Le temple phénicien, de la pyramide à la colonnade
C’est une monnaie frappée sous Macrin qui nous donne une idée concrète de ce à quoi pouvait ressembler le temple phénicien archaïque. La ruine cubique qui subsiste encore à Faqra n’est autre que la base d’un monument qui était identique à celui de Hermel, et dont la pyramide aurait disparu.

Dans tous les villages de Phénicie, sur le littoral comme sur les hauteurs du Liban, les enfants plantaient des graines dans des assiettes en terre cuite, déposées sur le bord des fenêtres. Connue sous le nom de «jardins d’Adonis», cette tradition commémorait la renaissance de la nature, chaque été, lorsqu’avec la fonte des neiges, les eaux de l’Adonis se teignaient de la couleur du sang du jeune Dieu. Avec le christianisme, ce symbole est devenu celui de la résurrection, et les pousses éphémères sont venues orner les crèches de Noël agencées par les enfants.

Monnaie frappée sous Macrin, représentant le temple phénicien archaïque.
©in Ernest Renan, Mission de Phénicie.

Le culte en plein air

Une religion liée de si près au cycle de la nature ne pouvait mieux choisir comme temple que la nature elle-même. Elle recherchait alors ses entrailles, ses gorges et ses plaies les plus profondes. Les premiers temples du Liban ont été les grottes, les arbres et les cours d’eau. Chaque haut lieu devenait lui-même sujet à une vénération. À Aphqa, la grotte de la source incarnait la demeure du grand dieu El, avec, à son pied, le temple d’Astarté. De là, la rivière coule jusqu’au littoral en passant par les différentes étapes du calvaire d’Adonis, dont Machnaqa. Si Aphqa signifie en syriaque la sortie (de l’eau), Machnaqa est le lieu de la souffrance, de la passion. À cet endroit, précisément, a été bâti le temple d’Adonis.

Pour les visiteurs, les colonnes encore debout semblent être celles du temple. Et pourtant, en réalité, ce monument ne formait que la crypte qui renfermait la statue de la divinité. Le temple était tout autour. Il se trouvait dehors, dans la nature. Cette coutume n’était nullement étrangère aux Grecs et aux Romains, mais au Liban, la petitesse de ces monuments accentuait encore plus le rôle de l’espace extérieur. C’est là que les pèlerins venaient vénérer en s’assemblant face au monument. Le christianisme n’a rien changé à cette osmose avec la nature. Encore aujourd’hui, la cloche de l’église de Machnaqa est suspendue au chêne qui lui sert de clocher.

Pyramides druzes à Baaqline. ©Amine Jules Iskandar

Le temple nature

Pour les Phéniciens, le site sacré devait rester intact. Dans un deuxième temps seulement, on le protégeait d’une enceinte afin de pouvoir y déposer les offrandes et les obélisques en guise d’ex-voto. Ernest Renan écrivait que «le culte en plein air était un trait de ces pays». Il suggérait que certaines colonnades ne renfermaient probablement pas de cella, comme à Blat notamment; tout se passait au dehors.

Les monuments dont il subsiste des podiums ou des colonnes romaines à travers les montagnes du Liban n’étaient pas des temples à part entière. Il s’agissait plus précisément de la demeure de la divinité au sein d’un ensemble qui comprenait l’enceinte sacrée, l’autel en plein air, les stèles ou béthel, le monument à colonnes, et les éléments naturels du site: rivière, grotte, arbre ou rocher.

Pyramides chrétiennes à Bherdoq. ©Amine Jules Iskandar

Le péribole

Pour commencer, on sculptait dans le roc vif les stèles et les symboles votifs. Même lorsqu’on s’est mis à édifier les temples au sein du péribole (l’enceinte sacrée), l’édifice du sanctuaire n’occupait qu’une infime partie de l’ensemble. L’autel restait dans la cour, conservant sans doute la place d’honneur, entouré de stèles, d’obélisques et d’offrandes. À leur côté, trônait le temple dans son style phénicien, assez cubique, et coiffé d’une pyramide à pente raide comme c’est encore le cas à Hermel.


