique acharnée qui s’est étendue sur plus de quatre mois. Pour le Parti conservateur, cette lutte ne se résume pas uniquement à un combat contre l’immigration illégale, mais revêt une dimension personnelle pour le Premier ministre lui-même. En effet, cette initiative constitue un enjeu crucial pour M. Sunak, alors qu’il tente désespérément de consolider sa position face à une menace imminente: la perspective d’une défaite écrasante face à l’opposition travailliste lors des prochaines élections générales prévues dans les prochains mois. Des sondages menés par l’institut YouGov révèlent que l’immigration est la troisième préoccupation majeure des électeurs britanniques, juste après l’amélioration du système de santé et la relance économique. Dans ce contexte, l’adoption de cette loi soulève une question cruciale: serait-il possible que la mise en œuvre d’une telle législation puisse sauver un Premier ministre luttant, tant bien que mal, contre son impopularité?

Une loi symbolique, pour le moment

Encore faudrait-il comprendre en quoi consiste ce projet de loi si controversé. L’accord conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda prend la forme d’un partenariat visant à transférer vers ce pays d’Afrique de l’Est, fort d’une économie dynamique, mais sous un régime jugé autoritaire, des individus ayant immigré illégalement au Royaume-Uni. Sous cet accord, ces personnes ne pourront déposer une demande d’asile que depuis le territoire rwandais, où leur cas sera examiné, entraînant ainsi une délégation quasi-totale des responsabilités du Royaume-Uni en matière d’asile. Cette démarche implique donc aussi une coopération financière significative, le Rwanda ayant déjà bénéficié d’environ 500 millions de livres sterling.

Maintenant que le projet de loi a été adopté, une question demeure essentielle: est-ce trop peu, trop tard pour les Tories? Il est essentiel de faire la distinction entre l’adoption d’un projet de loi et son application effective. Bien que l’assentiment royal ait officialisé ce projet de loi, les vols à destination du Rwanda ne sont pas près de décoller et pourraient prendre jusqu’à une dizaine de semaines au plus tôt. Malgré cela, l’exécutif cherche à capitaliser sur une image symbolique en tentant d’obtenir un premier vol vers le Rwanda avant les élections générales. Cependant, il reste clair que la distinction des résultats de cette nouvelle loi prendra de nombreux mois, rendant difficile son évaluation avant le délai maximal des élections générales. Ainsi, le gouvernement Sunak, à court d’options, semble privilégier la dimension symbolique plutôt que le résultat effectif dans cette démarche.

Il est néanmoins à noter que l’impopularité du gouvernement conservateur dépasse largement les limites de sa mauvaise gestion du projet de loi d’immigration sur le Rwanda. Elle s’étend aussi à la mauvaise gestion économique, mais surtout au chaos dans l’exercice du pouvoir qui sévit depuis le référendum sur le Brexit en 2016 et, plus particulièrement, depuis les derniers mois de l’ère Boris Johnson. En effet, en plus des crises mondiales telles que la pandémie de Covid-19 et le conflit en Ukraine, les Britanniques ont été témoins de scandales à répétition impliquant leurs dirigeants, que ce soit le Partygate de Boris Johnson ou la brève et tumultueuse période au pouvoir de Liz Truss, qui n’a occupé le poste que pendant 44 jours.

Starmer en tête dans les sondages

Aujourd’hui, les conservateurs sont devenus la cible facile de tous les maux qui frappent le Royaume-Uni, qu’ils en soient responsables ou non. D’ailleurs, les sondages révélant une avancée de 21 points de pourcentage de l’opposition travailliste justifient bien cela. Le public est lassé du chaos qui a régné ces dernières années, d’autant plus que le parti est lui-même profondément divisé entre son aile modérée et radicale. Cette division interne a engendré une guerre fratricide persistante entre les différentes factions du Parti conservateur, chacune se rejetant mutuellement la responsabilité de l’échec.

L’unité, pourtant cruciale pour espérer avoir ne serait-ce qu’une infime chance de survie aux élections générales, semble être un objectif quasi impossible. D’ailleurs, la victoire écrasante des travaillistes lors des élections municipales du 2 mai dernier en témoigne bien. Toutefois, selon des projections du média britannique Sky News, les travaillistes ne recevraient qu’une majorité relative aux prochaines élections, un sondage auquel s’accrocheront les conservateurs pour tenter de renverser la donne. Cependant, bien que Rishi Sunak, figure providentielle et technocrate, ait tenté de rassembler son parti, il semble subir les conséquences de l’échec des Tories depuis 2010. Malgré ses efforts pour stimuler l’économie et réduire l’inflation avec succès, les électeurs, comme c’est souvent le cas dans les démocraties évoluées, paraissent avoir opté, 14 ans après, pour l’alternance politique.

Le parti travailliste, dirigé par le chef de l’opposition Sir Keir Starmer, domine tous les sondages. En revanche, maints observateurs estiment que le succès de l’opposition repose uniquement sur les échecs du gouvernement en place. Il est indéniable que M. Starmer ne possède pas le charisme de certains de ses prédécesseurs, tels que Tony Blair, mais il a réussi à réunifier un parti discrédité et perturbé par le leadership très controversé de Jeremy Corbyn. Néanmoins, son programme électoral demeure flou, ne fournissant pas de réponses tangibles aux problèmes auxquels sont confrontés les Britanniques. En pleine crise financière, il propose plusieurs mesures non financées, telles qu’une augmentation du budget de l’État et des initiatives environnementales radicales. Ces propositions ne peuvent être financées que par des emprunts, ce qui contrarie la Banque d’Angleterre ayant fixé à l’actuel gouvernement l’objectif de réduire ces emprunts, ou par une augmentation de la taxation, risquant ainsi de réduire le pouvoir d’achat des Britanniques. Sans compter que l’opposition travailliste n’a présenté aucun plan concret pour contrer l’immigration illégale, de peur de contrarier l’aile gauche radicale du parti.

En conclusion, le projet de loi d’immigration sur le Rwanda semble être une tentative désespérée, mais vaine pour sauver les conservateurs d’une défaite imminente aux prochaines élections. Trop peu, trop tard semble être le refrain qui résonne au sein de l’exécutif. Pendant ce temps, l’opposition travailliste, bien que dénuée de réelles convictions et d’un plan clair, a su capitaliser sur la division, les scandales et les nombreux échecs des conservateurs lors des quatorze dernières années. À l’heure actuelle, aucune issue favorable ne semble se profiler à l’horizon pour les Tories, laissant planer l’ombre d’une défaite inévitable…