L’épidémie de grippe a été sévère cet hiver, avec plusieurs virus qui ont circulé. Maintenant que la saison hivernale tire à sa fin, Ici Beyrouth fait le point avec le Dr Jade Nehmé, chef du service d’otorhinolaryngologie au Bellevue Medical Center.

L’épidémie de grippe a été particulièrement active cette année, contrairement aux années précédentes où peu de cas ont été signalés. À quoi cela est-il dû?

Plusieurs causes sont à l’origine de l’épidémie de grippe qui a sévi cette année, non seulement au Liban, mais dans le monde aussi. Le relâchement observé au niveau des gestes barrières qui étaient en vigueur au cours des trois dernières années a favorisé les contaminations aux virus hivernaux, notamment ceux de la grippe. Cette année, deux sous-types des virus de la grippe A, qui est particulièrement virulente, étaient en circulation: H1N1 et H3N2. Les symptômes de la grippe sont identiques à ceux du Covid-19. Il s’agit principalement d’une forte fièvre, d’un mal de gorge et d’une congestion nasale associée à un mal de tête. En tant que médecins, nous avons eu des difficultés à poser le bon diagnostic. De fait, en raison de la crise économique, tous les patients n’effectuaient pas systématiquement un test de dépistage, une PCR ou un test rapide. Nous étions donc confrontés à des pathologies qui prenaient du temps à guérir. Il faut toutefois savoir qu’une grippe traitée dans les 72 heures qui suivent le début des symptômes avec l’antiviral adéquat est rapidement contrôlée. Dans le cas contraire, les virus de la grippe vont entraîner des complications comme une sinusite ou une anosmie, c’est-à-dire une perte de l’odorat.

L’anosmie observée en cas d’une grippe est-elle différente de celle entraînée par le Covid-19?

Oui. Dans le cas d’une grippe, l’anosmie est due à une congestion nasale, parce que les voies aériennes sont bloquées. Dans le cas du Covid-19, l’anosmie peut être due soit à une congestion nasale soit au fait que le SARS-CoV-2, qui est un neurotrope (qui se fixe surtout sur le système nerveux), attaque les cellules olfactives.

Alors est-ce qu’il s’agit d’une grippe ou du Covid-19?

Ce n’est pas aussi simple. Mais, au fait, le problème est ailleurs. Les patients pour diverses raisons, aggravées par la crise économique, optent pour l’automédication. Ils s’autoprescrivent surtout des antibiotiques qui, dans la majorité des cas, sont déconseillés ou encore ne sont pas le traitement adéquat en termes de formulation, de dosage ou de durée de traitement. Résultat: on se retrouve avec des germes résistants et de nombreuses complications. D’où l’importance de poser le bon diagnostic dès le départ et d’administrer le traitement convenable, pour évier les complications, comme une otite chronique, notamment chez les enfants.

Mais la grippe cède maintenant la place aux allergies…

Tout à fait. Le printemps tout comme l’automne favorisent les allergies, qui sont exacerbées à cause de la poussière, de la moisissure et du pollen. Les cas de rhinite, d’urticaire, de conjonctivite, de toux et d’asthme sont en augmentation.

Quid de la pollution?

Je ne suis pas certain qu’au Liban la pollution est plus importante que dans d’autres parties du monde, d’autant que nous ne sommes pas un pays industriel. Sauf que nous avons un climat méditerranéen et que le pays compte de nombreuses forêts. Cet environnement est propice aux allergies. Avec les premières chaleurs, les symptômes allergiques apparaissent chez de nombreuses personnes: écoulement nasal, urticaire, larmoiement des yeux, crises d’asthme… c’est un tableau qui se différencie de l’état grippal par l’absence de fièvre.

Quelle attitude faut-il adopter?

Il est important que les personnes qui se savent allergiques prennent des mesures préventives en réduisant notamment l’exposition aux allergènes. Cela est d’autant plus important qu’il est plus facile de prévenir les allergies que de les traiter. Le fait même d’éviter un environnement allergène pendant quelques semaines permet d’éviter les pics allergiques. Il convient alors de ne pas aller en forêt durant la poussée des pollens, de garder les fenêtres fermées pendant la nuit pour éviter que les pollens ne pénètrent dans la chambre… Si ces mesures préventives sont observées et qu’on se lave le nez au quotidien, les résultats seront satisfaisants.

Les traitements sont-ils essentiellement symptomatologiques?

Si le traitement préventif s’avère insuffisant et que le patient est toujours symptomatique, un traitement médical peut alors être initié. Il faut savoir que les allergies sont classées en annuelles ou saisonnières, selon le facteur sous-jacent. Certaines personnes développent des allergies toute l’année. Celles-ci sont liés à l’environnement, au type de travail, aux acariens, moquettes, moisissures, à l’humidité ou encore à certains types d’aliments. Les allergies sont par ailleurs classées selon l’intensité des symptômes et leur sévérité en légères modérées ou sévères.

Les personnes allergiques recourent-elles aussi à l’automédication?

Oui, malheureusement. De nombreux patients sont convaincus que la cortisone traite tous leurs symptômes, alors que selon les recommandations internationales, l’utilisation abusive et aléatoire de la cortisone est contre-indiquée. C’est vrai que les symptômes peuvent diminuer temporairement, mais à long terme, l’usage inadéquat de la cortisone créera des complications. Nous constatons également un abus dans le recours aux antihistaminiques. Or ceux-ci sont prescrits dans des cas bien précis. La prise d’antihistaminiques en cas d’une infection virale peut entraîner une sinusite car ces médicaments assèchent les fosses nasales. De même, une allergie chronique non traitée peut entraîner une sinusite.

C’est un cercle vicieux…

Exactement. Il est impératif donc de consulter un spécialiste au cas où les symptômes persistent afin de mettre fin à ce cercle vicieux. Encore une fois, il est beaucoup plus difficile de traiter les complications que la pathologie à son début.

Un important travail de sensibilisation doit encore être effectué…

En effet, l’automédication se pratique sur conseil du voisin, alors que chaque patient est un cas différent. D’où l’importance de consulter, de chercher les facteurs sous-jacents qui entrent en cause dans la pathologie et de poser le bon diagnostic. Il faut savoir que nous disposons de plusieurs tests qui peuvent nous aider à déterminer les facteurs sous-jacents, comme les imageries, les scans des sinus, les tests allergiques, les tests sanguins, les immunoglobulines, les IgE spécifiques respiratoires, alimentaires… Ce sont des tests auxquels nous avons recours si le patient entre dans une chronicité. Avant d’en arriver là et avec la saison chaude qui commence, il est important que les personnes allergiques prennent les précautions nécessaires.