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À regarder de près la scène politique proche-orientale, on a le sentiment que rien n’évolue dans le bon sens: la question des trêves et ses doubles stratégiques et sécuritaires, la politique de déstabilisation iranienne poursuit son cours avec des nouages conflictuels qui prolifèrent dans toutes les directions, la radicalisation des conflits en Ukraine et dans le Caucase, la poursuite des politiques de répression en Iran et la descente aux enfers d’un Liban décharné et transformé en monnaie d’échange par une Union européenne déboussolée et en quête de victime émissaire pour dissimuler ses échecs politiques au Moyen-Orient. La question des trêves échouées est principalement due à l’absence d’une vision suffisamment prégnante afin de venir à bout des politiques de récalcitrance et de sabotage qui ponctuent le paysage régional et ses multiples croisées de chemin.

L’Iran poursuit la politique de sabotage via ses relais mandatés (Hamas, Hezbollah), les pôles de puissance régionale (Arabie saoudite, EAU, Égypte…) professent leur impuissance, la désintégration insidieuse de la Syrie, de l’Irak et du Liban poursuit son cours à toute allure, alors qu’Israël est entièrement rivé sur ses préoccupations sécuritaires. On ne voit pas comment pouvoir démêler cet écheveau d’enjeux stratégiques dans le cadre d’un immobilisme généralisé où les extrémismes se sont emparés des dynamiques politiques et militaires. Les médiations diplomatiques se soldent par des échecs répétés face à une dynamique conflictuelle qui ne s’embarrasse point des blocages, bien au contraire, elle cherche à les démultiplier de manière volontaire. De toute manière, dès le 7 octobre 2023, nous étions, d’ores et déjà, partis pour un conflit ouvert et sans horizon.

Il faudrait se demander si l’arrêt des hostilités suffirait pour mettre fin à des conflits mutants et si cette dynamique de violence est à même de s’arrêter en l’absence d’un nouveau rapport de force qui mettrait fin à la politique de déstabilisation du régime iranien, au profit d’un nouvel équilibre régional où les puissances modérées joueraient le rôle principal. À vrai dire, il serait plutôt invraisemblable d’envisager un plan de normalisation et de pacification régionale avec une politique de puissance iranienne qui n’a d’autre objectif que de détruire les terrains d’entente et de réconciliation au bénéfice d’une situation de chaos généralisé et cultivé de manière continue. En contrôlant le Proche-Orient, le régime iranien entend créer la plateforme géopolitique corollaire à sa militarisation nucléaire qu’il devrait instrumentaliser dans de futures projections.

Il est fort douteux que les entremises diplomatiques puissent servir à grand-chose dans le contexte d’un conflit doublement indexé, où l’idéologique et le stratégique se recoupent. Les totalitarismes se jouent de la diplomatie comme intermède avant de reprendre les entreprises de subversion. Le régime iranien appréhende toute normalisation sur le plan international pour des raisons qui lui sont propres: toute normalisation est à même d’impulser de nouvelles vagues de libéralisation dans une société iranienne en pleine mutation révolutionnaire qui cherche à se défaire, à tout prix, d’un régime qu’elle rejette en bloc. Les Iraniens ont ouvertement cautionné les attaques israéliennes sur leur sol national et y voient un recours salutaire afin d’en finir avec la dictature islamiste.

Le Liban se voit, une nouvelle fois, instrumentalisé à des fins de subversion par le régime iranien qui a réussi à le transformer en plateforme opérationnelle et en relais. Il a servi, en effet, de levier et de modèle aux politiques de satellisation en cours en Irak, en Syrie, au Yémen et dans les Territoires palestiniens. Ce qui est particulièrement frappant, c’est l’état d’hibernation conflictuelle auquel ces États sont réduits, leur statut intérimaire, à la frontière entre la souveraineté fictive et la déliquescence systémique à laquelle ils sont voués. En réalité, tous ces faux-semblants d’États ne sont que des relais dont se sert le régime iranien pour promouvoir sa politique impériale, solidifier son positionnement international et régional, poursuivre sa carrière symétrique d’État-terroriste, de plaque-tournante du crime organisé, de supplétif aux régimes totalitaires et regagner son statut de fédérateur des mouvements terroristes islamistes.

L’Iran est à situer dans la mouvance idéologique et stratégique qui a donné naissance aux Frères musulmans, à Al-Qaïda, et à l’État islamique (EI), celle d’un impérialisme islamique restauré et en quête de positionnement sur l’échiquier géostratégique. La politique de terreur institutionnalisée du Hezbollah depuis plus de quarante ans (assassinats politiques, criminalité organisée, enlèvements, terreur de grande ampleur – GI et Drakkar 1983, explosion terroriste du port de Beyrouth en 2020,…) s’inscrit dans un continuum qui a réussi à détruire l’État libanais et le transformer en entité pseudo-étatique ancillaire dont il se sert de manière discrétionnaire et à des fins contrastées, à changer les données de la géographie humaine et urbaine du pays moyennant des politiques de prédation urbaine, de confiscation et de manipulation des registres fonciers, de mainmise sur les propriétés communales et publiques et d’exploitation du dossier des réfugiés syriens. Le reste des Libanais est confronté à des dilemmes inextricables, celui de l’avenir d’un pays qui a perdu sa titulature d’État, d’un contrat social en lambeaux et d’une géographie humaine éclatée.

Les politiques non avisées de la communauté européenne ont le malheur d’avancer aveuglément sur un terrain miné. Le don d’1 milliard de dollars assorti de conditionnalités imprécises, au gouvernement illégitime et corrompu de Najib Mikati et au président de la Chambre Nabih Berry, qui préside l’Assemblée nationale depuis plus de 32 ans, et sans consultations préalables avec les acteurs de la société civile et de l’opposition, révèlent une désinvolture politique majeure. Le "diktat" d’Ursula von der Leyen, le consentement opportuniste du président chypriote Nikos Christodoulides, ainsi que les déclarations de Sandra de Waele (ambassadrice de l’EU), qui mettent en danger la souveraineté libanaise, nous laissent perplexes quant à l’opportunité d’une aide qui va porter atteinte aux équilibres structurels d’un pays extrêmement fragilisé. Tous les enjeux de la politique humanitaire sont à reconsidérer dans le cadre d’une concertation élargie, davantage démocratique et soucieuse de l’avenir de ce pays. Sinon, l’implosion du Liban ne serait, en somme, que la poursuite d’une débâcle géopolitique à laquelle les Européens assistent depuis plus d’une décennie, en l’absence de toute vision politique alternative. L’Union européenne scelle sa propre mort faute de convictions fermes, de politiques proactives et de courage civique, les barbares sont déjà dans les enclos.

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