La réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres du G20 vendredi à Bali a été marquée par de larges condamnations de l’invasion russe de l’Ukraine par les États-Unis et ses alliés occidentaux. Les critiques contre Moscou ont poussé le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, à quitter la salle de conférence à plusieurs reprises. En parallèle, le président russe Vladimir Poutine a mis en garde, depuis Moscou, contre les conséquences " catastrophiques " des sanctions sur l’approvisionnement en énergie des pays européens consommateurs. La réunion de Bali s’est clôturé sans aucune décision concrète concernant les crises alimentaire et énergétique qui touchent la planète.

Poutine avertit des conséquences " catastrophiques " des sanctions pour l’énergie

Le président russe Vladimir Poutine a mis en garde vendredi contre les conséquences d’une " utilisation plus poussée de la politique des sanctions car elle peut entraîner des conséquences encore plus graves, sans exagérer, voire catastrophiques, pour le marché mondial de l’énergie ".

" Les sanctions contre la Russie causent beaucoup plus de dommages précisément aux pays qui les imposent ", a-t-il encore affirmé, une phrase qu’il répète à l’envie, notant l’envolée des prix de l’énergie dans les pays occidentaux.

Il s’est réjoui que les autres pays producteurs de pétrole résistent aux demandes occidentales d’augmenter leur production de pétrole pour compenser le pétrole russe boycotté et empêcher une hausse des prix.

L’offensive lancée fin février par Moscou en Ukraine a provoqué une pluie sans précédent de sanctions occidentales, dont un embargo sur le pétrole russe imposé par Bruxelles et Washington.

Moscou, en réponse aux sanctions occidentales, a sabré ces dernières semaines ses livraisons de gaz aux Européens, toujours très dépendants des hydrocarbures russes malgré leurs récents efforts pour diversifier leurs fournisseurs.

Sergueï Lavrov a quitté plusieurs sessions après que Moscou a essuyé des critiques acerbes de la part des Occidentaux.

Le transit de gaz russe à travers l’Ukraine a ainsi atteint un plus bas historique en juin. A cela s’ajoute l’inquiétude montante en Allemagne, à la veille de l’arrêt total à partir de lundi du gazoduc Nord Stream 1 en raison de travaux de maintenance.

En conséquence, les prix de l’énergie ont flambé, alimentant une envolée de l’inflation au risque de plomber durablement la consommation et la croissance.

Lavrov boude les réunions à Bali

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a quitté vendredi à la mi-journée une réunion avec ses homologues du G20 en Indonésie après un flot de déclarations occidentales condamnant l’invasion de l’Ukraine par Moscou.

M. Lavrov et son homologue américain, le secrétaire d’Etat Antony Blinken, étaient réunis pour la première fois depuis le début de la guerre en février à l’occasion de cette rencontre rassemblant les chefs de la diplomatie des 20 plus grandes économies mondiales.

Le sommet, organisé sur l’île de Bali, n’a débouché sur aucune décision concrète, mais a donné lieu à une confrontation entre Moscou et les Occidentaux.

Moscou a estimé que les Occidentaux avaient " échoué " dans leur projet de boycotter la Russie, selon la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.

Mais les participants ont " exprimé leur profondes inquiétudes à propos des conséquences humanitaires de la guerre " en Ukraine, a précisé la ministre indonésienne des Affaires étrangères, Retno Marsudi, en clôturant la réunion.

L’Indonésie, qui s’est efforcée de maintenir une position de neutralité en tant que pays hôte du G20, avait à son ouverture appelé à la fin du conflit, soulignant ses graves conséquences dans le monde entier.

" Il est de notre responsabilité de terminer la guerre au plus tôt et de régler nos différends à la table des négociations, pas sur le champ de bataille ", avait déclaré Mme Marsudi, en présence de M. Lavrov.

L’effet de la guerre " se fait sentir dans le monde entier, sur l’alimentation, l’énergie et les budgets ", a-t-elle souligné. " Et comme toujours, les pays pauvres et en développement sont les plus touchés ".

Antony Blinken a dénoncé la responsabilité de la Russie dans les crises alimentaires et énergétiques mondiales. (AFP)

Le G20 n’a pas unanimement condamné l’invasion russe, seuls " certains membres " l’ayant fait, a souligné Mme Marsudi.

Les Occidentaux ont estimé néanmoins avoir réussi à élargir le front contre la Russie et à attribuer clairement la responsabilité de Moscou dans la guerre et les crises énergétique et alimentaire mondiales qu’elle a suscité.

Isoler la Russie

" Ce que nous avons déjà entendu aujourd’hui est un important choeur du monde entier, pas seulement des Etats-Unis pour (…) que l’agression (russe) cesse ", a ainsi déclaré à la presse Antony Blinken.

" La Russie a été tellement isolée, que Lavrov est parti de la conférence à la mi-journée, après avoir parlé ", a déclaré la ministre des Affaires étrangères française Catherine Colonna dans une interview à l’AFP.

Aucun Etat, même parmi les membres des BRICS, grands pays en développement plus proches de Moscou, n’a " défendu l’attitude russe ", a-t-elle précisé.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a estimé que Sergueï Lavrov " n’avait pas écouté les autres " au cours de la réunion.

