Comment résumer celui qui a incarné l’âme de la Grèce de tous les points de vue en quelques lignes ? L’entreprise est vaine. Car Míkis Theodorakis était beaucoup plus qu’un compositeur de génie ou une personnalité politique marquante. Il avait fini par se confondre avec l’esprit de son pays et l’histoire de sa résistance pour la liberté.

Né à Chios, limitrophe de la Turquie, d’un père crétois et d’une mère anatolienne, Theodorakis écrit ses premières compositions à douze ans et donne son premier concert à l’âge de 17 ans, à Tripoli, dans le Péloponnèse. Mais, avec l’occupation de la Grèce par les puissances de l’Axe en 1941, il entre dans la résistance et est arrêté et torturé en 1942, puis de nouveau en 1943. L’occasion pour lui de devenir marxiste et d’entrer, à sa libération, dans la clandestinité à Athènes en tant que membre de la résistance armée – tout en suivant des cours au Conservatoire d’Athènes ! Après la Libération, il entre dans la lutte contre la prise de pouvoir par les forces contre-révolutionnaires qui engendre la guerre civile en Grèce de 1945 à 1949. Le 26 mars 1946, il est si violemment battu par la police lors d’une manifestation, qu’il est considéré comme mort et transporté à la morgue. Déporté une première fois en 1947 à l’île d’Ikaria, il doit y retourner en juin 1948, sous un régime beaucoup plus sévère et brutal, puis est transféré en décembre 1948 à l’île de Makronissos, où un “centre de rééducation” est installé. Torturé et deux fois enterré vivant, Theodorakis, qui est l’un des rares à sortir de cet enfer, souffrira durant dix ans de la tuberculose, contractée dans l’île. Ce qui ne l’empêche pas d’obtenir son diplôme en harmonie, contrepoint et fugue du Conservatoire en 1950 !

En 1954, il s’installe à Paris où il s’inscrit au Conservatoire et obtient en 1957 la médaille d’or pour ses compositions classiques (musiques de ballets, symphonies et sonatines pour violon et piano) au Festival de Moscou, dont le président du jury est Dmitri Chostakovitch, premier d’une longue série de prix internationaux. Il entame également ses compositions de musiques de film, qui deviendront de plus en plus nombreuses au cours des années suivantes, culminant naturellement avec la musique légendaire de Zorba the Greek (1964) de Michaël Cacoyannis (même s’il compose également pour Jules Dassin et Anatole Litvak). Au début des années 60, il découvre la musique populaire grecque et rend hommage à l’oeuvre poétique du grand poète Yannis Ritsos, initiant un grand mouvement révolutionnaire de redécouverte du patrimoine musical de son pays. Il poursuivra ses hommages au patrimoine poétique grec toute sa vie, notamment à Odysseas Elytis, auquel il consacre l’une de ses oeuvres majeures, l’oratorio *Axion Esti*, ou encore Georges Séféris.

Lors de l’assassinat du docteur Grigóris Lambrákis, figure révolutionnaire de gauche contre la dictature qui se met en place à l’époque – voir le film Z (1969) de Costa-Gavras, dont il a composé la bande originale – Theodorakis fonde et dirige la Jeunesse Démocratique Lambrakis (Lambrakidès), qui devient la plus forte organisation politique en Grèce. En 1964, il entre au Parlement et, avec les Lambrakidès, fonde plus de deux cents centres culturels dans le pays. Mais le coup d’État du 21 avril 1967 des colonels oblige Theodorakis à entrer à nouveau en clandestinité d’où il publie deux jours après le putsch, le premier appel à la résistance. Arrêté le 21 août 1967, il est emprisonné, torturé, puis placé en résidence surveillée, banni avec son épouse Myrto et ses deux enfants dans un village de montagne des Arcadies, et déporté au camp de concentration d’Oropos, où il contracte à nouveau la tuberculose. Il est finalement exilé à Paris le 13 avril 1970, à la suite de nombreuses campagnes internationales de solidarité, où sa famille le rejoint le 11 mai. Toutes ces expériences contribueront à façonner l’univers musical de Theodorakis et à nourrir son oeuvre révolutionnaire.

Mais c’est loin d’être fini. De son exil parisien, Theodorakis crée le “Conseil national de la résistance” (EAS), côtoie Pablo Neruda et Salvador Allende, Abdel Nasser, Tito, Yigal Allon, Arafat, Mitterrand, Olof Palme, Willy Brandt, mais aussi Georges Moustaki, Mélina Mercouri ou Costa-Gavras. Il met aussi toute son action musicale, à travers des tournées dans le monde entier et des milliers de concerts, pour la restauration de la démocratie en Grèce, et compose pour Sidney Lumet la musique de Serpico (1973).

Il rentre triomphalement en Grèce le 24 juillet 1974 et y poursuit son action politique et musicale, continuant à produire chef-d’oeuvre sur chef-d’oeuvre. Il sera entre autres réélu député au début des années 80, et nommé ministre d’État au sein du cabinet Mitsokatis en 1990, au sein duquel il s’engage dans la lutte contre la drogue, pour l’enseignement ou encore pour la réconciliation greco-turque. Les deux décennies 1980-2000 sont notamment marquées par la création d’opéras à succès international. Retiré de la vie publique au début des années 2000, il continuera inlassablement de composer, de s’engager dans des causes politiques – comme lors de la crise financière de la Grèce en 2011, jusqu’à être blessé dans les manifestations en février 2012 devant le Parlement – et humanitaires. Au terme d’une carrière unique, riche de plus de mille mélodies et parsemée des plus grandes distinctions et hommages internationaux en tous genres, que d’un prestige inégalé en Grèce dont il représente un pan de la mémoire collective politique et culturelle, il meurt le 2 septembre 2021 à Athènes à plus de 96 ans.

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