La guerre en Ukraine a montré les risques du stockage en surface des déchets radioactifs. De quoi conforter la Suisse qui veut enfouir ses déchets de haute radioactivité profondément sous terre, un projet à un tournant décisif qui devrait voir le jour en 2060. 

" On se trouve à 300 mètres sous terre, dans un laboratoire creusé " pour étudier l’enfouissement des déchets radioactifs dans l’argile, explique le géologue Christophe Nussbaum, responsable du laboratoire international du Mont Terri, près de St-Ursanne dans le canton du Jura. La Suisse mise sur le stockage en profondeur des déchets nucléaires, dans l’argile. Le dépôt à des centaines de mètres sous terre est un énorme chantier non sans défi.

Trois sites dans le nord-est de la Suisse, proche de l’Allemagne, sont en course pour accueillir ces déchets. Les exploitants des centrales devraient annoncer leur préférence en septembre. Le Conseil fédéral prendra probablement sa décision en 2029 et la soumettra à l’approbation de l’Assemblée fédérale en 2030. Les Suisses devront par ailleurs se prononcer lors d’un référendum sur le sujet si les opposants récoltent 50.000 signatures.

Les autorités estiment les coûts de la sortie du nucléaire à 23 milliards de francs suisses (environ 22,6 milliards d’euros), dont 19 milliards de francs suisses (18,7 milliards d’euros) pour la gestion des déchets radioactifs, qui seront entreposés sur une surface estimée à 2 km².

200,000 ans pour se débarrasser de la radioactivité

Selon les experts, il faut environ 200.000 ans – soit 8.000 générations d’êtres humains – pour que la radioactivité des déchets les plus toxiques revienne à son niveau naturel.

Mais les chercheurs, indique M. Nussbaum, analysent un stockage dont la durée est estimée à approximativement " un million d’années, puisque c’est la durée pour laquelle on doit assurer un confinement sûr ". Pour l’instant les " résultats sont positifs ".

Pour Greenpeace, la Suisse va trop vite. " Il y a une myriade de questions techniques qui ne sont pas résolues : c’est-à-dire la garantie que le système ne conduira pas à des rejets de radioactivité, que cela soit dans 100, 1.000 ou 100.000 ans ", indique à l’AFP Florian Kasser, chargé au sein de l’ONG des questions nucléaires.

" On met la charrue avant les bœufs, car sans avoir résolu des tas de question, on est en train de chercher des sites ", poursuit-il, estimant que la Suisse devait aussi d’abord décider de la façon dont le site serait signalé pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli et que les générations des siècles à venir soient conscientes du danger.

50 ans pour réaliser ce projet 

En Suisse, des déchets radioactifs sont produits depuis plus de 50 ans dans les centrales, et sont gérés par la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra), fondée en 1972 par les exploitants des centrales nucléaires et la Confédération. Pour l’instant, ils sont dans un " dépôt intermédiaire " à Würenlingen, à environ 15 km de l’Allemagne.

Très peu de pays se trouvent à des stades avancés dans le stockage géologique profond. Seule la Finlande a construit un site (dans du granit), et la Suède a donné fin janvier son feu vert à l’enfouissement des déchets, dans du granite aussi.

Vient ensuite la France, dont le projet Cigéo, piloté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), prévoit de stocker sous terre les déchets radioactifs à Bure (Meuse), dans une roche argileuse. " Nous attendons la déclaration d’utilité publique, et en parallèle nous allons déposer une demande d’autorisation de construction ", explique une porte-parole de l’Andra, Emilie Grandidier, lors de la visite au Mont Terri.

Suite à l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima, la Suisse a décidé de sortir du nucléaire progressivement : les quatre réacteurs utilisés peuvent servir tant que les centrales sont sûres.

Environ 83.000 m³ de déchets radioactifs, dont une minorité de haute activité, devront être enfouis. Ce volume correspond au scénario d’une durée d’exploitation de 60 ans des centrales nucléaires de Beznau, Gösgen et Leibstadt, ainsi que de 47 ans de celle de Mühleberg fermée fin 2019. Les travaux d’enfouissement devraient commencer à horizon 2060.

" C’est le projet du siècle: pendant 50 ans, nous avons mené des recherches scientifiques, et nous avons maintenant 50 ans pour l’autorisation et la réalisation du projet ", indique Felix Glauser, porte-parole de la Nagra. La période de surveillance s’étendra sur plusieurs décennies avant le scellement du site le siècle prochain.

Avec AFP