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Au lendemain d’un second tour des élections législatives françaises ayant déjoué les pronostics, la question de la formation du prochain gouvernement demeure sur toutes les lèvres. En effet, aucun bloc ne semble en mesure d’atteindre la majorité absolue pour gouverner efficacement.

Si l’alliance de gauche autour du Nouveau Front populaire (NFP) est arrivée en tête avec 193 sièges sur 577 selon l’AFP, le camp présidentiel lui emboîte le pas avec 164 sièges. L’extrême droite, formée autour du Rassemblement national, a échoué et termine en troisième position avec 143 sièges.

Il en résulte une situation inédite dans l’histoire de la 5ᵉ République. Pour le moment, le Premier ministre Gabriel Attal, dont la démission a été refusée par le président français Emmanuel Macron lundi, devrait rester à son poste pour une certaine période – pendant les Jeux olympiques, voire le reste de l’été jusqu’à la rentrée parlementaire, le 1ᵉʳ mardi d’octobre.

Face à un risque inédit de blocage politique, il reste néanmoins possible d’envisager plusieurs scénarios – au moins cinq, à l’heure actuelle.

Nombre de sièges obtenus à l'Assemblée nationale par parti et alliance, à l'issue du second tour des élections législatives 2024 - AFP / AFP / NALINI LEPETIT-CHELLA

1. Le NFP à Matignon

En tête du scrutin avec 193 sièges, le NFP, l’alliance regroupant les principaux partis de gauche, a rapidement revendiqué la victoire dimanche soir, à l’image du leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, ainsi que la patronne de Les Écologistes-EELV, Marine Tondelier. Le premier a d’ailleurs appelé Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre issu du NFP, seulement quelques minutes après l’annonce des résultats. Avant d’ajouter qu’il n’entrerait au gouvernement que pour "mettre en œuvre nos politiques et celles de personne d’autre". Néanmoins, cette configuration paraît beaucoup plus compliquée à réaliser.

En effet, une majorité relative aussi faible nécessiterait de faire d’énormes compromis. Or, il est peu probable que les autres blocs se montrent disposés à en faire, tant l’éloignement idéologique entre eux est important.

Néanmoins, une solution permet de contourner ce problème: gouverner par décret. C’est le fameux article 49.3, qui fut régulièrement utilisé sous les deux précédents gouvernements, eux-mêmes en majorité relative. LFI a même déjà averti qu’il ferait passer les principales mesures du programme NFP ainsi, à l’image de l’abrogation de la réforme des retraites.

Mais une telle méthode pourrait jeter le discrédit sur la gauche. Celle-ci n’a cessé de critiquer cette méthode de gouvernance au cours des deux dernières années, notamment M. Mélenchon. D’autre part, cette méthode l’exposerait rapidement à une motion de censure votée à la majorité absolue.

Pour éviter une telle situation, la seule solution consiste donc à ménager au moins une partie du camp centriste, pour la convaincre de ne pas voter une telle motion. Mais à une condition essentielle: que le NFP ne s’entredéchire pas d’ici là.

2. Coalition de centre-droit

Emmanuel Macron pourrait regarder de l’autre côté de l’échiquier politique, en direction de la droite modérée. Plus précisément, chez les députés Divers droites (25 sièges) et surtout Les Républicains (LR, 39 sièges) ayant refusé de suivre leur président Eric Ciotti et son alliance avec le RN. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe a d’ailleurs plaidé en ce sens.

Dans ce cas de figure, le camp présidentiel pourrait espérer former une majorité relative d’un peu moins de 230 sièges, ce qui lui permettrait ainsi de dépasser le NFP. "Nous tendons la main aux Républicains", a notamment lancé sur la chaîne française BFMTV Benjamin Haddad, député Ensemble et ancien membre du parti de droite.

Dans les faits, les gouvernements Attal et Borne ont déjà pu bénéficier occasionnellement du soutien de LR, notamment dans le cadre de la réforme des retraites. Mais une alliance Ensemble-LR nécessiterait de négocier en continu avec les autres groupes, voire de gouverner par ordonnance, à l’image de l’hypothèse d’un gouvernement NFP. En revanche, elle serait vulnérable à une motion de censure.

Certains responsables Les Républicains, tels que Xavier Bertrand, envisagent ce scénario – à condition que le Premier ministre soit issu de leurs rangs. D’autres, à l’image de Laurent Wauquiez, refusent tout accord. Ce dernier a ainsi annoncé rejeter "des combinaisons pour échafauder des majorités contre nature" et de voter les textes au cas par cas. Une situation qui pourrait potentiellement mener à une nouvelle scission dans le parti se réclamant de l’héritage gaulliste.

