Alors que l’économie mondiale devrait connaître sa plus forte décélération suivant une reprise depuis la Seconde Guerre mondiale, la Banque mondiale a fortement abaissé mardi ses prévisions de croissance mondiale pour cette année. En cause: la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid-19, les hausses des prix qui en découlent… l’institution basée à Washington alerte sur les risques d’une stagflation.

En Inde, grenier à blé, a décidé de protéger récemment sa production. Le deuxième producteur mondiale se retrouve sollicité alors que la guerre en Ukraine risque de provoquer une crise alimentaire. Mais l’Inde fait également face à ses propres déboires: certaines régions sont accablées depuis plusieurs mois par une vague de chaleur inédite, atteignant parfois les 50 degrés.
Ralentissement brutal
L’institution de Washington prévoit désormais une hausse du produit intérieur brut mondial de 2,9%, contre 4,1% estimé en janvier. " L’économie mondiale devrait connaître sa plus forte décélération suivant une reprise (…) en plus de 80 ans ", a souligné mardi la Banque mondiale, dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales.Il en résulte un " risque de stagflation considérable avec des conséquences potentiellement déstabilisatrices pour les économies à revenu faible et intermédiaire ", a déclaré à des journalistes David Malpass, son président. Ce ralentissement brutal intervient après une reprise économique soutenue l’an passé (+5,7%), consécutive de la profonde récession provoquée par la pandémie de Covid-19.
Dans une clinique du Tchad, une mère veille sur son enfant victime de malnutrition.

" En venant s’ajouter aux dégâts causés par la pandémie de Covid-19, l’invasion russe de l’Ukraine a accentué le ralentissement de l’économie mondiale ", résume la Banque qui en janvier avait déjà abaissé ses prévisions en raison du variant Omicron.

Conjoncture ukrainienne

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février et les sanctions occidentales contre Moscou ont fait grimper les prix des céréales et du pétrole, menaçant d’aggraver la faim dans les pays pauvres. Les économistes de la Banque mondiale s’attendent à ce que ce rythme de croissance perdure jusqu’en 2023-2024, la guerre en Ukraine perturbant fortement l’activité, l’investissement et le commerce à court terme.

Les sanctions occidentales, en particulier contre les hydrocarbures russes, ont renforcé l’inflation déjà présent aux États-Unis. Un pari difficile pour le président Joe Biden qui arrive aux mid-terms.

" En raison des dommages conjugués de la pandémie et de la guerre, le niveau de revenu par habitant dans les pays en développement sera cette année inférieur de près de 5% à la tendance qui avait été projetée avant le Covid ", déplore par ailleurs l’institution.

" Pour bien des pays, il sera difficile d’échapper à la récession ", estime le président de la Banque mondiale. M. Malpass exhorte à éviter les restrictions commerciales, tout en recommandant de modifier les politiques budgétaires, monétaires, climatiques et d’endettement (…) " pour remédier à l’affectation inappropriée des capitaux ".

Stagflation

Dans son rapport, l’institution fournit par ailleurs la première comparaison des conditions économiques mondiales actuelles avec la stagflation des années 1970. Les économistes ont évalué en particulier la façon dont la stagflation pourrait affecter les économies de marché émergentes et en développement.

Des passants londoniens avec en arrière-plan une boutique fermée proposant des produits bradés à une livre sterling.

Ils notent que la situation actuelle est comparable à celle des années 1970 à trois titres: " des perturbations persistantes de l’offre qui alimentent l’inflation, précédées d’une période prolongée de politique monétaire très accommodante dans les principales économies avancées; des projections de ralentissement de la croissance; des économies émergentes et en développement vulnérables face à la nécessité d’un durcissement de la politique monétaire pour maîtriser l’inflation ".

Pour autant, il y a des distinctions majeures puisque le dollar est fort alors qu’il était très faible à l’époque. De plus, l’ampleur des hausses de prix des produits de base est plus modérée, et les bilans des principales institutions financières " sont généralement solides ".

David Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale.

" Plus important encore, et contrairement aux années 1970, les banques centrales des économies avancées et de nombreuses économies en développement ont désormais des mandats clairs envers la stabilité des prix ", relèvent les économistes.

Forte récession mondiale

La Banque mondiale a révisé en baisse les prévisions de croissance pour de nombreuses économies, à commencer par les deux grands: les États-Unis (+2,5%), en baisse de 1,2 point de pourcentage, et la Chine (+4,3%) à -0,8 point. Pour la zone euro, la révision est encore plus forte: -1,7 point à 2,5%. A contrario, la croissance de la région Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord a été révisée en hausse (+0,9 point, à 5,3%), celle-ci bénéficiant de la hausse des prix du pétrole (+42% prévu cette année).

La Banque mondiale prévoit enfin un ralentissement de l’inflation l’année prochaine. " Si l’inflation reste élevée, la répétition des solutions adoptées lors de la précédente stagflation pourrait se traduire par une forte récession mondiale, ainsi que par des crises financières dans certaines économies émergentes et en développement ", met en garde la Banque.

Elle a aussi prévu un scénario du pire, qui inclurait des hausses de taux plus rapides aux États-Unis provoquant un " stress financier aigu " dans les pays émergents et des nouveaux confinements en Chine. La croissance mondiale pourrait alors chuter " plus fortement en 2022 et diminuer de près de moitié en 2023 tombant respectivement à 2,1% et 1,5% ".

Avec AFP