J’ai vécu 15 ans en une poignée de secondes. J’ai vécu l’oubli et la mémoire, ma vie a l’âge de la guerre, son ombre expressionniste plane sur moi, elle me protège du pire, puisque j’ai vu pire. Ma mémoire me hante avec des crépitements de balles que je crois entendre dans mes rêves les plus fous.
Je me croyais immunisé, plus fort que le souffle, plus solide que le cèdre. Quinze ans c’est long, j’ai connu le son rassurant de tes départs de feu , j’ai appréhendé le silence qui précède la chute de l’obus, puis le microsilence qui précède le déploiement musical improvisé de tes débris, les «shazayas» dispersés au hasard du vent. Ce métal chaud qui, comme une roulette, s’abattait sur le moins chanceux ou le plus imprudent. J’ai vu ton empreinte indélébile sur mes livres d’enfants, ton regard voyeur sur les revues coquines que je cachais tant bien que mal sous le matelas, mais que tu avais le pouvoir de découvrir comme une violation de mon intimité, les bandes dessinées qui me faisaient rire, les romans qui ont forgé ma pensée, les cassettes VHS qui m’ont fait aimer le cinéma.
Tu as cru tout détruire sur ton passage, les rêves, la sensualité, l’esprit et l’humour. Tu te trompais, car le feu se consume et s’éteint, il entraîne dans son sillage lugubre les morts et la souffrance, mais l’étincelle brillante de la bougie, lueur ultime de vie, vacille sans succomber totalement à l’obscurantisme de la guerre. À 15 ans, un espoir renaît, le chemin de l’école, quoique parsemé de mines, est de nouveau accessible. On a du mal à se réveiller, mais on se réveille quand même, le temps de l’insouciance reprend ses droits et l’oubli accomplit, comme une dentelière minutieuse, son travail réparateur.
L’oubli n’est pas résilience, je hais ce mot, car dans mon esprit il signifie soumission, l’oubli est une résistance qui n’occulte pas la mémoire. On oublie un instant, on se laisse bercer par des plaisirs simples, on danse langoureusement, on saute frénétiquement, on se moque, on ironise, mais la vie nous ramène toujours au devoir de mémoire. Ce devoir est un instinct, il nous submerge comme le flot des vagues d’une mer déchaînée impossible à contrôler, il nous prend à la gorge et nous rappelle que nous sommes les filles et les fils de l’Histoire, notre Histoire commune, celle qui nous a rassemblés au gré du hasard, 18 communautés sur une terre fertile et déchirée par la passion, hospitalières à l’excès et violentes comme la colère des ténèbres.
Le 4 aout 2020, j’avais oublié mon âge, je prenais le temps de la pause, de l’oubli, je pensais à mes finances, à l’argent volé, à l’avenir de mes enfants, mais à l’instant précis où j’entendis le grondement, le silence, puis le souffle, je compris que la mémoire est tenace, impitoyable, qu’elle me rattraperait comme un piège à rats, qu’elle emporterait comme toujours les malchanceux, qu’elle me ferait culpabiliser lâchement, encore une fois.
Deux ans plus tard, j’ai oublié, j’ai ri de nouveau, j’ai dansé et me suis moqué, mais une date me rappelle à toi, un 4 août, mon monde est de nouveau bouleversé. L’oubli laisse place à la mémoire et une larme solitaire, mais tenace, coule dans le ruisseau sanguin de notre histoire commune.
Je me croyais immunisé, plus fort que le souffle, plus solide que le cèdre. Quinze ans c’est long, j’ai connu le son rassurant de tes départs de feu , j’ai appréhendé le silence qui précède la chute de l’obus, puis le microsilence qui précède le déploiement musical improvisé de tes débris, les «shazayas» dispersés au hasard du vent. Ce métal chaud qui, comme une roulette, s’abattait sur le moins chanceux ou le plus imprudent. J’ai vu ton empreinte indélébile sur mes livres d’enfants, ton regard voyeur sur les revues coquines que je cachais tant bien que mal sous le matelas, mais que tu avais le pouvoir de découvrir comme une violation de mon intimité, les bandes dessinées qui me faisaient rire, les romans qui ont forgé ma pensée, les cassettes VHS qui m’ont fait aimer le cinéma.
Tu as cru tout détruire sur ton passage, les rêves, la sensualité, l’esprit et l’humour. Tu te trompais, car le feu se consume et s’éteint, il entraîne dans son sillage lugubre les morts et la souffrance, mais l’étincelle brillante de la bougie, lueur ultime de vie, vacille sans succomber totalement à l’obscurantisme de la guerre. À 15 ans, un espoir renaît, le chemin de l’école, quoique parsemé de mines, est de nouveau accessible. On a du mal à se réveiller, mais on se réveille quand même, le temps de l’insouciance reprend ses droits et l’oubli accomplit, comme une dentelière minutieuse, son travail réparateur.
L’oubli n’est pas résilience, je hais ce mot, car dans mon esprit il signifie soumission, l’oubli est une résistance qui n’occulte pas la mémoire. On oublie un instant, on se laisse bercer par des plaisirs simples, on danse langoureusement, on saute frénétiquement, on se moque, on ironise, mais la vie nous ramène toujours au devoir de mémoire. Ce devoir est un instinct, il nous submerge comme le flot des vagues d’une mer déchaînée impossible à contrôler, il nous prend à la gorge et nous rappelle que nous sommes les filles et les fils de l’Histoire, notre Histoire commune, celle qui nous a rassemblés au gré du hasard, 18 communautés sur une terre fertile et déchirée par la passion, hospitalières à l’excès et violentes comme la colère des ténèbres.
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