Emmanuel Macron a nommé jeudi l’ancien ministre et commissaire européen de droite Michel Barnier Premier ministre, soixante jours après le second tour des législatives qui n’ont débouché sur aucune majorité, suscitant la réprobation de la gauche qui a dénoncé un "quitus" du Rassemblement national, le parti de Marine Le Pen n’ayant pas agité la menace d’une censure immédiate.

Cinq heures plus tard, le nouveau Premier ministre, issu des Républicains (LR), était à Matignon pour une passation de pouvoirs avec Gabriel Attal, démissionnaire depuis cinquante-et-un jours et déjà tout à sa tâche de chef du groupe de députés du parti présidentiel Renaissance.

Michel Barnier est arrivé à grandes enjambées, le pas décidé, saluant, la main sur le cœur, les dizaines de personnes réunies dans la cour de Matignon, dont des ministres sortants Aurore Bergé et Catherine Vautrin, ainsi que des conseillers d’Emmanuel Macron.

Le nouveau Premier ministre, qui sera soutenu par le camp présidentiel et les LR, mais sans majorité, va devoir tenter de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire, pour mettre fin à la plus grave crise politique depuis 1958.

Le président "l’a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français", a déclaré l’Élysée dans un communiqué. Emmanuel Macron "s’est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement", a ajouté la présidence.

En attendant, les ministres démissionnaires vont, eux, rester en fonction pour continuer de gérer les affaires courantes le temps des négociations.

Avant d’opter pour Michel Barnier, le chef de l’État, qui voulait éviter au maximum le risque de censure immédiate, avait épuisé plusieurs autres cartouches, de Bernard Cazeneuve à gauche à Xavier Bertrand à droite, en passant par le président du Conseil économique, social et environnemental, Thierry Beaudet, pour la société civile.

"Crise de régime"

Plus récemment, lorsqu’il lorgnait l’Élysée, ce gaulliste centriste avait durci son discours sur l’immigration, prônant pour un "moratoire" et allant, lui l’Européen convaincu, jusqu’à remettre en cause la Cour européenne de justice au nom de la "souveraineté juridique".

Mais il est attendu de tous côtés. À gauche, où l’on promet déjà la censure, le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon a aussitôt dénoncé une "élection volée aux Français", assurant que Michel Barnier avait été nommé "avec la permission et peut-être sur la suggestion du Rassemblement national" et appelant à la "mobilisation la plus puissante possible" samedi lors d’une manifestation anti-Macron. Le RN a "donné une forme de quitus" à la nomination de Barnier et a dans la même veine grincé François Hollande.

Le patron des socialistes, Olivier Faure, a crié à "la crise de régime" et au "déni démocratique porté à son apogée" avec "un Premier ministre issu du parti qui est arrivé en 4ᵉ position et qui n’a même pas participé au front républicain" contre le RN.

Le parti de Marine Le Pen, qui peut à tout moment faire tomber le futur gouvernement en votant une motion de censure qui serait déposée par la gauche, est resté pour sa part plus circonspect. Il "jugera sur pièces son discours de politique générale", a déclaré le président du parti, Jordan Bardella.

Le dirigeant LR Laurent Wauquiez a estimé pour sa part que Michel Barnier avait "tous les atouts pour réussir dans cette difficile mission qui lui est confiée".

Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, a promis de porter "des exigences sur le fond, sans chèque en blanc", soulignant toutefois qu’il ne votera pas de "censure automatique", Édouard Philippe (Horizons) assurant de son côté: "Nous serons nombreux à l’aider".

"Clone"

Quant à cette "odeur de cohabitation" que l’entourage d’Emmanuel Macron recherchait pour incarner une forme d’alternance, ce n’est pas avec Michel Barnier qu’elle devrait être la plus enivrante. Il est issu d’une droite pro-européenne jugée "pragmatique", et il a souvent été considéré "Macron-compatible".

Le chef de l’État "cherchait un clone, il a fini par le trouver", a ironisé sur BFMTV le communiste Ian Brossat.

Nombre de macronistes estiment aussi que Michel Barnier est le plus petit dénominateur commun et que, vu son âge, il ne devrait pas effrayer tous ceux qui rêvent de briguer l’Élysée en 2027.

Par Anne Renaut avec AFP