La présence des 3.7 millions de réfugiés syriens en Turquie est devenu un véritable sujet de campagne pour les candidats à l’élection présidentielle turque, chacun proposant une solution pour remédier à un véritable fardeau , alors que le pays est plongé dans la crise économique. Le président Erdogan souhaite promouvoir les " retours volontaires ", tandis que l’opposition, elle, veut renvoyer tous les réfugiés syriens chez eux. Cependant, aucun candidat n’a pour l’heure détaillé de mécanisme concret de rapatriement de cette population, qui vit depuis dix ans en Turquie. 

Le président veut promouvoir les retours " volontaires " et l’opposition les renvoyer chez eux. À un an de la présidentielle en Turquie et en pleine crise économique, chaque camp fait des 3,7 millions de réfugiés syriens un argument de campagne.

Mais qui peut les renvoyer et comment ? Beaucoup de bruit pour rien, assurent les observateurs interrogés par l’AFP qui relèvent en premier lieu que les intéressés n’ont aucune envie de rentrer en Syrie, bien que la solidarité, locale et internationale, s’émousse après onze ans de guerre. " Personne n’a détaillé de mécanisme de rapatriement ", constate avec ironie Omar Kadkoy, chercheur du think-tank turc Tepav à Ankara.

Le président Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2003 et probable candidat à sa succession en juin 2023, dit vouloir encourager le retour au pays d’un million de " nos frères syriens " : il a promis début mai la construction de logements et d’infrastructures (écoles, hôpitaux) pour eux dans le nord-ouest de la Syrie, où Ankara déploie ses troupes depuis 2016, hors contrôle du régime de Damas. Plusieurs milliers de maisonnettes construites par la Turquie viennent d’être inaugurées pour faciliter le retour des Syriens dans cette " zone de sécurité ".

Simultanément cependant, depuis lundi, le chef de l’État et son parti, l’AKP, ont plusieurs fois précisé que la Turquie voulait " protéger jusqu’au bout nos frères chassés de Syrie par la guerre ", refusant de " les renvoyer dans la gueule des meurtriers ". Des déclarations destinées à contrer le discours radical de l’opposition, dont le principal parti, le CHP (social-démocrate), promet le renvoi des Syriens s’il est élu en 2023.

Son leader, Kemal Kılıçdaroğlu, accuse le chef de l’État de vouloir " naturaliser les réfugiés pour acheter leurs votes " – tandis que le parti de la Victoire (extrême-droite) dénonce " l’invasion silencieuse " des migrants. " Avec quels moyens les renverraient-ils en Syrie ? Aucune institution en Turquie ne dispose de la logistique nécessaire ", rétorque Omar Kadkoy. Et on voit mal le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) s’embarquer dans pareille aventure sans le consentement des intéressés.

L’enracinement progressif des réfugiés syriens en Turquie 

Le gouvernement turc prévoit de transférer les réfugiés syriens dans une " zone de sécurité " située au nord de la Syrie, actuellement contrôlée par Ankara. (AFP)

Pour le chercheur, qui s’interroge aussi sur la légalité des constructions turques côté syrien – " à qui appartiennent les terrains ? " – tous ces projets sont également " irréalistes ".

Reste qu’avec la chute de la livre et une inflation de 70% sur un an, aggravée par la guerre en Ukraine, la question des réfugiés remonte périodiquement à la surface du débat politique.

" La Turquie accueille plus de 5 millions de réfugiés, c’est un énorme défi pour la population et un sujet de débat quotidien ", rapporte le Dr Murat Erdogan, directeur du centre de recherches sur les migrations à l’université d’Ankara et coordinateur d’un " Baromètre syrien " annuel, avec le HCR.

" Désormais, chacun comprend qu’ils vont rester ici et clairement, la tension monte, surtout depuis la Covid et avec la crise ", note le Dr Erdogan, rappelant qu’à peine plus d’1% des réfugiés résident dans des camps. " Les autres vivent dans la société turque depuis 2012 ".

Le discours ambiant reproche facilement aux Syriens " de voler les emplois ", ou de faire monter le prix des loyers.

Selon l’institution onusienne, moins d’un demi-million de Syriens sont rentrés au cours des cinq dernières années, principalement des hommes seuls.

Un accord peu probable entre Ankara et Damas sur le sujet 

Le chercheur aussi lève les yeux au ciel à l’idée d’un retour massif en Syrie, même " installé " aux frais du gouvernement turc. Entre Ankara et le régime de Bachar al-Assad à Damas, aucun accord ne pourra être validé tant que la Turquie n’aura pas évacué les positions qu’elle occupe dans le nord de la Syrie, note-t-il.

Or cette fameuse " zone de sécurité ", avec l’enclave d’Idleb, " accueille déjà 4 millions de déplacés pour une capacité d’un million, et d’autres continuent d’arriver tous les jours ", pratiquement tous dépendants de l’aide internationale qui diminue, prévient le Dr Erdogan.

Et encore, s’ agit-il, d’une " zone de sécurité très artificielle : personne ne sait combien de temps la Turquie y restera présente et en gardera le contrôle. C’est donc trop risqué de renvoyer des gens là-bas ", juge le Dr Erdogan.

Mardi à Bruxelles, la sixième conférence des donateurs pour la Syrie a recueilli 6,7 milliards de dollars d’engagements d’ici 2023 – très en deçà des 10,5 milliards escomptés par l’ONU.

Et la Russie (pro-Assad) prévient qu’elle s’opposera en juillet prochain au renouvellement de la résolution de l’Onu ouvrant le passage de l’aide humanitaire depuis la Turquie. Avec le " risque ", souligne le Dr Erdogan, de voir affluer 4 millions de réfugiés supplémentaires en Turquie – et au-delà, en Europe.

Avec AFP

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