Les émeutes violentes qui frappent la Suède depuis une semaine ont une cause: la " tournée " du groupuscule Ligne Droite, dirigé par Ramus Paludan. Voulant brûler le Coran dans des " zones vulnérables ", ces actes remettent en question l’interprétation généreuse de la liberté d’expression dans le pays tout en révélant la ségrégation dont fait l’objet cette société.

Liberté d’expression protégée

La gestion de cette tournée anti-islam a également suscité la condamnation de plusieurs pays musulmans. Après l’Irak et l’Arabie saoudite, la diplomatie turque a déploré lundi " l’hésitation à empêcher des actes provocateurs et islamophobes (…) sous couvert de liberté d’expression ", tandis qu’une manifestation a eu lieu devant l’ambassade de Suède en Iran.

Les scènes d’émeutes s’étaient ensuite propagées durant le week-end à plusieurs autres villes, où M. Paludan, qui a la double nationalité danoise et suédoise, a mis le feu à des exemplaires du livre saint de l’islam, ou projeté de le faire.

La police suédoise a maintenu que malgré les autodafés, ces " tournées " relevaient de la liberté d’expression, droit constitutionnel, l’obligeant à accorder les autorisations de manifester. " Nous vivons dans une démocratie où les libertés d’expression et de la presse sont très étendues et nous devons en être très fiers ", a souligné le ministre de la Justice Morgan Johansson en conférence de presse.

Face à Rasmus Paludan, qui planifie d’autres manifestations de ce type, certains dirigeants locaux se montrent plus réticents à défendre la liberté d’expression. " Dans ces circonstances, la police ne devrait pas accorder d’autorisation pour d’autres rassemblements publics ", a déclaré Anna Thorn, à la tête de la municipalité de Norrköping, lors d’une conférence de presse mardi.

La liberté d’expression bénéficie historiquement d’une forte protection en Suède. La police peut refuser la tenue de certains rassemblements, par exemple s’ils constituent une " incitation (à la haine, ndlr) contre un groupe ethnique ", mais cette exception est à interpréter de manière très restrictive.

" Zones vulnérables "

Ce riche pays scandinave de 10,3 millions d’habitants a accueilli plus de 400.000 immigrés entre 2010 et 2019, selon les statistiques de l’Office des migrations.

Mais de nombreux experts notent que la Suède a eu du mal à intégrer un grand nombre de ces nouveaux arrivants, des milliers d’entre eux ne parvenant pas à apprendre la langue et à trouver un emploi sur un marché du travail hautement qualifié. L’extrême droite a depuis gagné du terrain, devenant le troisième parti politique du pays.

Autre source de provocation, les endroits choisis pour organiser ces autodafés du Coran: généralement des banlieues avec une population majoritairement musulmane, classées par la police comme " zones vulnérables ". Ce terme, introduit en 2015, désigne des endroits pauvres, " défavorisés " avec une forte concentration " de personnes d’origine étrangère " et où existent des " réseaux criminels exerçant une pression sur ceux qui vivent dans ces quartiers ou les visitent ", a expliqué à l’AFP Manne Gerell, professeur de criminologie à l’université de Malmö.

La relation entre les habitants de ces " zones vulnérables " avec la police est tendue à cause de la criminalité, qui entraîne une forte présence policière sur ces lieux, qui a son tour engendre de la frustration notamment chez les jeunes qui se font régulièrement fouiller.

Kivanc Atak, chercheur en criminologie à l’université de Stockholm, remarque que la " relation tendue " entre la police et les jeunes de minorités ethniques n’est pas inhabituelle, que ce soit en Suède ou ailleurs.

Avec AFP