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Quatre décennies se sont écoulées depuis l’isolement en 1983 du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). L’histoire de cette épidémie a été marquée par des découvertes cruciales et une quête incessante pour comprendre ce virus complexe, aboutissant à la mise en place de thérapies antirétrovirales et à des avancées significatives dans la lutte contre le sida. Toutefois, un traitement curatif n’a toujours pas été découvert.

Au cours des trois dernières décennies, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1) s’est considérablement intensifiée pour devenir l’un des plus grands défis de santé publique à l’échelle mondiale. En 2022, plus de 39 millions de personnes à travers la planète étaient porteuses du virus. L’histoire de cette épidémie a été jalonnée par une succession d’événements déterminants qui ont conduit la communauté scientifique à se pencher sur ce virus éminemment complexe, afin de décortiquer ses mystères.

Tout commence en 1981. Le monde médical et scientifique est frappé par l’émergence du syndrome d’immunodéficience acquise: le sida. Cette irruption soudaine a engendré une course acharnée visant à en déterminer la cause. En cette même période, une découverte parallèle a projeté une lumière nouvelle sur le panorama médical: la détection de rétrovirus humains (le virus HTLV-1, le tout premier rétrovirus oncogène humain à avoir été identifié) au sein des lymphocytes T (type de globules blancs) de patients atteints de leucémie. Cette observation scientifique a aussitôt pavé la voie à la compréhension des mécanismes complexes liés à la réplication cellulaire.

Isolement du virus en 1983

Une hypothèse essentielle a dès lors pris forme: un rétrovirus apparenté au HTLV-1, avec une haute affinité pour les lymphocytes T, pourrait être étroitement lié au sida. L’examen rigoureux de cette hypothèse n’a toutefois été possible que grâce aux avancées de la recherche en virologie, et tout particulièrement sur les rétrovirus. Cette démarche a ouvert la porte à la possibilité d’isoler le virus présumé responsable du sida à partir d’échantillons provenant de patients porteurs du virus.

En effet, les progrès dans la culture à long terme des lymphocytes T humains, conjugués à la mise en place de méthodes de détection sensibles de marqueurs rétroviraux, ont permis l’identification précise des particules rétrovirales grâce à la microscopie électronique. Tout cet essor (bio)technologique a conduit, en 1983, à la découverte du VIH. Ce tournant décisif est atteint grâce à l’effort concerté de Luc Montagnier, Jean-Claude Chermann (le grand oublié du prix Nobel de médecine ou physiologie de 2008) et Françoise Barré-Sinoussi, qui sont parvenus à isoler le VIH-1.

Cycle de réplication du VIH

Quête incessante

Les lymphocytes T provenant d’un ganglion lymphatique d’un patient porteur du VIH ont été cultivés. La présence du virus a ensuite été révélée par le biais de l’activité distinctive de la transcriptase inverse (enzyme utilisée par les rétrovirus pour transformer leur ARN en ADN), ainsi que la morphologie caractéristique du virus. Des expérimentations plus poussées ont confirmé l’aptitude du VIH-1 à infecter des lymphocytes T en culture, provenant d’un donneur sain, mettant davantage en lumière le lien entre ledit virus et ces cellules immunitaires clés.

Ces travaux de recherche de longue haleine ont valu à Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi le prix Nobel de médecine ou physiologie en 2008 pour leur contribution à l’isolement et à la caractérisation du VIH-1. En outre, dans un environnement scientifique chargé de défis, l’équipe dirigée par Montagnier avait également franchi une étape supplémentaire, en 1986, en identifiant une seconde forme du virus: le VIH-2. Moins répandue, cette forme sévit principalement en Afrique de l’Ouest. Cette découverte avait alors confirmé l’engagement de Montagnier et de son équipe dans la quête incessante de la compréhension de ce virus complexe.

Thérapie antirétrovirale

Parallèlement, le séquençage du VIH-1 en 1985, puis du VIH-2 quelques années plus tard, a permis l’identification de la séquence nucléotidique (c’est-à-dire l’ADN) de la transcriptase inverse, une enzyme indispensable à la réplication virale. Cette découverte a ainsi constitué la clé de voûte de la mise en place du premier médicament antirétroviral, l’azidothymidine (AZT), qui n’est autre qu’un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse (INTI). En effet, l’AZT est parvenue, dans le cadre des essais précliniques, à réprimer la réplication du VIH sans endommager les cellules normales. Cela a encouragé la société pharmaceutique britannique, Burroughs Wellcome, à financer un essai clinique afin d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de ce médicament chez des patients atteints du sida.

