Xavier Gélébart: papiers d’identité
Qui sont-ils ces gardiens de notre mémoire? Ces traqueurs de l’hier? Ces traceurs du temps? Qu’est-ce qui les anime tant? Portraits hauts en couleur de ces amoureux du noir et blanc.

Tout a commencé quand, poussé par la curiosité et ces grandes envies de découvertes qui nous animent, Xavier Gélébart atterrit à Beyrouth en 1977. La guerre bat son plein depuis deux ans avec des périodes d’accalmie comme des mirages d’un retour à la vie normale. Cela ne décourage nullement le jeune homme de 24 ans, passionné de numismatique et de livres anciens, collectionneur dès son plus jeune âge et féru d’archéologie. Venu pour y passer trois mois, il y restera cinq ans. Ce sera le Liban pour l’histoire, l’aventure et… l’amour.

C’est à Jounieh, sur son lieu de travail, que Xavier rencontrera celle qui deviendra la femme de sa vie. Ils se marient et ont un petit garçon malgré la situation instable dans ce pays que le jeune homme a appris à aimer. Un pays dont il ne se lasse pas, puisque dans chaque recoin se cache un bout de cette histoire extraordinaire d’une région chargée de vestiges, de mythes et d’un morceau de ce puzzle des civilisations qu’on n’aura jamais fini d’assembler. Mais nous sommes en 1982, à la veille de l’invasion israélienne et la vie devient de plus en plus difficile.

C’est donc à Lyon que la famille s’agrandira avec l’arrivée de trois autres enfants. À Lyon où Xavier Gélabart, toujours libanais de cœur et collectionneur de passion, écumera les marchés à la recherche des papiers qui racontent notre histoire. Ce seront des cartes postales bien sûr, passage obligé et bienvenu, mais également des livres anciens, des cartes géographiques, des gravures, des titres d’action, des billets de banques, des estampes, des lettres officielles ou privées… tant que les papiers parlent, racontent et ouvrent de nouvelles perspectives.

Parce que ce qui caractérise ce collectionneur de toujours, c’est son incroyable envie d’explorer l’horizon de ses découvertes. Comme reconstituer les chaînons manquants, les époques, les traditions, les familles, les dynasties. Regrouper les monnaies, des passages de livres anciens qui correspondent à un momentum de l’histoire, à un détail remarqué, un mot souligné, une date intéressante. Connaître l’histoire donc, mais également la géographie, l’auteur, le graveur et l’imprimeur.

Pour Xavier Gélébart, intarissable chercheur, un collectionneur ne doit pas s’arrêter à la possession brute de l’objet, mais bien l’observer, le disséquer. Ainsi l’objet grandit et le collectionneur aussi. La recherche d’informations, dans plusieurs directions, est souvent longue et difficile, mais cela décuple le plaisir quand on découvre quelque chose, quand on perce le mystère, quand on traduit des textes, quand on regroupe des données.

Nostalgique de l’époque des marchands, des foires, des échanges et des rencontres, de ces contacts humains précieux, Xavier Gélébart revient sans cesse au Liban. De petits voyages nécessaires pour se ressourcer, redécouvrir inlassablement Baalbeck, Tripoli, le Nord, le Sud. Pour partager ses découvertes, rencontrer ses amis collectionneurs et surtout parler, raconter, refaire l’histoire, établir un contact direct, puisqu’à l’ère d’Internet et des achats en ligne, l’écran cache souvent les émotions, travestit les passions et voile les échanges.

Surtout que pour Xavier, le collectionneur est souvent un Janus avec sa partie secrète et sa partie communicante. Avec toujours une envie de partager ses découvertes mais aussi de les garder jalousement à l’abri comme on ferait d’un trésor secret. Cette dichotomie ne devrait pas cependant empêcher que l’on puisse fouiller, identifier, localiser, dater, qu’à partir d’un objet trouvé, acquis, déniché, à travers une carte géographique, une lettre d’amour, une relation de commerce, une correspondance de collectionneur… créer des passerelles, élargir le champ des possibles.

Et c’est souvent dans les lettres que l’on trouve des détails nécessaires au déroulement de l’histoire. Telle comédienne qui a écrit une lettre d’amour à son amant en poste au Liban, la missive d’un général français posté de Saïda à l’époque de Napoléon III, le courrier d’une jeune fille qui allait devenir la femme du président Béchara el-Khoury, une autre lettre envoyée à celle qui deviendra plus tard la première épouse de Hussein de Jordanie, une correspondance écrite en hébreu au rabbin de Beyrouth… tant de papiers chargés d’émotions et de ces bribes du passé qui éclairent le présent.