3. Arc républicain

Une autre piste pourrait résider dans une vaste coalition rassemblant le centre, en plus des droite et gauche modérées. Il s’agit d’un modèle déjà éprouvé dans d’autres pays européens, à l’image de l’Allemagne, de l’Italie, ou encore de l’Espagne. Ce type de scénario permettrait au gouvernement ainsi formé de sécuriser une confortable majorité absolue, entre 300 et 350 sièges.

Mais pour y arriver, d’intenses négociations, à un niveau encore jamais vu sous la 5e République, seraient nécessaires. En cause, le caractère "présidentiel" de ce régime, où le Parlement s’efface souvent derrière la figure du président.

Allié du président Macron, François Bayrou a quant à lui jugé la constitution d’une majorité hors RN et LFI "possible", soutenant que les partis de gauche formant le NFP ont "des attitudes et des choix politiques incompatibles entre eux". Elle se ferait néanmoins au péril d’une énorme perte de crédibilité pour les formations de gauche qui l’accepteraient. À l’inverse, le patron des sénateurs Les Républicains Bruno Retailleau a balayé une telle hypothèse, la considérant comme un "doux rêve".

4. Gouvernement technocratique

Afin de botter en touche, le président français pourrait aussi nommer un gouvernement technocratique. L’idée centrale est que les décisions devraient être basées sur des connaissances scientifiques et des analyses techniques, plutôt que sur des idéologies politiques ou des pressions électorales.

Celui-ci serait ainsi composé d’experts, suivant une logique transpartisane, incluant donc hauts fonctionnaires, universitaires, diplomates, économistes, voire ingénieurs ou professionnels de la santé.

Pour le reste, un tel gouvernement fonctionnerait normalement, pour peu qu’il soit assuré du soutien de l’Assemblée, ou du moins qu’il ne soit pas rejeté par la majorité absolue. Il s’agirait alors d’une autre configuration inédite en France, mais courante dans le reste de l’Europe.

Les partisans d’un gouvernement technocratique soutiennent que celui-ci peut mener à une gestion plus efficace et rationnelle des affaires publiques. En effet, il pourrait mettre l’accent sur des solutions pragmatiques et fondées sur des preuves.

Néanmoins, une telle pratique peut manquer de légitimité démocratique, car les membres du gouvernement ne sont pas élus par le peuple. C’est pourquoi il resterait lui aussi sous la menace d’une motion de censure déposée par l’un des trois blocs et soutenue par au moins un second.

Un autre obstacle de taille est de trouver la personnalité technocratique sans couleur politique qui serait capable de former le gouvernement, d’une part, et de créer des coalitions parlementaires pour chaque texte, d’autre part.

5. Instabilité

Si aucune négociation n’aboutit à l’une des configurations ci-dessus, la France risque donc de se retrouver en situation de blocage chronique. Pour le président français, convoquer de nouvelles élections n’est pas envisageable avant juillet 2025, suivant l’article 12 de la Constitution. Selon cette hypothèse, la situation actuelle devrait rester pérenne après l’été 2024. Elle entraînerait donc une profonde crise institutionnelle.

Mais si le changement ne s’opère pas au sein de la culture politique, il peut être réalisé au sein des institutions. Le but serait de rééquilibrer les pouvoirs entre le Président et l’Assemblée nationale, notamment en y instaurant la proportionnelle. En d’autres termes, il s’agirait d’instaurer une 6e République, sans doute par le biais d’un référendum, prérogative du président.

Autre hypothèse: une démission d’Emmanuel Macron dans les prochains mois. Dans ce cadre, la continuité serait assurée par le président du Sénat Gérard Larcher (LR), jusqu’à l’organisation de nouvelles élections. Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs appelé le président à suivre cette voie à plusieurs reprises.

Néanmoins, cette situation n’arrangerait en rien la situation. Celle-ci pourrait en revanche bénéficier au RN qui reste, avec 125 sièges, le parti avec la plus grande représentation au Parlement. Face à l’instabilité, le parti de Marine Le Pen pourrait se présenter comme la seule alternative stable.

Cette stratégie pourrait s’avérer payante en renvoyant dos à dos la gauche et l’ancienne majorité, tenues responsables du blocage par leur incapacité à faire des compromis, tout en cherchant à poursuivre sa campagne de dédiabolisation auprès des électeurs. Avec, pour objectif final, la présidentielle de 2027… pour voir finalement basculer la France dans les bras de l’extrême droite.