Une récente étude clinique a démontré que la thérapie génique peut restaurer la fonction auditive, en permettant à cinq enfants atteints de surdité congénitale bilatérale, due à des mutations génétiques, de retrouver l'ouïe.
ADN, ARN, biologie moléculaire, manipulation génétique et plus récemment thérapie génique: autant de termes qui font surface, suscitant beaucoup d’attention, mais surtout d’espoir. Et pour cause! Mais en quoi consiste véritablement la thérapie génique? Est-il réellement possible de traiter des maladies en manipulant l’ADN d’un patient? Ce domaine de recherche, et désormais de pratique médicale, a évolué considérablement au cours des dernières décennies. Et ce qui semblait auparavant être de la pure science-fiction est aujourd’hui une réalité tangible grâce aux avancées technologiques et à une meilleure compréhension de la génétique humaine.
La thérapie génique est donc une approche révolutionnaire qui vise à traiter et potentiellement guérir des maladies en intervenant directement sur le code génétique (et donc l’ADN) des patients. Concrètement, elle consiste à introduire un gène sain dans les cellules d’un individu pour remplacer ou corriger un gène défectueux responsable d’une maladie génétique (comme l’amyotrophie spinale – une maladie génétique neurologique rare qui conduit à une faiblesse musculaire sévère puis à une atrophie des muscles) ou acquise (comme le cancer ou les maladies neurodégénératives). Cette stratégie thérapeutique offre ainsi de nouvelles perspectives dans le traitement des maladies jusqu’alors considérées comme incurables.
Preuve de concept
«Les thérapies innovantes ont désormais intégré l’arsenal thérapeutique pour plusieurs pathologies, notamment les maladies héréditaires et rares», affirme la professeure Salima Hacein-Bey-Abina, l’une des grandes pionnières de la thérapie génique, dans un entretien exclusif accordé à Ici Beyrouth. Avec le professeur Alain Fischer, elle a réalisé, en 2000, une avancée historique en corrigeant, par manipulation génétique, un déficit immunitaire combiné sévère chez des «bébés-bulle», des enfants atteints d’une maladie génétique grave et dont les défenses immunitaires sont quasi inexistantes. Cette réussite fut la première victoire mondiale de la thérapie génique. «Plus récemment, cette approche thérapeutique a fait son entrée dans le domaine du cancer, avec l’émergence des immunothérapies cellulaires, telles que les lymphocytes T génétiquement modifiés, dits les cellules CAR-T, utilisés actuellement en deuxième ligne de traitement contre certains cancers hématologiques», explique la chercheuse française. Elle conclut: «À l’aune des preuves de concept, les applications de la thérapie génique vont progressivement s’étendre à d’autres pathologies.»
Surdité congénitale
Récemment, un essai clinique de thérapie génique a réussi à restaurer la fonction auditive chez cinq enfants, âgés entre 2 et 11 ans, atteints d’une forme de surdité congénitale bilatérale, causée par des mutations au niveau d’un gène, baptisé Otof. Celle-ci empêche la production d’une protéine, en l’occurrence l’otoferline, essentielle à la transmission de l’information auditive au cerveau. Selon les résultats, publiés le 5 juin dans Nature Medicine, tous les patients ont présenté une amélioration de la fonction auditive et de la parole, ainsi qu’une récupération de la localisation des sources sonores. «Il est connu que l’audition bilatérale améliore la reconnaissance de la parole dans les environnements bruyants et est essentielle pour une meilleure perception de la musique, la localisation des sources sonores et une plus grande satisfaction dans la vie quotidienne», note les auteurs de l’étude chinoise qui avaient antérieurement mené un essai clinique visant à traiter la surdité dans une seule oreille. Les résultats de ce premier essai avaient alors été publiés en janvier 2024 dans The Lancet.
La récente étude constitue une analyse intérimaire d’un essai à bras unique (c’est-à-dire que tous les patients ont reçu le même traitement à tester), réalisée sur une période de 13 ou 26 semaines à l’Hôpital des yeux et des oreilles de l’Université Fudan à Shanghai, en Chine. Les chercheurs ont injecté des copies fonctionnelles du gène humain Otof dans les deux oreilles internes des patients, par le biais d’une procédure chirurgicale spécialisée et peu invasive. Au cours de la période de suivi, 36 effets indésirables ont été observés; aucun événement grave n’a cependant été signalé. L’essai se poursuit actuellement avec une surveillance continue des participants. Néanmoins, les résultats obtenus jusqu’à présent semblent particulièrement prometteurs: «Deux patients ont montré une capacité à apprécier la musique, et ce 13 à 15 semaines après avoir reçu la thérapie génique, comme en témoignent leurs mouvements de danse en écoutant de la musique», peut-on lire dans la publication scientifique.
Dépistage génétique
Ces résultats représentent la première preuve de concept que la thérapie génique est réalisable, sûre et efficace pour cette forme de surdité d’origine génétique. Ils ouvrent la voie vers l’élargissement du champ d’application de cette stratégie thérapeutique pour la surdité héréditaire causée par d’autres gènes. «Pour les enfants atteints de perte auditive congénitale, nous recommandons la mise en œuvre d’un dépistage génétique universel afin de permettre une intervention précoce», concluent les chercheurs chinois. Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 5% de la population mondiale, soit 430 millions de personnes, souffrent d’une perte auditive, parmi lesquelles 34 millions sont des enfants. En outre, environ 26 millions de personnes sont atteintes de perte auditive congénitale, dont 60% sont dues à des facteurs génétiques. Les mutations pathogènes au niveau du gène Otof représentent entre 2 à 8% des cas de surdité héréditaire.
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