Elle s’appelle Samira. Elle est ma cousine germaine. Elle a grandi dans un appartement dont l’espace était aussi grand qu’un créneau. Son papa, qui ne parvenait pas à faire des économies de bouts de chandelle, avait une appétence sexuelle à telle enseigne qu’il remit, à la clémence du Bon Dieu, le sort de sept enfants alors qu’il se démenait comme un diable dans l’eau bénite pour se tirer de la mouscaille dans laquelle il se trouvait. Il était cafetier. Il touillait le café à longueur de journée, comme le mauvais sort, celui de sa fille. Un métier de tout repos qui reflétait une rétribution conséquente. Samira avait la douceur veloutée d’un pétale de rose, et la foi du charbonnier, même si Dieu était sourd à la douleur lancinante qui la rongeait en raison d’une maladie qui n’avait pas de nom. Stoïque, elle ne permettait pas à cette dernière d’éroder son moral ni son attachement à la vie. Elle y réussissait souvent, elle y échouait parfois. Elle pleurait quelquefois. Le reste du temps, elle séchait ses yeux. Elle avait le regard irisé d’une tristesse pérenne qui me rendait joyeux à chaque fois que je la visitais, car son sourire immuable était toujours victorieux. Ma faconde proverbiale, intercalée de boutades, retardait sa mort d’une blague à l’autre. Je faisais le pitre pour épanouir son sourire en un éclat de rire aussi brillant qu’une rivière de diamants. Elle me qualifiait dès lors de fou, de loufoque, de zinzin, de cousin préféré. Si j’étais toujours en vie, c’était parce qu’elle allait mourir. Souvent elle me confiait qu’elle voulait en finir avec sa souffrance, avec le seul regret de ne pas avoir goûté un baiser, son premier et certainement son dernier, ou de s’être abandonnée à une caresse comme un colibri au nectar d’une fleur, ou bien alors, de se bichonner pour se rendre à un rendez-vous amoureux, le cœur battant, les bras ouverts, les lèvres palpitantes de soupirs. Ses jours s’égrenaient au rythme à l’identique de son calvaire. Je passais fréquemment la voir pour me faire à l’idée de sa disparition imminente. Aussi, sa joie de vivre remettait aux calendres grecques l’appel incessant de mon aspiration au suicide. Elle ne se débattait pas contre la mort qu’elle acceptait comme un fait accompli. Plus sa maladie avançait, progressait, plus elle se précipitait à la rencontre du Sauveur. Plus elle courait vers le Seigneur, plus je m’éloignais de Lui pour n’être pas en mesure de lui épargner la vie. Un jour, elle plia sa fatalité dans une valise qu’elle déposa en Suède. Et c’est dans un pays glacial qu’elle opta de refaire sa vie avec la mort. Elle avait 28 ans.

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Marie

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