Xavier Gélébart n’a pas de sang libanais. Son attachement pour le Liban est touchant et communicatif. Il en parle comme d’une terre à parcourir encore, un vivier de découvertes, même s’il ne reste pas grand-chose à acheter ici pour compléter sa collection. Mais il reste l’essentiel, partager les passions, affiner les connaissances, échanger livres et cartes, faire revivre surtout le Liban et ses moments, ses gloires et ses tourments.

Car pour ce pays si paradoxal qui a une histoire si mouvementée, il n’y a pas vraiment de mémoire commune. Pas vraiment de centres d’archives, pas vraiment de volonté de sauvegarder des traces. Alors ce serait à nous et surtout à eux, collectionneurs insatiables, d’empêcher tous nos petits papiers qui ont tout à raconter de se perdre dans la poussière des temps, des oublis, des sabotages et des nonchalances.




Statue de Joseph-Simon Assemani, immense érudit, à Hasroun entourée par la fanfare locale. Cette photo-carte nous fait profiter de la fête avec tarbouches, canotiers, casquette, panama (?). Il semble que ce soit l’inauguration de la statue pour ce grand érudit. Tombé dans l’oubli, bien sûr. Son savoir était son patrimoine. Ses études étaient ses seules armes. Observer la variété d’instruments et de chapeaux. Jour de fête.



Correspondance envoyée au Dr Gaillardot, Hôpital de Saïda, 1859. Le Dr Gaillardot était un personnage polyvalent: médecin, cartographe, compétent en numismatique et en archéologie, directeur de la faculté de médecine du Caire, naturaliste, guide des voyageurs français dans la région...



Lettre d’affaires. La même feuille sert d’enveloppe, une fois repliée. Papier à entête (timbre sec) de E. de Picciotto et E. Bertrand, Beyruth (sic), écrite le 28 janvier 1854, adressée à Hippolyte Worms, Paris, et signée. Cachet à date de Beyrouth 28 janvier 54. Cachet à date d’arrivée à Paris, le 1er mars. Un autre cachet (encré) au nom de l’expéditeur figure sur l’enveloppe. Il est question d’un récépissé de 7.300 francs, somme conséquente pour l’époque, tout début du règne de Napoléon III: le salaire quotidien d’un bon ouvrier était de 2 à 3 francs (14-16h/jour). L’activité économique au Liban va littéralement exploser (sans mauvais jeu de mot) après l’Expédition de Syrie (en fait du Liban) de 1860-1861. Cet Hippolyte Worms était un spécialiste du fret maritime, de la logistique et du commerce de gros. Son petit-fils fondera la banque du même nom. Au Liban, de même, les gens de la soie sont souvent devenus banquiers.



Le titre de la Kadisha (entier, avec ses 50 coupons). Moins courant que l’action de 5 livres libanaises-or (!). Le patriarche Arida était personnellement actionnaire fondateur.



Ce livre, La France au Liban de Louis de Baudicour, paraît en 1879. L'auteur a aussi écrit La France en Syrie. Journaliste, il dédicace son ouvrage «À mon cher ami le grand organier Paul-Marie Koenig à la veille de son départ pour le Vieux Liban... 30 juillet 1934». Il écrit aussi sur la colonisation et l’Algérie. Ce fameux organier a travaillé au Liban, où il a fourni l’orgue de l’Université Saint-Joseph. Son fonds d’archives était aux Archives nationales depuis 1978. Elles ont été transférées aux Archives nationales du monde du travail (Lille) en 1997.



Carte postale éditée par Michel Corm. Écrite par Laure Chiha (domiciliée à la Banque Pharaon-Chiha) à une de ses correspondantes en France, via la poste allemande en juillet 1910. La toute jeune Laure (alors 10 ans) deviendra l’épouse du futur président de la République Béchara el-Khoury, encore avocat et ami proche de Michel Chiha. Sa sœur Marie sera une peintre de talent, sous le nom de Marie Hadad (inscrite au Bénézit, elle vend une toile au musée du Jeu de Paume). Ses autres sœurs, Adèle et Alice, suivront d’autres voies.
Commentaires
  • Aucun commentaire