On ne prononce pas le H dans je te hais. On n’invite pas le voisin comme ça, juste pour faire connaissance. On n’utilise pas «trop» pour «très». On n’en fait pas trop, on mesure ses élans. On ne veille pas à «sujet verbe complément» comme dans les dissertations, ce n’est pas nécessaire à l’oral. On ne s’attend pas à reconnaître des amis dans une foule, on peut passer des semaines, des mois sans croiser de visages familiers.
On dit pardon quand on frôle quelqu’un. On s’excuse tout le temps, on s’effleure tout le temps. On n’a pas le droit d’écouter de la musique forte après 22 heures, il y a une loi pour ça. On met toujours la ceinture de sécurité en voiture. On ne se serre pas à quatre ou cinq à l’arrière, ni trois devant: interdit. On dit au revoir quand on sort d’une boulangerie, même si on est sûr de ne jamais y retourner. On fait la queue devant une boulangerie et on doit se décider rapidement devant la caisse pour éviter leurs soupirs de dos.
On peut acheter une demi-baguette. On ne peut pas frapper chez les voisins quand on manque de citron ou d’ail pour finir un plat. On s’embrasse, deux bises par joue, pour se dire bonjour même quand on ne se connaît pas. On ne s’embrasse plus depuis la pandémie, on s’en excuse parfois, se justifie: foutu corona.
On est de droite ou de gauche, la politique est spatialisée. On partage l’addition au restaurant, sauf exception. On ne se dispute pas pour payer pour tout le monde brandissant comme ultime victoire la note récupérée. On a l’électricité tout le temps, quand elle se coupe c’est alarmant, on s’affole, les journaux en parlent le lendemain. On peut acheter une seule pomme sans attirer le regard. On ne prononce pas le «ne» de négation. On dit «chais pas» ou «j’veux pas».
On dit «ben oui», et ça endurcit le oui, pour quelle raison? On a des espaces verts, de très beaux parcs entretenus comme de précieuses maisons, l’accès est gratuit. On ne dit pas «chéri» à un inconnu, on ne le touche pas. Les premiers mercredis du mois, la sirène sonne à midi, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, de chercher un abri. On ne mange pas le même taboulé, ne pas comparer, c’est un autre plat. On boit l’eau du robinet, elle est potable.
On ne jure pas ouallah pour s’assurer d’être cru. On parle vite, on ne détache pas les mots, inutile de marquer les blancs. On peut s’embrasser dans la rue, baisers intimes sans jugement d’impudeur. On peut s’embrasser aussi entre filles ou entre garçons, la police n’interpelle pas les homos pour mauvaise conduite. On n’a pas besoin d’une voiture pour circuler, langueur des transports en commun. On a des plages publiques, on n’est pas obligé de payer pour se baigner en mer. On ne croque pas dans un concombre, dans une tomate, dans une laitue… on les mange en salade, avec un assaisonnement comme de redonner saisons aux crudités.
On marche des journées entières sans être dérangé, on a des trottoirs partout et des passages piétons. On a des zones entières réservées aux piétons. On n’a pas le droit de klaxonner sauf nécessité grave. On respecte le code de la route, il est affiché et tout automobiliste le connaît. On ne sursaute pas quand une porte claque, ce n’est pas le retour des bombardements. On ne cuisine pas pour cinquante quand on invite quatre personnes.
On ne rend pas visite à l’improviste, sans avoir prévenu. On n’attend pas de bénédiction (naïman, que la grâce soit sur toi) quand on sort de la douche. Ni après le coiffeur, ce sera constat ou avis: «Ah tu as coupé tes cheveux… ça te va bien cette barbe…» On a des adresses complètes, nom de rue et numéro, on fait confiance à la poste pour le courrier. On a des feux qui organisent la circulation. Partout. On ne prolonge pas la visite sur le seuil après la soirée. On a des droits civiques. On a des devoirs aussi, payer des impôts par exemple ou voter. On peut emprunter des livres ou des films gratuitement dans les bibliothèques.
On peut rentrer au centre Pompidou sans payer. On peut aller au cinéma seul-e. On peut même aller seul-e au restaurant, au café. On passe des journées entières sans parler à personne, des semaines parfois et la langue est lourde quand ça reprend. On visite les églises sans prier, le silence s’installe comme évidence et nécessité.
