Le New York Times a révélé que Joe Biden se rendra d’ici la fin du mois en Arabie saoudite où il rencontrera le très controversé Mohammed ben Salmane. Si Donald Trump n’avait aucun problème à traiter avec le prince héritier, l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi avait poussé le Joe Biden à qualifier le royaume wahhabite d' "État paria ". Mais, realpolitik oblige, les enjeux du prix de l’essence et de la guerre en Ukraine encourage le " recalibrage " des relations entre Washington et Riyad.

Missions " discrètes " à Ryad
Les spéculations sur un tel déplacement en juin allaient bon train, mais selon le New York Times, il est désormais acté: le président des États-Unis " a décidé d’aller à Ryad ce mois-ci pour rebâtir les relations avec le royaume pétrolier au moment où il cherche à faire baisser les prix de l’essence dans son pays et à isoler la Russie sur la scène internationale ".

Sur place, " il rencontrera le prince héritier Mohammed ben Salmane ", surnommé " MBS ", et d’autres dirigeants de pays arabes dont l’Égypte, la Jordanie, l’Irak et les Émirats arabes unis, a ajouté le quotidien. Il a précisé que les détails logistiques et le calendrier devaient encore être confirmés, mais que la visite viendrait s’ajouter à un voyage déjà prévu fin juin en Israël, en Allemagne pour le sommet du G7 et en Espagne pour celui de l’Otan.

Le Washington Post a aussi fait état du déplacement en citant des responsables anonymes, soulignant que le " tête-à-tête " avec le puissant prince interviendrait après plusieurs missions " discrètes " dans le riche pays du Golfe de son conseiller pour le Moyen-Orient, Brett McGurk, et de son émissaire pour les affaires énergétiques, Amos Hochstein, qui plaident inlassablement pour une augmentation de la production de brut afin de faire baisser l’inflation.

D' "État paria " au " recalibrage "

" Le président est impatient d’avoir l’occasion de dialoguer avec des dirigeants du Moyen-Orient, mais je n’ai rien à annoncer aujourd’hui ", s’est bornée à dire jeudi la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre. Mais si Joe Biden " détermine qu’il est dans l’intérêt des États-Unis d’échanger avec un dirigeant étranger et qu’un tel engagement peut apporter des résultats, alors il le fera ", a déclaré à l’AFP un haut responsable de l’administration Biden sous couvert de l’anonymat.

Un sketch saoudien tourne en ridicule Joe Biden et Kamala Harris.

 

Sans confirmer le déplacement, ce responsable a estimé qu’il n’y avait " aucun doute sur le fait que d’importants intérêts (des États-Unis) sont liés avec ceux de l’Arabie saoudite ". Avant son élection, Joe Biden avait jugé que l’Arabie saoudite devait être traitée comme un État " paria " en raison de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Une fois au pouvoir, le démocrate a publié en février 2021 le rapport du renseignement américain accusant " MBS " d’avoir " validé " le meurtre.Washington avait alors évoqué un " recalibrage " de la relation avec ce partenaire stratégique du Golfe, pour tourner la page de la grande proximité de la présidence de Donald Trump sans aller jusqu’à la rupture. L’entourage de Joe Biden expliquait que le président ne parlerait qu’au roi Salmane et non pas au prince, dirigeant de facto du pays et interlocuteur privilégié de son prédécesseur républicain.

L’écrivaine turque Hatice Cengiz (à droite), fiancée du journaliste et dissident saoudien Jamal Khashoggi, pose à côté d’un portrait du journaliste au National Mall à Washington, DC.
" Priorités stratégiques " contre droits humains

Les États-Unis ont aussi affiché leur intention de remettre les droits humains au cœur de leur dialogue avec les dirigeants saoudiens, et multiplié les efforts pour mettre fin à la guerre au Yémen, où Ryad soutient militairement le gouvernement face aux rebelles Houthis.

La décision du déplacement en Arabie saoudite, si elle est confirmée, intervient d’ailleurs au moment où la communauté internationale a arraché le renouvellement de deux mois d’une fragile trêve au Yémen. Joe Biden a salué jeudi le " leadership courageux " des dirigeants saoudiens à cet égard.

Elle intervient aussi alors que l’Opep+, cartel des pays exportateurs de pétrole mené par Ryad, a décidé jeudi de doper sa production après des mois d’attentisme malgré l’envolée des prix, répondant ainsi aux appels des Occidentaux.

 

Jeudi, le responsable américain sous couvert d’anonymat a minimisé l’enjeu des droits humains, affirmant que l’administration Biden s’inquiète de la question en Arabie " comme avec de nombreux pays avec qui nous partageons des intérêts ". " Il y a aussi des priorités stratégiques auxquelles il est important de répondre, et nos contacts et notre travail diplomatique s’est récemment intensifié ", a-t-il ajouté.

Mais le face-à-face avec " MBS " risque de faire grincer des dents au Congrès américain, jusque dans les rangs démocrates du président où la personnalité sulfureuse du prince héritier est très critiquée.

Lors d’une rare interview avec un média étranger publiée en mars par la revue The Atlantic, Mohammed ben Salmane avait laissé entendre qu’une dégradation des relations avec l’Arabie risquait de nuire à Joe Biden. " C’est à lui de penser aux intérêts de l’Amérique ", avait-il dit. Prié de dire si le président américain de 79 ans avait mal cerné sa personnalité, le jeune dirigeant saoudien avait lâché: " Cela m’est tout simplement égal. "

Avec AFP