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Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions.  Ils ont quand même laissé le MV Rhosus, chargé de 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium, amarrer en 2014 au port de Beyrouth et décharger sa cargaison qui est restée sur place jusqu’à l’explosion du 4 août 2020.

Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont quand même laissé, à 17h30, les pompiers se diriger vers le port de Beyrouth pour éteindre un feu qui s’était déclenché dans le hangar no 12 où le nitrate d’ammonium était stocké.

Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont quand même laissé à 18h07 la porte d’entrée sortir de ses gonds pour s’abattre sur le dos de la mère qui, à la première explosion, a couru prendre sa fillette dans ses bras pour essayer de la sauver. La petite jouait paisiblement avec ses poupées, assise devant les vitres du salon.

Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont quand même laissé à 18h07 les vitres voler en éclats et frapper mortellement à la poitrine l’enfant qui dînait tranquillement, installé sur sa chaise haute aux côtés de ses parents.

Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont quand même laissé à 18h07 le mur de la cuisine s’abattre et ensevelir la jeune femme qui était de passage chez elle ce jour-là pour arroser ses plantes.

Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont quand même laissé à 18h07 les carreaux en porcelaine de la cuisine s’arracher puis s’abattre sur le dos de la vieille dame qui était assise sur une chaise dos au mur. À ce moment-là, elle fumait tranquillement une cigarette en sirotant son café.

Il y a tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont quand même laissé à 18h07 la double explosion avoir lieu au port de Beyrouth pour préserver leurs propres intérêts. D’un coup, plus de 300.000 personnes se sont retrouvées sans abri, 6.000 personnes ont été blessées et plus de 200 personnes sont décédées sur-le-champ.

La frustration de les voir tous, trois ans plus tard, circuler encore en toute liberté et en toute impunité est immense; justement parce que certains juges encore en place et en charge de ce dossier sont de connivence avec tous ceux qui le savaient, mais qui n’ont rien dit, avant le 4 août 2020, parce que ça ne relevait pas de leurs fonctions.

Quant à l’hypocrisie de la communauté internationale, elle est innommable. Jusqu’à ce jour, personne n’a encore remis les images satellites qui pourraient déterminer la cause de l’explosion et, par conséquent, désigner les coupables pour qu’ils soient jugés.

Il y a quelque chose de désespérant chez nous Libanais. Tous les crimes commis de 1975 à ce jour sont restés impunis et les vrais coupables n’ont jamais été désignés ni jugés. Pire, nous trouvons toujours moyen de réélire les mêmes responsables de nos malheurs, comme si on n’en avait pas eu assez des horreurs commises à nos dépens.

Tout compte fait, il n’y a pas de quoi être surpris du résultat: comme on fait son lit, on se couche.