À l’occasion de la Journée mondiale des troubles bipolaires, zoom sur une maladie encore méconnue.

"Une expérience d’humeurs en montagnes russes." C’est par ces mots qu’Emmanuelle*, 28 ans, décrit sa maladie psychiatrique. La jeune femme, passionnée de peinture et de danse, a été récemment diagnostiquée d’une bipolarité, également connue sous le nom de trouble bipolaire. "C’est une condition mentale complexe caractérisée par des variations extrêmes de l’humeur", explique à Ici Beyrouth, Sami Richa, psychiatre et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine de France, à l’occasion de la Journée mondiale des troubles bipolaires, fixée au 30 mars. "Ces fluctuations peuvent se manifester sous forme de dépression ou de manie, avec des épisodes souvent graves et perturbateurs pour la vie quotidienne de ceux qui en souffrent ainsi que pour leur entourage", poursuit-il.

"Certains jours, je suis capable de danser, de dessiner et d’être confiante en moi-même, raconte Emmanuelle. Cependant, le jour suivant, je suis incapable de me lever de mon lit. Je suis assaillie par des pensées suicidaires et tourmentée par l’insomnie."

Une diversité de formes cliniques

La maladie bipolaire présente une diversité de formes cliniques. "Chaque individu peut éprouver une manifestation spécifique de la maladie, souligne le Dr Richa. Certains peuvent connaître principalement des périodes de dépression, qui pourraient être accompagnées de moments d’hypomanie (le Larousse définit l’hypomanie comme un état d’excitation passager ou durable se manifestant par une hyperactivité, une humeur exubérante et un flot de paroles, NDLR). D’autres peuvent vivre des épisodes de manie caractérisée par une euphorie excessive accompagnée de comportements impulsifs. Ces épisodes peuvent durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et leur intensité varie d’un individu à l’autre."

Les symptômes

Plusieurs signes peuvent alerter sur la présence de la bipolarité. "Il s’agit principalement des antécédents familiaux de la maladie, avance le Dr Richa. Les personnes ayant des proches atteints de trouble bipolaire devraient être particulièrement attentives aux symptômes. Il s’agit notamment d’épisodes dépressifs non améliorés par les antidépresseurs ou une réaction excitée à ces médicaments."

Les symptômes de la manie, tels que le manque de sommeil, les dépenses excessives, les idées grandioses, peuvent être plus facilement repérés par l’entourage.

C’est le cas d’Emmanuelle qui confie que souvent elle n’arrivait pas à gérer ses achats, à tel point que ses parents n’osaient plus lui confier une carte bancaire. "Je faisais des achats de manière compulsive que je regrettais plus tard", avoue-t-elle.

"Il est toutefois crucial de ne pas confondre les épisodes bipolaires avec d’autres troubles de l’humeur, afin d’éviter un surdiagnostic", met en garde le Dr Richa.

Causes et traitements

Les causes de la bipolarité sont multifactorielles, impliquant des facteurs génétiques, biologiques et environnementaux. "Des déséquilibres neurochimiques dans le cerveau jouent un rôle crucial dans son développement", indique le Dr Richa.

En ce qui concerne le traitement, il explique qu’il "repose souvent sur une combinaison entre les médicaments et la psychothérapie". "Le traitement de cette maladie chronique a pour but de stabiliser les symptômes, ce qui permet au patient de mener une vie fonctionnelle", affirme le Dr Richa, mettant en garde contre l’arrêt du traitement qui "entraîne une rechute grave, avec des conséquences potentiellement dévastatrices sur le long terme". "Les effets secondaires des médicaments sont souvent à l’origine de cet arrêt", note-t-il.

Emmanuelle affirme avoir eu à subir tous les effets secondaires des médicaments prescrits, notamment les troubles digestifs, l’impatience et la prise de poids. "Ce qui a conduit mon médecin à changer de médicaments à plusieurs reprises, se souvient-elle. Il a fallu plusieurs mois d’ajustements pour trouver le bon médicament. Cette étape restera à jamais gravée dans ma mémoire."

Dépistage précoce et sensibilisation

Le dépistage précoce de la bipolarité est essentiel pour une prise en charge efficace du trouble. Outre les traitements médicamenteux, une psychothérapie et une éducation à la maladie sont nécessaires pour aider les patients à gérer leur trouble et à prévenir les rechutes.

Au niveau sociétal, la sensibilisation à la bipolarité est cruciale pour combattre les préjugés associés à la maladie. "La bipolarité est une condition invalidante et chronique, avec des symptômes qui peuvent varier considérablement, fait remarquer le Dr Richa.  Il est essentiel de comprendre cela pour favoriser l’inclusion et le soutien des personnes atteintes de ce trouble."

Emmanuelle affirme s’être habituée à sa maladie. "Aujourd’hui, je vois la bipolarité comme un défi que je peux toujours relever avec l’aide de mon thérapeute et de mon psychologue. On finit par l’apprivoiser", conclut-elle.

*Le prénom a été modifié à la demande du témoin.