Ils ont été frappés, suspendus pendant des heures par les bras ou électrocutés. Au procès pour complicité de crimes contre l’humanité de trois hauts responsables du régime de Bachar al-Assad, plusieurs rescapés des geôles syriennes ont raconté jeudi les tortures qu’ils ont subies.

Depuis mardi, la cour d’assises de Paris juge, par défaut, Ali Mamlouk, ex-chef du Bureau de la sécurité nationale, la plus haute instance de renseignement en Syrie; Jamil Hassan, ex-directeur des services de renseignements de l’armée de l’air; et Abdel Salam Mahmoud, ex-directeur de la branche investigation de ces services.

Ces trois hommes sont soupçonnés d’avoir joué un rôle dans la disparition forcée et la mort de Mazen Dabbagh et de son fils Patrick.

Ces deux Franco-Syriens ont été arrêtés à Damas en 2013 et transférés dans le centre de détention de l’aéroport de Mezzeh, tenu par les redoutés services de renseignement de l’armée de l’air.

Au-delà de ces deux victimes, c’est le caractère massif et systématique des exactions commises par le régime syrien contre sa population civile qui anime les débats de ce procès inédit dans l’histoire de la justice française.

Ce jeudi, Abdel Rahman s’approche de la barre. Cheveux longs attachés en chignon, le trentenaire, veste en lin, jean et baskets, commence son récit d’une voix presque inaudible. Interpellé une première fois en avril 2011, il est incarcéré à Mezzeh.

Les agents tentent de savoir où se trouvent son frère et sa belle-sœur, une avocate renommée. "J’ai subi des tortures du matin au soir", relate-t-il. "On me menaçait de m’arracher les ongles, m’arracher les cheveux".

Libéré au bout d’une quarantaine de jours, il est de nouveau arrêté en 2012 et conduit à Mezzeh.

"Hurler sous la torture"

Placé dans une première cellule, il est transféré au bout de quelques jours dans une autre, d’une superficie d’1,5 m2, avec six autres personnes.

"On n’arrivait pas à dormir", se souvient-il. "Il fallait qu’une personne soit debout pour que d’autres puissent se reposer, à tour de rôle". Il sera ensuite détenu dans d’autres centres et libéré environ un an plus tard.

Nasser, 40 ans, a, lui, passé trois mois à Mezzeh. Fils et frère d’opposants au régime, il est interpellé le 9 mai 2011 et placé dans une cellule de pas plus de 40 m2, avec environ… 120 autres personnes.

"Le lendemain ou le surlendemain, ils ont commencé à me tabasser, j’ai perdu mes dents", témoigne-t-il.

Il raconte avoir été interrogé, des semaines plus tard, par Jamil Hassan en personne, qui lui demandait où se trouvaient ses proches. "J’ai répondu: ‘vous me posez encore les mêmes questions au bout de deux mois alors que je ne sais pas’."

Jamil Hassan ordonne alors à ses agents de s’occuper de lui. "Il leur a dit littéralement: ‘Je veux l’entendre hurler sous la torture."

"On m’a mis une corde autour des mains, j’ai été attaché, suspendu", poursuit Nasser. "on m’a laissé suspendu comme ça jusqu’au lendemain".

Quand on lui demande de baisser les bras pour enlever ses liens, il n’y arrive pas, ses bras sont trop endoloris.

"Mon geôlier m’a baissé les bras de force, j’ai eu un déboitement des deux épaules", dit le témoin, qui confie avoir aussi été électrocuté sur les parties génitales.

Mercredi, une douzaine de photos issues du dossier César, du nom d’un ex-photographe de la police militaire qui s’est enfui de Syrie en 2013 en emportant 55.000 photographies effroyables de corps torturés, ont été diffusées à l’audience.

Ces clichés montrent des corps d’hommes décharnés, portant des traces de coups et de blessures.

"C’est clairement un système qui veut briser, anéantir les personnes", a témoigné à la barre Catherine Marchi Huel, cheffe du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie (IIIM), créé en décembre 2016 par l’Assemblée générale de l’ONU pour aider les enquêtes sur les responsables des crimes les plus graves commis en Syrie depuis mars 2011.

Eleonore Dermy, avec AFP