La ligne 29 est une ligne rouge. L’abandonner serait une haute trahison, d’autant que le Liban traverse l’une des pires crises économiques au monde, dont les retombées persistent depuis le 17 octobre 2019.
En près de deux ans et demi, la monnaie nationale s’est dépréciée de plus de 95%, le chômage et l’inflation ont explosé, mettant une grande partie de la population en situation d’extrême pauvreté et d’insécurité alimentaire.
Pire encore, c’est au compte-goutte et au prix de longues attentes et d’humiliations que les épargnants peuvent retirer, en livres dévaluées, une fraction de ce qui reste de leurs dépôts dans les banques libanaises. Par ailleurs les prix des produits et services ont augmenté de plus de 230%.

La classe politique a vidé les caisses de l’Etat et a même détourné à son profit la majeure partie de l’aide financière étrangère accordée au Liban après la guerre civile de 1975-1990, estimée à près de170 milliards de dollars, selon le Fonds monétaire international. La somme de 250 milliards a été dépensée entre 1993 et 2020 pour des projets fantômes puisque, jusqu’à présent, le Liban n’a ni électricité, ni eau potable, ni une infrastructure décente pour un service catastrophique qui est néanmoins un des plus chers au monde.

La terrible explosion du 4 août 2020 n’a fait que catalyser une crise systémique de long terme et illustrer l’ampleur de la corruption des élites dirigeantes. Aussi, face à l’effondrement économique qui paupérise chaque jour un peu plus de la population et aux crises qui se multiplient, les dirigeants libanais veulent exploiter en urgence les gisements gaziers, indépendamment de leurs échecs répétitifs dans la gestion de ce dossier, dont notamment l’erreur commise lors de la délimitation de la frontière maritime avec Chypre qui avait coûté au Liban plus de 2.000 km².

Le conflit frontalier remonte à l’année 2010, après la découverte de potentielles ressources gazières dans les fonds marins au niveau de la zone frontalière en Méditerranée. À l’époque, les différends portaient sur 860 km² de surface maritime revendiquée par le Liban au niveau des lignes 29 et 23, qui partent toutes les deux de Ras Naqoura. Le diplomate américain Frédéric Hof, à l’époque en charge de la médiation, proposait une ligne frontalière attribuant 55% de la zone contestée au Liban et 45% à Israël. La ligne Hof n’avait cependant contenté aucune de deux parties, notamment le Liban pour qui les méthodes de calcul utilisées sont contraires au droit international.

En octobre 2020 la mise en place d’un accord cadre a permis le lancement de discussions indirectes dans le quartier général de la FINUL à Naqoura. L’alliance politique au pouvoir était favorable à des négociations sur la base de la ligne 23. Fort heureusement, l’armée libanaise s’était fermement opposée à ce découpage, en se fondant sur une argumentation juridique consignée en 2011 dans un rapport du Bureau hydrographique de la Grande-Bretagne, lequel a été rendu public en décembre 2020. Celui-ci estime que la ligne 29 constitue la frontière de la Zone exclusive libanaise, ce qui donne au Liban le droit à une superficie supplémentaire de 1.430 km². Elle part de Ras Naqoura, tandis que la ligne 23 s’éloigne de Ras Naqoura de 800 km2, ce qui équivaut à une perte pour le Liban si cette ligne est adoptée. La ligne 29 est en outre conforme à l’article 15 de la Convention des Nations Unies sur les frontières maritimes. Elle constitue une ligne équidistante entre les deux côtes libanaise et israélienne.

Pour ce qui est de la performance de la délégation libanaise aux négociations indirectes avec Israël, force est de constater qu’elle est conforme au rôle de l’armée qui a toujours défendu les droits du peuple et les intérêts suprêmes de la nation. La délégation libanaise s’est appuyée sur tous les documents historiques qui soutiennent le droit libanais. Elle a surpris les Israéliens et les Américains par la force des arguments qu’elle a présentés en défense de la ligne 29. C’est elle qui a proposé de modifier le décret 6433 pour permettre au Liban de réclamer les 1.430 km2 supplémentaires en mer, sur base de la ligne 29.

En raison de la persévérance des négociateurs libanais, le Premier ministre Hassane Diab et les ministres concernés sont convenus de modifier le décret 6433, notamment après avoir recueilli un avis en ce sens du service concerné auprès du ministère de la Justice. Adopter la ligne 23 pour le tracé des frontières a été considéré comme une erreur.

Dans ce contexte, il faut rappeler que la Constitution libanaise stipule que le Liban est un État indépendant avec une unité indivisible et une souveraineté complète et qu’il est inadmissible d’abandonner une quelconque partie du territoire libanais. Parallèlement, l’article 277 du Code pénal stipule: "Tout Libanais qui, par des actes, discours, écrits ou autres, tentera de se tailler une partie du territoire libanais pour l’annexer à un pays étranger ou pour lui conférer un droit ou privilège propre à l’État libanais, sera puni d’une peine de détention pendant au moins cinq ans. Si le coupable, au moment de commettre l’acte, appartenait à l’une des associations ou organisations visées aux articles 298 et 318, il sera puni de la réclusion à perpétuité. "
Aussi, nous appelons le peuple libanais, à l’intérieur du pays et à l’étranger, à agir avec nous pour s’opposer à cette atteinte à ses intérêts.

Nous invitons tous les citoyens et citoyennes de tous partis, communautés, syndicats, associations, instances et fédérations, ainsi que les jeunes, les étudiants, les femmes et tous les intellectuels, professeurs d’université, enseignants des secteurs public et privé et de l’ensemble du corps judiciaire, militaires à la retraite, magistrats, administrateurs, et tous les professionnels de l’audiovisuel et de la presse écrite à se mobiliser autour de notre mouvement national pour préserver notre terre.

Dans ce contexte, nous estimons que la souveraineté du Liban sur ses champs maritimes est entravée par la ligne Hof et nous sommes fermement opposés à toutes négociations qui ne reposent pas sur la ligne 29.

Nous demandons au Conseil des ministres de se réunir immédiatement et d’approuver la proposition d’amendement du décret 6433 avancée par le commandement de l’armée et de l’envoyer sans tarder aux Nations Unies.  Nous invitons également la Chambre à se réunir rapidement et à refuser de revenir à la ligne 23. Nous appelons au maintien de la délégation libanaise aux négociations indirectes ainsi qu’à l’annulation du décret 43 et l’application de la loi 132 pour confier l’exploration gazière et pétrolière à une entreprise publique.

*Mouvement des citoyens libanais du monde (MCLM)