Dans une dizaine de jours, il aura définitivement baissé le rideau de son magasin. Jusqu’ici, Antoine ne voulait rien entendre. Il n’ira pas rejoindre ses enfants installés en Virginie. Fallait arrêter de l’embêter avec ça. Il parle pourtant anglais puisqu’il a vécu, un temps, avec eux là-bas. Antoine a même un permis de conduire américain rangé dans son portefeuille. Mais c’était non.

Il en est arrivé à arrêter le passant pour tenter de lui vendre une boîte de clous, une jante de #BMW, des bagues de pacotille ou des porte-clés. Dans son petit bazar, tout semble un peu poussiéreux. Les boîtes n’ont pas été ouvertes depuis longtemps. Antoine insiste doucement. On le sent gêné. Va pour un porte-clés alors. Il tend une chaise et se met à parler.

Cette fois, il a cédé quand l’aîné de ses fils lui a dit au téléphone qu’il fallait maintenant être raisonnable. Il s’est même énervé. Il prend l’avion pour les États-Unis dans quelques jours. Antoine va fermer son appartement, car il est peu probable qu’il trouvera un locataire pour l’occuper en ce moment. C’en sera fini de sa vie au Liban. " Je serai trop vieux pour revenir ici " lâche Antoine et je me demande comment sera sa vie là-bas.

Un peu plus loin, en remontant vers la carcasse de l’immeuble Électricité du Liban dont la dévastation par l’explosion du port symbolise bien l’incurie et la manière dont les services publics ont abandonné les Libanais, un distributeur automatique de billets prend la poussière. Longtemps qu’il ne marche plus celui-là. Un facétieux y a posé un graff qu’il faut lire en phonétique pour comprendre. J’en verrai plusieurs autres, identiques, dans ce quartier aux premières lignes de l’explosion.

À chaque fois avec un point d’interrogation.

Prochain article le samedi 11 décembre