Les résultats de cette étude, menée par Richmann et al., ont montré que l’AZT était capable de réduire la mortalité et la fréquence des infections opportunistes dans un groupe sélectionné de sujets atteints du sida, du moins pendant les 8 à 24 semaines d’observation dans le cadre de l’essai. Un autre article, publié par les mêmes auteurs, également dans le New England Journal of Medicine (NEJM), a mis l’accent sur des effets secondaires graves de l’AZT, en précisant que ce médicament devrait être administré "avec prudence en raison de sa toxicité et de l’expérience limitée à ce jour". Après une évaluation scrupuleuse de la balance bénéfice-risque, l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicament (en anglais Food and Drug Administration ou FDA) a approuvé, en mars 1987, l’AZT comme premier médicament pour le traitement du sida.

Mécanisme d’action des médicaments contre le VIH

De la monothérapie à la trithérapie

Fondé en 1987, le Groupe de recherche clinique sur le sida (en anglais AIDS Clinical Trials Group ou ACTG) a rapidement entrepris de poursuivre les recherches dans ce domaine. L’essai clinique ACTG 016 a établi une posologie thérapeutique plus faible de l’AZT, contribuant ainsi à réduire certains des effets secondaires graves du médicament. Cette molécule était toutefois loin d’être le traitement miracle. La monothérapie séquentielle et la suppression virologique incomplète ont entraîné l’apparition de multiples mutations de résistance, avec des conséquences à long terme sur le traitement. Les inhibiteurs de protéases (IP) du VIH et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI), introduits au milieu des années 1990, ont révolutionné la prise en charge de l’infection par le VIH.

Les résultats de l’étude ACTG 175, annoncés en 1995, ont montré que les combinaisons de deux agents antiviraux étaient plus efficaces que l’administration en monothérapie de l’AZT pour prévenir la diminution du nombre de lymphocytes T ou le décès. L’étude a également démontré que la thérapie antirétrovirale réduisait le risque de décès chez les personnes atteintes d’une forme asymptomatique de la maladie à un stade intermédiaire. Alors que les effets de la thérapie à base de deux INTI étaient meilleurs que ceux de la monothérapie chez de nombreuses personnes atteintes du VIH, ils étaient de durée limitée. Une avancée majeure s’est produite en 1996, lorsque les chercheurs ont constaté que la trithérapie antivirale pouvait limiter durablement la réplication du VIH à des niveaux minimaux, tout en établissant une barrière génétique élevée contre le développement de la résistance aux médicaments.

Médicaments contre le VIH approuvés par la FDA entre 1987 et 2013

Thérapies hautement actives

L’une des études clés démontrant l’efficacité de la trithérapie a été l’ACTG 320. Ces thérapies antirétrovirales hautement actives, comprenant deux INTI et un IP ou un INNTI, ont été capables de supprimer la charge virale (<400 copies/ml), et leur adoption généralisée a rapidement conduit à des réductions spectaculaires de la morbidité et de la mortalité dans les pays développés. La combinaison de deux INTI avec un troisième agent puissant constitue toujours la pierre angulaire des principes de traitement actuels et est désormais appelée thérapie antirétrovirale combinée. L’identification de nouvelles cibles médicamenteuses a joué et continue de jouer un rôle clé dans la découverte et le développement de nouvelles classes de médicaments antirétroviraux.

La découverte, en 1996, de deux corécepteurs, CXCR4 puis CCR5, nécessaire à l’entrée du VIH dans les lymphocytes T, ont jeté les bases du développement du médicament bloquant le CCR5, le maraviroc, qui a reçu l’approbation de la FDA en 2007. Une autre grande classe de médicaments antirétroviraux a émergé en 2007, avec l’approbation par la FDA du raltégravir, un inhibiteur de l’intégrase, une enzyme nécessaire à l’intégration du génome du VIH dans l’ADN de la cellule hôte. Malgré tout cela, aucun traitement curatif n’a pu être développé. Les défis demeurent encore plus grands aujourd’hui, car avec des traitements efficaces, il devient encore plus difficile d’évaluer de nouvelles thérapies, notamment en raison de la réticence de la communauté contaminée par le VIH à participer aux nouveaux essais cliniques.

Tout comme cela s’est produit avec la tuberculose lorsque des traitements efficaces ont été mis au point, l’accent devrait se déplacer de plus en plus vers les pays à ressources limitées où le fardeau de l’épidémie est le plus lourd.