On se permet ces rêveries entre les cultures depuis nos souvenirs de jeunesse, pérégrinations subjectives dans le quotidien, cet ordinaire partout merveilleux. On n’est pas sociologue, on écrit.
Site Web de Gracia Bejjani
Page YouTube de Gracia Bejjani
On dit pardon quand on frôle quelqu’un. On s’excuse tout le temps, on s’effleure tout le temps. On n’a pas le droit d’écouter de la musique forte après 22 heures, il y a une loi pour ça. On met toujours la ceinture de sécurité en voiture. On ne se serre pas à quatre ou cinq à l’arrière, ni trois devant: interdit. On dit au revoir quand on sort d’une boulangerie, même si on est sûr de ne jamais y retourner. On fait la queue devant une boulangerie et on doit se décider rapidement devant la caisse pour éviter leurs soupirs de dos.
On peut acheter une demi-baguette. On ne peut pas frapper chez les voisins quand on manque de citron ou d’ail pour finir un plat. On s’embrasse, deux bises par joue, pour se dire bonjour même quand on ne se connaît pas. On ne s’embrasse plus depuis la pandémie, on s’en excuse parfois, se justifie: foutu corona.
On est de droite ou de gauche, la politique est spatialisée. On partage l’addition au restaurant, sauf exception. On ne se dispute pas pour payer pour tout le monde brandissant comme ultime victoire la note récupérée. On a l’électricité tout le temps, quand elle se coupe c’est alarmant, on s’affole, les journaux en parlent le lendemain. On peut acheter une seule pomme sans attirer le regard. On ne prononce pas le «ne» de négation. On dit «chais pas» ou «j’veux pas».
On dit «ben oui», et ça endurcit le oui, pour quelle raison? On a des espaces verts, de très beaux parcs entretenus comme de précieuses maisons, l’accès est gratuit. On ne dit pas «chéri» à un inconnu, on ne le touche pas. Les premiers mercredis du mois, la sirène sonne à midi, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, de chercher un abri. On ne mange pas le même taboulé, ne pas comparer, c’est un autre plat. On boit l’eau du robinet, elle est potable.
On ne jure pas ouallah pour s’assurer d’être cru. On parle vite, on ne détache pas les mots, inutile de marquer les blancs. On peut s’embrasser dans la rue, baisers intimes sans jugement d’impudeur. On peut s’embrasser aussi entre filles ou entre garçons, la police n’interpelle pas les homos pour mauvaise conduite. On n’a pas besoin d’une voiture pour circuler, langueur des transports en commun. On a des plages publiques, on n’est pas obligé de payer pour se baigner en mer. On ne croque pas dans un concombre, dans une tomate, dans une laitue… on les mange en salade, avec un assaisonnement comme de redonner saisons aux crudités.
On marche des journées entières sans être dérangé, on a des trottoirs partout et des passages piétons. On a des zones entières réservées aux piétons. On n’a pas le droit de klaxonner sauf nécessité grave. On respecte le code de la route, il est affiché et tout automobiliste le connaît. On ne sursaute pas quand une porte claque, ce n’est pas le retour des bombardements. On ne cuisine pas pour cinquante quand on invite quatre personnes.
On ne rend pas visite à l’improviste, sans avoir prévenu. On n’attend pas de bénédiction (naïman, que la grâce soit sur toi) quand on sort de la douche. Ni après le coiffeur, ce sera constat ou avis: «Ah tu as coupé tes cheveux… ça te va bien cette barbe…» On a des adresses complètes, nom de rue et numéro, on fait confiance à la poste pour le courrier. On a des feux qui organisent la circulation. Partout. On ne prolonge pas la visite sur le seuil après la soirée. On a des droits civiques. On a des devoirs aussi, payer des impôts par exemple ou voter. On peut emprunter des livres ou des films gratuitement dans les bibliothèques.
On peut rentrer au centre Pompidou sans payer. On peut aller au cinéma seul-e. On peut même aller seul-e au restaurant, au café. On passe des journées entières sans parler à personne, des semaines parfois et la langue est lourde quand ça reprend. On visite les églises sans prier, le silence s’installe comme évidence et nécessité.
On se permet ces rêveries entre les cultures depuis nos souvenirs de jeunesse, pérégrinations subjectives dans le quotidien, cet ordinaire partout merveilleux. On n’est pas sociologue, on écrit.
Site Web de Gracia Bejjani
Page YouTube de Gracia Bejjani
Lire aussi
Commentaires