Aux Ier et IIe siècles de notre ère, les Phéniciens ont procédé à la démolition de tous leurs temples pour les reconstruire au goût du jour, selon la mode romaine. C’est là un trait de caractère particulier aux habitants de ce pays. Combien de fois les a-t-on vus supprimer des églises anciennes, des maisons de villages, des quartiers traditionnels, des arbres centenaires, pour les remplacer par du plus neuf?

Le temple pyramide

C’est une monnaie frappée sous Macrin qui nous donne une idée concrète de ce à quoi pouvait ressembler le temple phénicien archaïque. La tombe de Hermel, jusqu’ici considérée comme une architecture non phénicienne située à l’extrême nord du Liban, prend dès lors une importance considérable. Sans être nécessairement un temple, elle en représente l’archétype phénicien. La pyramide était d’ailleurs commune aux temples et aux sépultures puisque les caveaux étaient couverts de stèles ou d’édicules pyramidaux. Cette tradition a été conservée jusqu’à nos jours et se rencontre encore dans les cimetières druzes et chrétiens du Mont-Liban.

La ruine cubique qui subsiste encore à Faqra n’est autre que la base d’un monument qui était identique à celui de Hermel et dont la pyramide aurait disparu. Tout à côté, parmi les pierres de taille qui jonchent le sol, apparaît un petit édicule à colonnettes. Il s’agit de l’autel, comme il y en avait à Machnaqa, Naos, Qsarnaba, Niha, Hardin et partout ailleurs.

Le temple de Machnaqa. ©Amine Jules Iskandar in Temples en blanc.

La triade

La religion phénicienne s’articule autour d’une triade. C’est ainsi qu’auprès du grand dieu El, apparaissaient la divinité féminine et le jeune Adonis incarnant la forme orgiaque du culte, mais aussi le cycle de la nature. Chaque site sacré devenait dès lors une acropole avec ses trois temples. Lorsque les Romains ont reconstruit Baalbek, ils lui ont conservé ce principe. Le temple de El a été dédié à son correspondant Jupiter Héliopolitain, celui d’Astarté, selon le même processus d’identification, a été consacré à Vénus, et celui d’Adonis à Bacchus.

Partout, qu’il s’agisse de grandes acropoles comme à Faqra ou Baalbek, bâties par les Romains eux-mêmes, ou de petits monuments de taille modeste, improvisés par les indigènes, l’esprit et la distribution demeuraient intimement liés et adaptés aux coutumes et aux croyances locales.
«L’art grec et romain a complétement plié ses habitudes à l’esprit du pays et aux besoins des cultes locaux», écrivait Ernest Renan. Pour lui, les temples de Faqra et de Aphqa sont grecs de style, mais leur distribution est propre au pays de Phénicie.

L’autel et le monument de Faqra ayant perdu sa pyramide. ©Amine Jules Iskandar in Temples en blanc.

Les trois modèles

Il y a donc le péribole, ou enceinte extérieure, la cour, l’autel, puis le temple qui, à l’époque romaine, sera pourvu d’une cella. Une fois dans le temple, le plan est simple et stéréotypé avec ses trois modèles dominants: le temple à antes, prostyle et périptère. Le premier ne possède que deux ou quatre colonnes cachées sur les côtés par l’avancement des murs latéraux. Le second style présente une colonnade sur toute sa façade principale. Le troisième est agrémenté de péristyles sur ses quatre côtés.

Nous assistons à une constance qui semble être le produit de la durée de cette période d’à peine deux cent cinquante ans qui, pour reprendre George Taylor, «renferme la fondation et l’achèvement de tous les temples du Liban». Dans leurs trois formes, ces monuments obéissent aux traditions et coutumes locales. Ils s’adressent à la triade dans une architecture essentiellement extravertie et semblent évoluer du roc sculpté qu’ils habitent et apprivoisent.
Commentaires
  • Aucun commentaire