Emmanuel Macron ou le «cave» qui se rebiffe!

 
Percée historique du Rassemblement national au Parlement européen! Aussitôt la nouvelle confirmée, le président français a dissous la Chambre des députés. Partisans et opposants, extrême droite, extrême gauche et centre de toutes obédiences, souverainistes et enragés, ont été pris de court et certains n’en sont toujours pas revenus. Quelle mouche a piqué Emmanuel Macron pour qu’il tente «ce coup de poker, cette arme à double tranchant», s’est-on demandé? «Est-il devenu fou?», s’est posé la question Dorian Jullien. C’est une «dissolution à la japonaise, en harakiri: la mort plutôt que le déshonneur», d’après un autre commentateur. Quant au chat échaudé Nicolas Sarkozy, il a sonné le tocsin en déclarant que cette décision peut plonger le pays dans le chaos! Et ainsi de suite. La presse internationale, comme la presse francophone, s’est fait l’écho de ce coup de théâtre, manœuvre inattendue qui pourrait livrer le gouvernement de la France au clan Le Pen.
Tout à l’opposé de ces commentaires négatifs, le président lui-même, qui a fait l’événement, a assuré que ses homologues ont salué sa décision «courageuse» de dissoudre l’Assemblée en vue de législatives anticipées. Courage ou témérité, on en jugera à la publication des résultats définitifs. Mais il est clair que le président Macron ne compte pas faire le dos rond. Loin de là, cela fait un moment qu’il cherche l’empoignade et veut reprendre l’initiative. Et n’ayant plus que trois ans comme magistrat suprême, on se doute bien qu’il veuille se tailler une réputation aux yeux de la postérité. Alors foin de cette image de gestionnaire ou de fort en thème qui a cherché à faire de la France une start-up «désidéologisée, ne visant que l’efficacité», un pays géré par des technocrates postmodernes et interchangeables. La France, ce pays de la littérature, va désormais retenir de lui le souvenir de postures plus viriles et plus assertives.
Car les Français, bien qu’ils l’aient réélu, ont vite déchanté sous ses mandats. En gros, son entreprise, peut-être trop ambitieuse et trop désincarnée, n’a pas été une réussite au niveau budgétaire, et qui plus est, c’est sous son gouvernement que la France a été chassée du Sahel au profit du groupe de mercenaires Wagner.
Avouons-le: dans sa réaction de président ulcéré par les résultats, il y a un aspect affectif et personnel. Ce n’est pas pour rien qu’Alexis Brézet, un commentateur avisé, nous a confié que cette dissolution s’expliquait par la blessure narcissique que les élections européennes ont fait subir au chef de l’État.
La France, ses tribuns et ses communicants
Face aux populistes et aux tribuns comme Jordan Bardella et Jean-Luc Mélenchon, le président Macron ne pouvait rester l’éternel communicant au risque de se laisser clouer au pilori. Il n’allait plus pouvoir faire dans la prudence et la rationalité, c’est-à-dire dans «l’horreur économique»1, ses chiffres et ses tableaux truffés de PowerPoint. L’histoire de France étant celle de ses convulsions, il n’avait plus le choix: il allait opter pour l’altercation et relever les défis! En dissolvant l’Assemblée nationale, le président allait «renverser la table de son échec en créant une confusion électorale entre un scrutin européen et une élection législative nationale», nous dit la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina2. Car Emmanuel Macron n’a pas été complètement surpris par le score, il s’y attendait quelque part; et c’est pourquoi «le storytelling de cette dissolution a été pensé (bien à l’avance) par une cellule de communicants (toujours eux) à l’Élysée»3. Écoutons les confidences du chef de l’État faites à l’un de ses familiers: «Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé une grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant, on va voir comment ils s’en sortent.»4
Voilà de quoi dramatiser la situation pour s’en rendre le maître. Si l’idée était de donner un coup de pied dans la fourmilière, le résultat est probant. Le ministre de l’Économie et des Finances n’a pas manqué de constater que la décision de dissolution «a créé – dans notre pays, parmi le peuple français partout – de l’inquiétude, de l’incompréhension, parfois de la colère. C’est ce que je vois chez nos électeurs». Quant à l’hebdomadaire britannique The Observer, émoustillé par ce coup de Jarnac, dont il a salué la hardiesse, il va jusqu’à comparer Emmanuel Macron à Danton, qui appelait à toujours plus d’audace pour sauver la France de la Révolution5.
«Levez-vous vite, orages désirés»
Dans un film en noir et blanc, un «cave»6 exaspéré se rebiffe et fait payer aux truands les humiliations et autres affronts qu’ils lui avaient fait subir. Et le fait est là: dans l’adversité, le président français refuse de s’avouer vaincu. Excédé d’avoir à encaisser les coups, il s’est mis en tête de les rendre. Et cela fait un moment qu’il était sorti de ses gonds. N’avait-il pas laissé entendre en février dernier que, pour ce qui est de l’Ukraine, la possibilité d’envoi de troupes occidentales au sol n’était pas à exclure? Une déclaration qui allait susciter un désaveu de la quasi-totalité des Vingt-Sept. Et d’un!

Dans la foulée de cette posture belliqueuse, Emmanuel Macron vient de dissoudre l’Assemblée, mettant ses troupes, tout comme ses adversaires, devant le fait accompli. Deux interventions intempestives plutôt qu’une!
Or, pour la postérité, il n’y a de gloire que militaire ou du moins acquise de haute lutte. Cette gloire peut être emportée dans les grandes querelles domestiques sous le signe de l’inévitable cohabitation ministérielle. Elle peut l’être également «en un combat douteux», dans les plaines d’Ukraine.
Le Macron nouveau est arrivé. Et nous allons voir de quel bois se chauffe le premier des Français.
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1-Viviane Forrester, L’Horreur économique, Poche, février 1999.
2-Anne-Charlène Bezzina, «Emmanuel Macron a créé la dissolution à la japonaise: la mort politique plutôt que le déshonneur», Le Figaro, 12 juin 2024.
3-Alexandre Devecchio, «Christophe Guilly: Avec la dissolution, Macron cherche moins à répondre à la crise démocratique qu’à l’invisibiliser», Le Figaro, 10 juin 2024.
4- Solenn de Royer, «Emmanuel Macron, qui a déclenché cette dissolution pour piéger les partis, s’est piégé lui-même», Le Monde, 14 juin 2024.
5- Editorial, «Emmanuel Macron is playing a dangerous game», The Observer, 17 juin 2024.
6- Dans le jargon des truands, le «cave» est un individu crédule, sans consistance, qui ignore les usages du milieu. Cf. «Le cave se rebiffe», film de 1961 avec Jean Gabin, sur des dialogues de Michel Audiard.
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