Depuis 1969, 17 médicaments d’origine marine ont été autorisés pour traiter des maladies humaines. Près de 40 autres sont à divers stades d’essais cliniques dans le monde.

Elles sont cachées dans les microbes des sédiments, dans une bactérie vivant en symbiose avec un escargot de mer ou dissimulées dans les sécrétions d’une éponge: les molécules qui fourniront un futur traitement révolutionnaire contre le cancer ou un nouvel antibiotique puissant sont recherchées au fond des mers par des scientifiques explorateurs.

Contraints par des budgets serrés et peu soutenus par les grands laboratoires, les scientifiques doivent souvent se greffer sur d’autres expéditions et rivaliser d’imagination pour récupérer leurs échantillons, parfois un simple tube de boue.

Lorsqu’une molécule découverte a enfin révélé ses bienfaits, sur la maladie d’Alzheimer ou l’épilepsie par exemple, il faut encore plus d’une décennie, et des centaines de millions de dollars, pour la transformer en médicament.

Cette exploration, innovante, mais encore modeste, est sous les projecteurs, en pleines négociations d’un traité crucial des Nations unies sur la haute mer. La dernière session de négociations, qui se conclut vendredi, tente de parvenir à un accord sur les zones marines protégées.

Les États se disputent le partage des bénéfices tirés des ressources génétiques marines, notamment celles utilisées dans les médicaments, les bioplastiques ou les additifs alimentaires, explique Daniel Kachelriess, coresponsable des négociations pour la High Seas Alliance, une coalition d’ONG. Pourtant, seul un petit nombre de produits issus de ressources génétiques marines se retrouvent sur le marché. Seulement sept enregistrés en 2019, selon lui.

Les droits de licences potentiels sont estimés entre 10 et 30 millions de dollars par an. Il y a probablement beaucoup plus à découvrir dans la phénoménale diversité biologique des océans.

Le "Salinispora tropica", un microrganisme marin utilisé dans des médicaments anticancéreux, observé au microscope. ©AFP

Anticancéreux

"Plus nous cherchons, plus nous trouvons", assure Marcel Jaspars, de l’Université d’Aberdeen en Ecosse. Depuis qu’Alexander Fleming, en 1928, a découvert une moisissure qui repousse les bactéries, la pénicilline, les chercheurs ont trouvé des molécules curatives dans les plantes, les animaux, les insectes et les microbes… sur terre.

"La grande majorité des antibiotiques et des médicaments anticancéreux proviennent de sources naturelles", rappelle William Fenical, professeur à l’Institut d’océanographie Scripps, en Californie. Quand ce pionnier de 81 ans, toujours à la tête d’un laboratoire, a commencé les recherches sur les molécules marines en 1973, le scepticisme régnait pourtant autour de la possibilité d’en faire autant sous la mer. Mais dans les années 1980, ses collègues et lui ont découvert un corail mou aux Bahamas. Il produisait une molécule anti-inflammatoire, qui a fini dans des cosmétiques d’Estée Lauder.

Les quantités nécessaires les ont finalement conduits à se concentrer sur les micro-organismes. Désormais, les chercheurs prélèvent des sédiments puis cultivent les microbes en laboratoire.

Toujours aux Bahamas, en 1991, les chercheurs ont identifié une bactérie inconnue, la Salinispora. Aujourd’hui, elle a débouché sur deux anticancéreux, désormais au stade des derniers essais cliniques.

Ascidie

Ce long parcours n’est pas une surprise pour Carmen Cuevas Marchante, responsable de la recherche de PharmaMar, société de biotechnologie espagnole. Pour son premier médicament, cette société a commencé par rassembler 300 tonnes d’ascidie bulbeuse, une de ces espèces d’invertébrés cylindriques accrochées aux rochers ou sous les bateaux. "Il nous a fallu une tonne pour isoler moins d’un gramme" de molécule nécessaire aux essais, a déclaré à l’AFP Mme Cuevas Marchante. L’entreprise en a tiré trois anticancéreux autorisés et a affiné ses méthodes de synthétisation.

Au total, 17 médicaments d’origine marine ont été autorisés pour traiter des maladies humaines depuis 1969, et une quarantaine d’entre eux sont à divers stades d’essais cliniques dans le monde, selon le site Marine Drug Pipeline. La plupart de ces médicaments traitent le cancer, mais on trouve aussi un antiviral contre l’herpès provenant d’une éponge de mer et un analgésique issu d’un escargot.

Selon les experts, ce nombre restreint s’explique en partie par l’énorme coût des essais – au-delà parfois du milliard de dollars – qui favorisent le développement des médicaments plus coûteux.

Il existe toutefois une "myriade" de recherches, de la malaria à la tuberculose, a déclaré Alejandro Mayer, professeur de pharmacologie à l’université Midwestern.

La molécule du prochain antibiotique ou du futur traitement contre le VIH attend peut-être enfouie dans une créature au fond des mers ou sagement cachée sous la coque d’un bateau. À moins qu’elle ne soit déjà en notre possession, dans les immenses bibliothèques de molécules qui restent à tester.

AFP/ Kelly Macnamara

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