À chacun sa résistance…
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La résistance n’est pas l’exclusivité d’un groupe, et c’est à tort que les souverainistes n’ont pas adopté ce vocable comme cri de ralliement et slogan mobilisateur. D’autant moins que le Liban est en sursis de guerre civile…

Comme à chaque groupe son récit héroïque! Nul n’a l’exclusivité de la résistance, nul ne peut se l’approprier au nom d’une communauté, d’un peuple ou d’un parti, fût-t-il celui du Très-Haut!

Il est vrai que le combat mené par le Hezbollah, sur des années, a contribué à libérer les portions du Liban-Sud occupé par Israël. Certes, ses moudjahidines ont payé le prix du sang! Mais pour accaparer une victoire, et dans l’intention d’en tirer une gloire non partagée, l’auxiliaire des pasdarans avait, avec l’accord de Damas, interdit aux autres composantes du cru de participer à la lutte. Nul parti nationaliste ou de gauche ne fut admis à œuvrer pour la reconquête: l’affrontement avec l’occupant aurait été l’apanage du parti divin et de ses disciples bien inspirés, qu’ils se disaient. Ce fut dans l’idée d’en tirer le profit exclusif et de s’en servir comme argument-massue, au moment utile, à la table des négociations ou dans les débats publics.

Or une plaque à Nahr el-Kalb commémorant de hauts faits n’annule pas pour autant la lutte et les sacrifices d’autres groupes, de même qu’elle n’accorde pas à ceux qui ne veulent pas démobiliser leurs troupes le droit de plastronner sans fin, d’imposer leurs options, ni d’engager des conflits gratuits comme celui de l’été 2006. Rappelons qu’il y eut une résistance druze et une résistance anti-OLP et antisyrienne, qu’on pourrait dénommer chrétienne. Elles furent également coupables d’excès et d’horreurs, mais elles ne peuvent être occultées pour faire toute la place à ceux qui prennent le pays en otage au prétexte que leur mission n’est pas achevée et qu’il y a lieu de libérer les fermes de Chebaa et peut-être même Jérusalem et le Saint-Sépulcre. Et puis quoi encore?

Est-ce de la résistance ou de l’oppression?

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le terme de résistance a une «connotation positive» et désigne le combat mené contre une occupation étrangère ou un pouvoir arbitraire. La résistance à l’oppression figurait à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui la proclame comme un des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Malheureusement, elle ne figure pas expressément sur la liste des droits et libertés mentionnés dans les trente articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies. Mais qui a besoin d’un texte écrit pour se soulever contre l’oppression? Quand on est sous occupation, on ne va pas consulter les grimoires savants; le premier réflexe est de se saisir d’une arme pour défendre son pré carré. Je donne pour exemple le commandant Massoud dans la vallée du Panshir comme les héroïques Hazaras, ces coreligionnaires des hezbollahis, tous unis dans leur refus de l’ordre noir des talibans, dans l’ex-royaume d’Afghanistan.


Hezbollah aurait dû rendre le tablier de la résistance en mai 2000 quand Tsahal s’est retiré du Liban, mais il n’a pas voulu le faire pour n’avoir pas à déposer les armes*. D’oppressé, il est devenu oppresseur. S’il se complaît dans son rôle d’usurpateur de pouvoir, son action n’en reste pas moins de l’ordre de l’oppression susmentionnée. Dites-moi, s’il vous plaît, en quoi l’assassinat de Rafic Hariri est-il un fait de résistance? Entreposer des matières explosives dans l’enceinte du port de Beyrouth constitue-t-il un acte héroïque, et d’après quel manuel de désobéissance civile? En fait, cet acte constitue un crime de guerre alors qu’abattre nos élus et intellectuels rentre dans la catégorie des crimes de droit commun.

En sursis de guerre civile

La résistance a de fait changé de bord, mais les souverainistes n’ont pas réussi à se saisir de ce vocable, ni comme slogan de ralliement ni comme ciment d’unité, tant ils sont désemparés et tant la chaîne Al-Manar l’accapare et l’instrumentalise à des fins propres.

Or les faits sont là et ils sont têtus: lorsqu’on garde ses armes et que l’on renforce ses troupes après une libération de territoire, il y a casus belli. C’est qu’on se prépare à l’éventualité d’une guerre civile, c’est-à-dire à assujettir le peuple libanais à un diktat. Cette guerre civile, le Hezbollah l’a subrepticement déclarée. Alors quand un député des Forces libanaises adresse au tandem chiite l’avertissement suivant: «Ne nous mettez pas à l’épreuve!», j’ai tendance à rétorquer: «Que voulez-vous qu’il fasse de plus comme provocation?»

Face à une autorité étrangère, iranienne de surcroît, qui a pris pied sur le sol national, une seule consigne: pas de collaboration. Il est même criminel de recourir à l’appeasement, cette politique adoptée par Chamberlain vis-à vis d’Hitler. Nous ne sommes pas en Inde et Gandhi n’est pas des nôtres, pas plus que Martin Luther King. Pour rétablir la justice et la dignité humaine dans notre démêlé avec des esprits verrouillés, la résistance non violente n’est pas l’arme absolue.

*Le Hezbollah n’a pas voulu suivre l’exemple du Parti communiste français qui, à la Libération en 1944, a rendu ses armes de résistant à l’État qui se reconstituait, parce qu’il ne voulait pas d’une guerre civile.
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