Le monde culturel arabe a été sévèrement endeuillé en 2021 par la perte d’un grand nombre d’artistes de talent, notamment égyptiens. Dans le domaine de la musique, la plus grande de ses pertes reste cependant celle de Sabaheddine Abou Qaws, le ténor syrien à la voix de Stentor, plus connu sous le nom de Sabah Fakhri, figure incontournable de la chanson arabe traditionnelle. Dès ses débuts, enfant, dans la tradition du chant coranique, puis dans les milieux soufis, Fakhri impressionne par sa voix. Aussi sera-t-il muezzin dans sa ville natale d’Alep, d’où il aurait lancé l’appel à la prière depuis la mosquée des Omeyyades lors de la visite de Nasser en 1958. Il fait ses études au Conservatoire d’Alep puis de Damas, sous la direction de différents *maestros* comme le compositeur et musicologue mystique aleppin Ali Darwich, spécialiste des maqams, des taqsims et du nay, mais aussi Omar el-Batch, un maître des mouwwachahats. Grâce au violoniste syrien Sami Shawa, il entre à l’institut de musique du Fakhri Baroudi, député syrien et fondateur du Bloc national syrien, où il perfectionne ses performances vocales. Si bien que le musicien en herbe adopte le nom du leader syrien en signe de reconnaissance.

Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Sabah Fakhri ne converge pas vers Le Caire, chef-lieu de la scène culturelle arabe dans les années 60, mais reste en terre natale. C’est par la radio, à travers qu’il conquiert la Syrie, en chantant le patrimoine syrien et plus largement arabe, notamment le tarab, le mawwal et les mouwwachahats d’Andalousie, qu’il contribue ainsi à populariser, comme Theodorakis l’a fait en Grèce avec le patrimoine musical hellène. Dans ce sens, il est un médiateur et un passeur, comme le maestro grec.

Pour accompagner les mouwwachahats, Fakhri remplace souvent dans ces concerts les petites formation traditionnelle de chambre par un grand orchestre constitué en grande partie d’instruments à cordes. Dans le style de l’époque, ses prestations en public durent plusieurs heures. Au Venezuela, en 1968, il réussit ainsi le record de chanter pendant plus de dix heures d’affilée ! De passage à Beyrouth, en 2013, pour l’une de ses dernières apparitions sur scène, Sabah Fakhri, affaibli, passe le relai à l’un de ses fils, Anas Abou Qaws. Sa disparition, le 2 novembre 2021, à l’âge de 88 ans, dans une Syrie déchirée et déracinée et d’un monde arabe exsangue, ne fait que rajouter aux malheurs culturel de la région. Maigre consolation, il aura droit aux vibrants hommages jonchés de superlatifs de la reconnaissance post-mortem, une spécialité bien de chez nous…

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