Bollywood : les suprémacistes appellent au boycott du « Forrest Gump »
©Crédit Photo: Sujit Jaiswal/AFP
À l’approche de la sortie du remake bollywoodien de Forrest Gump avec la star Aamir Khan, de confession musulmane, le film est la cible d’appels au boycott que diffusent les suprémacistes hindous sur les réseaux sociaux.

La sortie le 11 août de Laal Singh Chaddha , réalisé en hindi par Advait Chandan, adaptation indienne du célèbre film américain avec Tom Hanks (1994), est l’un des événements cinématographiques les plus attendus de 2022 en Inde, grâce à Aamir Khan qui le produit et tient le rôle principal. L’acteur des superproductions indiennes 3 Idiots (2009) et Dangal (2016) est, à 57 ans, l’un des plus « bankables » de Bollywood.

Mais des extraits d’une interview qu’il avait donnée en 2015 ont soudainement refait surface sur les réseaux sociaux sur lesquels s’appuie un flot d’appels au boycott de son film lancés par des nationalistes hindous. Dans cet entretien, Aamir Khan avait exprimé son malaise et un « sentiment de peur » croissant, suscité par l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi et son parti nationaliste hindou, le BJP, au point qu’avec son épouse de l’époque, ils avaient envisagé de quitter l’Inde. « Elle a peur pour son enfant. Elle a peur de ce que sera l’atmosphère autour de nous. Elle a peur d’ouvrir les journaux tous les jours », avait-il alors déclaré.

Plus de 200.000 tweets, dont un grand nombre émane de partisans du BJP, portant le tag #BoycottLaalSinghChaddha, se sont déversés sur le réseau social depuis le mois dernier. «Aamir Khan a épousé deux femmes hindoues et a pourtant nommé ses enfants Junaid, Azad et Ira», des prénoms musulmans, peut-on lire dans un tweet. La comédienne qui joue à ses côtés dans Laal Singh Chaddha , Kareena Kapoor, « a épousé un musulman et a rapidement nommé ses enfants Taimur et Jehangir », relève-t-on aussi dans le même tweet et d’ajouter : « C’est une raison suffisante pour boycotter Lal Singh Chaddha, production du club Love Jihad de Bollywood. #BoycottLaalSinghChaddha ».

« Love Jihad » est une expression péjorative créée par les nationalistes hindous qui stigmatise les musulmans en les accusant d’épouser des hindoues afin de les convertir à l’islam. Le BJP trouve ses origines dans le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), groupuscule militariste prônant l’« Hindutva », projet d’hégémonie hindoue.


La fureur suscitée par son nouveau film est telle que la star a dû cette semaine dans la presse faire part de son patriotisme, notion phare de l’idéologie du gouvernement. « Je suis peiné que certains (...) pensent que je suis quelqu’un qui n’aime pas l’Inde. Ce n’est pas le cas », a-t-il déclaré, « s’il vous plaît, ne boycottez pas mon film. S’il vous plaît, allez voir mon film ». Le cinéma de Bollywood et d’autres industries régionales suscitent souvent la controverse et même la violence dans l’Inde cinéphile.

Mais ce que subit Aamir Khan, une des multiples superstars musulmanes de l’industrie, reflète le climat d’intolérance, la marginalisation et la diffamation des musulmans qui, d’évidence, s’accentuent, s’inquiètent des observateurs.
« Il ne fait aucun doute qu’Aamir est la cible de ceux qui sèment la haine des musulmans », a déclaré un observateur, ayant requis l’anonymat de peur de devenir lui-même une cible. La plus grande démocratie du monde a une longue histoire de censure cinématographique, mais les défenseurs des droits affirment que Bollywood subit en plus une pression accrue pour s’adapter à la propagande nationaliste hindoue du BJP.

De plus en plus de films sortis récemment racontent des histoires patriotiques dont les héros sont des militaires et des policiers, généralement hindous, qui luttent contre des ennemis de l’Inde, de l’intérieur ou de l’étranger.

Cette année le film The Kashmir Files, sur la fuite historique des hindous du Cachemire, il y a 30 ans, a fourni aux nationalistes hindous qui l’acclament, un prétexte pour s’en prendre à la minorité musulmane. Les méthodes employées pour « subordonner les musulmans et les chrétiens de l’Inde à la communauté majoritaire (...) passent par la diabolisation de ces minorités et l’exigence de preuves de leur patriotisme », explique la critique de cinéma et écrivaine, Anna MM Vetticad. Et, selon elle, « la tragédie de l’Inde est que la majorité de Bollywood (...) est soit apathique, soit opportuniste, ou bien a peur ».

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