La mémoire collective d’un 4 août meurtrier… où en-est-on de la justice? Un événement en ligne, signé Beirut Art Film Festival, avec un film de Paul Russel, Warehouse 12, suivi d’un débat, le dimanche 31 juillet à 20h, heure de Beyrouth (19h CET).

70.000 immeubles détruits. 6000 personnes blessées. 300.000 sans-abri.

Cet été-là, il y a deux ans, combien de temps tant de personnes ont attendu avant de pouvoir à nouveau se baigner dans cette mer aux fonds troubles, tombe béante ensanglantée… Le 4 août 2020, une apocalypse frappe Beyrouth. Et pourtant, ce n’est ni un désastre naturel ni une catastrophe absurde, mais bel et bien un crime contre l’humanité. Par nonchalance? Par préméditation? Qui? Pourquoi? Plein de points d’interrogation béants, comme ces silos, seuls témoins des moindres détails du crime, qui finiront, eux aussi, par partir en fumée, aux alentours d’un nouveau 4 août, et qui laissent tous les Libanais dans le flou, l’injustice, le chaos total. Plein de questionnements, mais une évidence: on savait. Ils savaient. Mais les pompiers ont été appelés, nos pompiers ont péri, et nos enfants, et nos grands-parents, frères, sœurs, pères, mères et toutes les mers…

Alice Moghabghab- Crédit photo: DR

Warehouse 12, réalisé et produit par Paul Russell en 2021, est un documentaire qui retrace l’Histoire en regroupant 40 témoignages. Poignant. Cru. Dans le cadre d'un événement signé Beirut Art Film Festival (BAFF), Warehouse 12 sera projeté en ligne le dimanche 31 juillet à 20h (heure de Beyrouth) et suivi d’un débat à propos du progrès de l’investigation dans les trois langues française, arabe et anglaise.

À cette occasion, Alice Moghabghab, fondatrice du BAFF, répond à nos questions autour de l’initiative BAFF, du documentaire et de l’importance de commémorer ce 4 août, mais encore plus, d’œuvrer pour que justice soit faite.

https://www.youtube.com/watch?v=daRYsvG3FIM


 Comment est née l’initiative de créer un événement du BAFF autour de Warehouse 12 et à qui s’adresse cette rencontre plus particulièrement?

Depuis sa fondation, en 2015, le Beirut Art Film Festival se démarque de tous les festivals au Liban, de par le fait qu’il n’est pas un festival de divertissement, mais de réflexion. C’est un festival où l’on présente des documentaires basés sur des recherches, des interrogations, des questions, des réponses, un voyage à travers l’art. Qu’est-ce que l’art? Cette réflexion humaine, cette chose que l’homme offre aux autres, cette vision de notre monde, de notre réalité, sublimée par le talent de l’artiste. Le BAFF s’est voulu dès le début un rendez-vous annuel d’interrogations, de questionnements mais aussi de sublimation de la condition humaine, de notre fragilité. Il n’a jamais été question de lauriers aux réalisateurs, producteurs ou auteurs ayant signé des documentaires sur l’art. Là n’est pas notre mission. Notre mission consiste plutôt en le fait d’apporter le beau et d’exprimer la fragilité de l’homme à travers l’expression et la recherche de la beauté. À partir de là, de nombreux documentaires nous passent entre les mains chaque année sur l’art et la société. Lorsqu’on a reçu Warehouse 12 et après l’avoir visionné, on ne pouvait pas ne pas le diffuser, ni fermer les yeux aux plus de 40 témoignages poignants de toutes ces femmes, de tous ces hommes, meurtris par l’explosion du 4 août. D’ailleurs, que nous soyons directement blessés ou pas, nous demeurons tous meurtris par ce crime odieux. Je n’ai pas été blessée personnellement. J’ai eu, comme beaucoup de gens, beaucoup de dégâts, mais la blessure interne est énorme. Nous ne cesserons pas de clamer et d’exiger la vérité. Deux ans après l’explosion du 4 août, nous n’avons toujours pas la vérité. L’investigation est en mode arrêt après 34 procédures à l’encontre du juge Tarek Bitar, ce qui montre l’ampleur du crime. Je laisserai la parole à ce sujet aux panélistes invités. Il était normal qu’après avoir vu ce film, nous le partagions avec notre audience et nous le communiquions à ceux qui veulent le visionner, se rappeler ce 4 août et surtout ne pas l’oublier.

En éclairant le public grâce à la conférence de spécialistes qui suivra la projection du documentaire, pensez-vous pouvoir prévenir d’autres éventuelles catastrophes? Qui sont d'ailleurs les panélistes?

En ces temps de «Ahla Bhal Talleh» où notre gouvernement et nos dirigeants tentent de flatter nos Libanais de la diaspora qu’ils ont eux-mêmes poussés à quitter le pays et jetés à la mer tout au long de ces années, au moment où nos responsables politiques tentent de jouer les séducteurs et de mentir encore une fois, nous ne voulons pas oublier l’explosion du 4 août, mais plutôt la garder en mémoire. Nous tenons à réclamer encore une fois la vérité. Cette projection s'inscrit dans le cadre de nos rendez-vous du dernier dimanche de chaque mois. Nous proposons en ligne des documentaires suivis d’une discussion. Celle-ci regroupera le producteur et auteur du film, Paul Russell; Ghida Frangieh, avocate à Legal Agenda; Mazen Houteit, avocat en charge des victimes marginalisées et non libanaises; et Habib Battah, journaliste et fondateur de Beirut Report. Ce sont eux qui vont nous éclairer sur le moteur de création et du pourquoi du film, et surtout discuter l’investigation parce qu’elle demeure la partie la plus importante aujourd’hui. Tant qu’il n’y aura ni justice ni vérité, la blessure restera béante, ouverte…

Croyez-vous en le pouvoir de l’art, notamment du cinéma, de changer les choses, surtout dans un pays comme le Liban où plusieurs enjeux – social, politique, économique, culturel, idéologique – s’entrechoquent?

Je crois en le pouvoir du beau de changer les choses, mais j’ai peur que les Libanais ne veuillent pas changer et même refusent d’avancer, de s’ouvrir. Le constat aujourd’hui, au lendemain de la thaoura et de la double explosion du 4 août, et après les élections du 15 mai, est que rien n’a changé. Les responsables sont particulièrement puissants, redoutables, devant une société dispersée, sans chef, sans leader, parce qu’au Liban, tout le monde veut être leader, et partant de ce constat, je ne suis pas sûre que l’art puisse faire changer les choses au Liban. Cependant, on essaie et on continuera d’essayer.

Pour assister à la projection du documentaire de 82 minutes et au débat en ligne, cliquez ici.
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