" Ce n’était pas la façon la plus constructive d’assister à une réunion du G20 ", a-t-il relevé auprès de l’AFP.

Selon un responsable occidental, voulant rester anonyme, la Russie " a été surprise du nombre de participants du G20 qui ont fait des déclarations fortes contre l’agression russe ".

Un autre responsable a suggéré que Vladimir Poutine allait réfléchir à deux fois avant de se rendre au sommet des chefs d’Etat prévu à Bali en novembre devant les critiques qu’a dû affronter son ministre des Affaires étrangères.

Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, ici avec son homologue indonésienne Retno Marsudi, avait rencontré dès jeudi son homologue russe pour des discussions dominées par l’Ukraine.

M. Lavrov n’a pas assisté à la session de l’après-midi au cours de laquelle le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, s’est exprimé en ligne et Antony Blinken a condamné la Russie.

M. Blinken avait refusé de rencontrer son homologue russe séparément, et a dénoncé la responsabilité de la Russie dans les crises alimentaires et énergétiques mondiales, en lui demandant notamment d’autoriser la sortie des céréales d’Ukraine.

M. Lavrov a souligné pour sa part que Moscou ne courait pas après Washington pour des pourparlers.

Le chef de la diplomatie russe a reproché aux pays occidentaux d’instrumentaliser l’arène du G20 plutôt que de discuter des grands problèmes mondiaux.

" Nos partenaires occidentaux cherchaient à éviter de parler des questions économiques mondiales. Dès qu’ils prenaient la parole, ils se lançaient presque tout de suite dans une critique effrénée de la Russie sur la situation en Ukraine, en nous qualifiant d’agresseurs ", a-t-il regretté.

Antony Blinken avait rencontré auparavant les ministres français, allemands et un représentant britannique pour parler de cette guerre " injustifiable et non provoquée ", a indiqué le département d’Etat. Ils y ont examiné " les façons de répondre aux inquiétudes sur la sécurité alimentaire mondiale qui résultent du ciblage délibéré par la Russie de l’agriculture ukrainienne ".

Les Etats-Unis, soutenus par une partie de leurs alliés occidentaux, avaient appelé à exclure la Russie des forums internationaux.

Mais l’Indonésie, soucieuse de sa neutralité, avait invité le ministre des Affaires étrangères russe tout comme son homologue ukrainien.

Ce dernier, Dmytro Kuleba, a demandé aux participants de " se remémorer les 344 familles qui ont perdu leurs enfants en écoutant les mensonges russes ".

" Le ministre du pays responsable de leur décès est devant vous aujourd’hui pour partager ses pensées sur la manière dont la Russie voit la coopération dans notre monde globalisé ", a-t-il poursuivi.

Prélude au sommet des chefs d’Etat en novembre

La réunion a par ailleurs été assombrie par l’annonce de l’attaque qui a coûté la vie à l’ex-Premier ministre japonais Shinzo Abe lors d’un meeting électoral dans son pays, et auquel plusieurs ministres ont rendu hommage.

Ce G20 devait être un prélude au sommet des chefs d’Etat qui doit se tenir à Bali en novembre, initialement consacré aux moyens d’assurer la reprise mondiale après la pandémie de coronavirus.

Mais l’invasion de l’Ukraine a changé les priorités, avec des Occidentaux vent debout contre l’offensive russe, et l’envolée des prix alimentaires et de l’énergie.

Signe des tensions dans cette réunion, il n’y aura pas de photo de groupe à la fin, contrairement à la tradition, a précisé un responsable indonésien.

Les combats continuent à Donetsk

En Ukraine, les critiques occidentales n’empêchaient pas vendredi l’armée russe, après quatre mois et demi de guerre, de continuer à pilonner la région de Donetsk dans l’intention de s’emparer de l’ensemble du bassin du Donbass, son objectif stratégique depuis qu’elle s’est retirée des environs de Kiev fin mars.

Les frappes russes dans la région de Donetsk ont fait en 24 heures six morts et 21 blessés, a annoncé le gouverneur ukrainien Pavlo Kyrylenko.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est rendu vendredi dans la ville de Dnipro, proche du théâtre des opérations militaires.

L’armée ukrainienne a affirmé avoir repoussé une tentative d’avancée russe près de Sloviansk mais reconnu une progression ennemie au sud de Siversk.

Dans la région de Kharkiv (nord-est), la deuxième ville du pays, les bombardements russes ont fait 4 morts et 9 blessés parmi les civils en 24 heures, a indiqué le gouverneur Oleg Sinegoubov.

Dans le sud, Kiev a fait état d’explosions vendredi matin dans la région voisine de Mykolaïv, d’où partent les tentatives de contre-attaque vers Kherson, ville occupée depuis les premiers jours de la guerre.

Enfin, à Moscou, un élu municipal a été condamné à sept ans de prison pour avoir dénoncé l' "agression " contre l’Ukraine, en pleine vague répressive pour faire taire toute critique dans le pays.

Avec AFP