La Turquie a décidé de changer de nom et d’opter pour " Türkiye ". Quelle est la cause de cette décision? Ici Beyrouth a posé la question à Jean Marcou, spécialiste de la Turquie et professeur à Sciences Po Grenoble.

Le gouvernement turc a adressé une lettre formelle à l’Onu afin de changer le nom de la Turquie et d’opter pour " Türkiye ". Quelle est la motivation des autorités turques sur ce plan ? Ici Beyrouth a posé la question à Jean Marcou, spécialiste de la Turquie et professeur à Sciences Po Grenoble. " Le changement est immédiat ", a indiqué à l’AFP Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.

" Certains peuvent estimer que ce changement de nom est idiot, mais cela place Erdogan dans le rôle du protecteur et de la sauvegarde du respect international à l’égard du pays ", analyse Mustafa Aksakal, professeur d’histoire à l’université Georgetown de Washington, cité il y a quelques jours par le New York Times.

Le journal rappelle qu’en juin 2023, après 20 ans de pouvoir de M. Erdogan, la Turquie connaitra une élection présidentielle et elle célèbrera également le centenaire de sa fondation après le démantèlement de l’Empire ottoman.

Il pourrait s’agir d’une mesure à caractère électoral pour flatter les franges nationalistes turques, alors que la crise économique ne fait que s’aggraver dans le pays. L’AKP, le parti du président, pourrait ainsi profiter de ce changement de nom, selon un expert contacté par la BBC.

La traduction de Turquie en anglais signifie " dinde " ; est-ce le seul motif qui pousse Recep Tayyip Erdogan au changement de nom en Türkiye, ou existe-t-il un aspect historique derrière cette démarche ? Jean Marcou estime à ce sujet qu’il s’agit là d’une " opération de communication ". " Tout d’abord parce que ce mot Türkiye a des racines diverses, précise-t-il. En réalité, ce sont les Anglais qui ont appelé la dinde turkey, en pensant qu’elle venait de Turquie, puisqu’elle a été rapportée par des voyageurs de Turquie. Alors qu’il s’avère que la dinde viendrait plutôt d’Afrique. D’autres pays, comme la France, l’ont fait venir des Indes, d’où son nom en français dinde, et cela se dit hindi en Turquie ".

" Il est donc amusant de constater qu’au départ, il y a eu une fausse route qui a créé cette homonymie, et qui ne serait pas exacte d’un point de vue scientifique, ajoute M. Marcou. Ensuite, il est vrai que le mot turkey ne passe pas bien dans les brochures publicitaires et touristiques, or il faut bien voir que la Turquie est devenue l’une des destinations touristiques les plus importantes ".

" Par contre, poursuit-il, on peut s’interroger sur le mot choisi pour le remplacer. Türkiye est le nom de la Turquie en turc. Est-ce que cela recoupe une volonté de retour aux origines, voire une dimension plus nationaliste ? Je pense que c’est surtout un objectif de marketing. C’est l’impression que l’on a quand on regarde le nouveau clip touristique, il n’y a pas de message nationaliste. C’est donc aussi une manière de positionner le Turc sur la scène internationale ".

Pourquoi cette démarche survient-elle maintenant ? Y a-t-il un agenda politique interne, ou la Turquie prend-elle exemple sur d’autres pays ? " Il y a d’autres pays qui ont changé leur nom, je pense à certains pays d’Afrique comme le Burkina Faso, ou d’Extrême-Orient comme le Myanmar (la Birmanie), indique M. Marcou Il y avait une volonté de rompre avec des appellations qui remontaient à la colonisation, qui était une donnée au pays imposée de l’extérieur. Pour Türkiye, ce n’est pas le cas, le pays n’ayant jamais été colonisé. Je pense que le processus est différent ".

Photo par GIL COHEN-MAGEN / AFP

Et de conclure : " Le paradoxe, c’est qu’on abandonne l’anglais au moment où il existe un accroissement de l’internationalisation. L’aéroport d’Istanbul est désormais un hub, un passage obligé d’interconnexion pour rejoindre les continents, de l’Afrique aux États-Unis. Les clips diffusés au sein des appareils de Turkish Airlines affichent depuis longtemps le mot " Türkiye ". Ceci dit, en réponse à la question de savoir si la Turquie était dénigrée par la confusion Türkiye/dinde, personnellement, je n’avais pas cette impression ".