L’Union Européenne a conclu une nouvelle législation historique visant à protéger les utilisateurs en ligne de la " jungle du Web ". Le premier volet vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, tandis que la seconde soumet les plateformes internet à des régulations et surveillances pour protéger l’utilisateur de la désinformation, des fraudes, et du contenu illicite (incitation à la haine, appel au meurtre, images pédophiles).  Cet accord, applaudi à travers le monde, pourrait bien devenir un modèle mondial en la matière.

Mieux lutter contre les appels au meurtre, les images pédophiles, les campagnes de désinformation ou les produits contrefaits… L’UE a conclu samedi une nouvelle législation " historique " pour ramener l’ordre dans le Far West de l’Internet. Le texte, discuté depuis près d’un an et demi, doit responsabiliser les très grandes plateformes du numérique, comme Facebook (Meta) ou Amazon, en les contraignant à supprimer les contenus illégaux et à coopérer avec les autorités.

" Cet accord est historique ", s’est félicitée la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sur Twitter, " nos nouvelles règles vont protéger les utilisateurs en ligne, assurer la liberté d’expression et des opportunités pour les entreprises ".

Le règlement sur les services numériques (" Digital Services Act ", DSA) constitue l’un des deux volets d’un plan d’envergure présenté en décembre 2020 par la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, et son homologue au Marché intérieur, Thierry Breton. Le premier volet, le règlement sur les marchés numériques (" Digital Markets Act ", DMA), qui s’attaque aux pratiques anticoncurrentielles, a été conclu fin mars. Le DSA, lui, met à jour la directive e-commerce, née il y a 20 ans quand les plateformes géantes étaient encore embryonnaires. Objectif: mettre fin aux zones de non-droit et aux abus sur internet.

Le nouveau règlement stipule l’obligation de retirer " promptement " tout contenu illicite (selon les lois nationales et européennes) dès qu’une plateforme en a connaissance. Il contraint les réseaux sociaux à suspendre les utilisateurs violant " fréquemment " la loi. Le DSA obligera les sites de vente en ligne à contrôler l’identité de leurs fournisseurs avant de proposer leurs produits.  Il interdit les interfaces trompeuses (" dark pattern ") qui poussent les internautes vers certains paramétrages de compte ou certains services payants.

Les grandes plateformes internet soumises à ces obligations

Au cœur du projet, de nouvelles obligations imposées aux " très grandes plateformes ", celles comptant " plus de 45 millions d’utilisateurs actifs " dans l’UE, soit autour d’une vingtaine d’entreprises, dont la liste reste à déterminer, mais qui incluront les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), ainsi que Twitter, et peut-être TikTok ou Booking.

Ces acteurs devront évaluer eux-mêmes les risques liés à l’utilisation de leurs services et mettre en place les moyens appropriés pour retirer des contenus problématiques. Ils se verront imposer une transparence accrue sur leurs données et algorithmes de recommandation. Ils seront audités une fois par an par des organismes indépendants et placés sous la surveillance de la Commission européenne qui pourra infliger des amendes atteignant 6% de leurs ventes annuelles en cas d’infractions répétées. Le DSA interdit notamment l’utilisation des données sur les opinions politiques à des fins de ciblage publicitaire.

En voici les principaux points :

  • Obligation d’agir " promptement " pour retirer tout contenu illicite ou d’en rendre l’accès impossible dès que la plateforme en a connaissance.
  • Les plateformes en ligne devront publier une fois par an un rapport détaillant les actions entreprises pour la modération de contenus et leurs délais de réaction après notification de contenus illégaux. Elles devront rendre compte des litiges avec leurs utilisateurs et des décisions prises.
  • Les plateformes devront suspendre les utilisateurs fournissant " fréquemment " des contenus illégaux (discours de haine, annonces frauduleuses…).
  • Interdiction d’exploiter les données " sensibles " des utilisateurs (genre, tendance politique, appartenance religieuse…) pour de la publicité ciblée, afin notamment d’empêcher les manipulations de l’opinion.
  • Des obligations complémentaires s’imposeront aux " très grandes " plateformes en ligne : audition une fois par an par des organismes indépendants pour vérifier le respect de leurs obligations, obligation de lutter contre les contenus de " revenge porn ", analyse des risques liés à leurs services en matière de diffusion de contenus illégaux, d’atteinte à la vie privée ou à la liberté d’expression, de santé ou de sécurité publique.
  • Chaque Etat membre de l’UE désignera une autorité compétente, dotée d’un pouvoir d’enquête et de sanction, pour faire appliquer le règlement. Ces 27 autorités coopéreront entre elles.
  • Les utilisateurs auront le droit d’introduire une plainte contre un fournisseur de services numériques auprès de l’autorité compétente en invoquant une violation du règlement.
  • Les amendes pourront atteindre jusqu’à 6% du chiffre d’affaires annuel.

Une première mondiale en termes de régulation du numérique

Ce texte " est une première mondiale en matière de régulation du numérique ", a souligné dans un communiqué le Conseil de l’UE, qui représente les 27 États membres de l’Union. Il " vient consacrer le principe que ce qui est illégal hors ligne doit également être illégal en ligne ".

L’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton avait demandé jeudi soir à l’UE d’adopter cette nouvelle législation pour " soutenir la démocratie mondiale avant qu’il ne soit trop tard ". " Pendant trop longtemps, les plateformes technologiques ont amplifié la désinformation et l’extrémisme sans avoir à rendre de comptes ", avait-elle souligné.

La lanceuse d’alerte américaine Frances Haugen, qui a dénoncé la passivité de Facebook face aux nuisances de ses réseaux sociaux, avait salué en novembre le " potentiel énorme " du DSA qui pourrait devenir une " référence " pour d’autres pays, y compris les États-Unis.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les législateurs ont ajouté " un mécanisme de réaction en cas de crise " pour prendre des mesures " proportionnées et efficaces " à l’encontre des très grandes plateformes qui contribueraient à des campagnes de désinformation, a indiqué le Conseil européen.

De son côté, le lobby des grandes entreprises du numérique CCIA a estimé samedi qu' "un certain nombre de détails importants " devaient être " clarifiés ", de façon à ce que " la législation finale permette à toutes les entreprises, grandes et petites, de se conformer aux règles dans la pratique ".

Avec AFP

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