À l’issue des élections législatives libanaises qui se sont tenues le 15 mai dernier, le Liban doit faire face à la tâche complexe – c’est un euphémisme – de mise en place d’alliances parlementaires dans la perspective de la nomination d’un nouveau Premier ministre, de la formation d’un gouvernement, et in fine, de l’élection d’un nouveau président de la République, fin octobre.

À Bagdad, l’habituel blocus "à la libanaise" est de mise au niveau du champ politique irakien, depuis les dernières législatives anticipées d’octobre dernier. Paralysé par le camp pro-iranien – représenté dans la rue par les milices du Hachd al-Chaabi – et ses intimidations croissantes, le courant vainqueur des élections (celui de Moqtada al-Sadr) peine à mettre sur pied une majorité parlementaire en vue de former un gouvernement.

Remportées haut la main par le dignitaire chiite Moqtada al-Sadr, considéré comme le principal représentant du souverainisme irakien contre l’emprise iranienne, le courant sadriste a obtenu 73 des 329 sièges du Parlement, loin devant les autres forces politiques du pays.

En utilisant des méthodes d’intimidations armées et de blocus institutionnel, le " Cadre de coordination " – paravent des milices affiliées au Hachd – entend montrer que l’Iran ne laissera pas ses intérêts être menacés par le camp adverse. À l’issue des résultats, l’Irak a dû faire face à une vague de contestation de la part des milices chiites, dénonçant des résultats "fabriqués" et appelant leurs électeurs et les combattants du Hachd à "se préparer à défendre leur entité sacrée".

Ce scénario rappelle à bien des égards le narratif du Hezbollah au Liban, lorsque celui-ci sent que son influence et ses intérêts sont en péril. Arrivées premières en nombre de parlementaires avec 19 sièges, les Forces libanaises espèrent quant à elles mener la bataille souverainiste, en formant un bloc hétéroclite hostile au Hezbollah qui dispose de 13 sièges, tout en proposant un programme commun anti-corruption. Mais il est encore trop tôt pour juger de la faisabilité de cette alliance embryonnaire.

Photo: JOSEPH EID / AFP

Côté irakien, avec 141 sièges, la coalition sadriste s’était approchée des 165 sièges nécessaires pour former un gouvernement de majorité. Un même cas de figure est aujourd’hui envisageable côté libanais, où les indépendants sont convoités de part et d’autre. La séduction de parlementaires "électrons libres" est donc capitale pour les grands camps préparant l’affrontement, malgré leurs divergences apparentes. De plus, les partis traditionnels pourraient être tentés de "neutraliser" l’influence grandissante des indépendants et des nouveaux venus issus de la contestation, qui disposent de 13 sièges au Parlement.

De son côté, le Hezbollah pourrait considérer qu’en l’absence de majorité, la politique du "compromis" doit prédominer, comme ce fut le cas jusqu’à présent. La logique du parti pro-iranien ouvrirait la porte de facto à un blocage institutionnel qui pourrait durer jusqu’à la fin du mandat Aoun. Toutes proportions gardées avec l’instabilité irakienne et son contexte sécuritaire explosif, il pourrait être dans l’intérêt du parti d’entraver le processus de tractations qui est en cours. En Irak, le Hachd a démontré son pouvoir de nuisance en bloquant le district gouvernemental, tout en lançant des frappes menées par des drones sur le domicile du Premier ministre Mustafa al-Kadhimi, allié des forces sadristes.

En ce qui concerne le choix du Premier ministre libanais – deuxième étape après celle de la constitution des blocs parlementaires – la reconduction de Nagib Mikati n’est pas souhaitable pour les Kataeb, comme pour les représentants de la contestation, qui souhaitent un changement de Premier ministre pour refléter au mieux les nouvelles donnes politiques résultant des élections post-crise.

Autre donnée à prendre en compte, le Premier ministre irakien doit être obligatoirement chiite. Le respect de la Constitution est ainsi instrumentalisé par les forces pro-iraniennes, qui entendent disqualifier les ambitions d’une coalition sadriste (bien que menée par un chiite) présentée comme hostile à la majorité de la population, en jouant la carte confessionnelle. De cette manière, le Hachd et ses alliés laissent entendre qu’une telle formule minoritaire ne serait pas acceptable, préférant un scénario de consensus où toutes les factions politiques majeures doivent être représentées dans le gouvernement, ce qui devrait permettre au " Cadre de coordination " de conserver des postes ministériels.

En Irak comme au Liban, le statuquo et le retour à la politique politicienne est donc la situation rêvée des forces hostiles au changement qui sentent le vent tourner en leur défaveur. Les représentants des factions victorieuses souverainistes irakiennes et libanaises pourraient néanmoins user à leur tour de leurs appuis respectifs pour contrecarrer un scénario écrit d’avance, où les partis de l’axe iranien bloqueraient la vie politique au long cours, de Bagdad à Beyrouth, ce qui ne ferait qu’aggraver la situation économique désastreuse. La paralysie parlementaire domine à présent dans un paysage politique plus fragmenté que jamais. Pour l’heure, aucun signe tangible ne permet de dire quelle en sera l’issue.