Un an après le 7 octobre 2023, le Liban sur les pas de Gaza
©Ici Beyrouth

Transformé en «front de soutien» par le Hezbollah, le Liban semble avancer sur les pas de Gaza, un an après l’attaque du 7 octobre, perpétrée par le Hamas contre Israël. De l’ouverture du front sud, le 8 octobre 2023, à l’offensive israélienne qui s’abat aujourd’hui sur le pays du Cèdre, comment en sommes-nous arrivés là?  

Le 7 octobre 2023, le monde se réveille à la nouvelle de l’attaque inédite du Hamas contre Israël. L’opération baptisée Déluge d’Al-Aqsa en entraîne une autre, Épées de fer, lancée en représailles par l’État hébreu.

Tout cela se passe à Gaza.

Or, dès le lendemain, tôt dans la matinée du 8 octobre, le Hezbollah tire des missiles guidés et des obus d’artillerie sur trois positions fortifiées israéliennes dans les fermes de Chebaa. Il s’agit d’une région frontalière occupée par Israël et revendiquée par le Liban, dans le Golan, plateau syrien occupé en 1967 et annexé par les Israéliens. 

La formation pro-iranienne revendique l’attaque dans un communiqué publié le matin même, affirmant qu’elle s’inscrit «dans le sillage de la libération des territoires libanais encore occupés par Israël et en signe de solidarité avec la résistance palestinienne».

L’armée israélienne riposte immédiatement, annonçant avoir frappé au drone une infrastructure du Hezbollah.

Selon l'Agence nationale d'information libanaise (ANI), un nourrisson et un enfant sont blessés par des bris de verre.

C’était parti pour un déluge de feu et de sang, qui a déferlé une nouvelle fois sur le pays du Cèdre.

Le 23 septembre 2024, Israël lance l’opération Flèches du Nord contre le Liban, une opération militaire aérienne qui s’avère être la plus meurtrière depuis la fin de la guerre civile. Les frappes israéliennes touchent à présent plusieurs régions du Liban, en particulier le Sud, la Békaa et la capitale, Beyrouth. Et l’armée continue d’élargir son champ de frappe.

Au 7 octobre 2024, on compte plus de 2.000 morts et près de 10.000 blessés, selon les rapports du ministère libanais de la Santé.

Mais comment en sommes-nous arrivés là?

Le Liban transformé en “front de soutien” à Gaza

Près d’un mois s’écoule après le début des échanges de tirs entre le Hezbollah et Israël, près d’un mois que les violences vont crescendo au Liban-Sud, près d’un mois que le secrétaire général, Hassan Nasrallah, s’enferme dans le silence, entretenant le suspense face à sa base populaire déroutée et impatiente.

Nasrallah s’exprime enfin le 3 novembre 2023, pour annoncer que “le front libanais est un front de soutien, de diversion et d’usure”. En d’autres termes, le Hezbollah se confiait la mission de soutenir le Hamas dans sa guerre contre Israël à Gaza, en détournant l'attention de l'armée israélienne et en la dispersant.

Le secrétaire général avait alors évoqué l’unité des fronts dans la région relevant de l’axe de la résistance qui regroupe les différents proxys de l’Iran au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et, bien sûr, à Gaza.

De ce fait, Nasrallah a, dès le départ, rattaché le front libanais à celui de l’enclave palestinienne, répétant inlassablement que le Hezbollah n’arrêtera ses tirs sur Israël que lorsque ce dernier cessera son agression sur Gaza.

Une rengaine qu’il a réitérée pendant près d’un an, à chaque intervention, s’évertuant à justifier l’action militaire du Hezbollah à la frontière libano-israélienne. Tout cela sans aucune considération ni pour la volonté du peuple, ni pour celle du gouvernement libanais.

Une confrontation en trois phases

Depuis l’ouverture du front sud, le 8 octobre 2023, la confrontation entre le Hezbollah et Israël aura traversé trois phases principales.

  • Du 8 octobre 2023 au 22 septembre 2024 

Tout au long de cette période, les échanges de tirs étaient localisés, en grande majorité, au Liban-Sud, avec certaines frappes dans la Békaa, et d’autres, très ciblées, dans la banlieue sud de Beyrouth, visant de hauts responsables du Hezbollah ou du Hamas.

Lors de cette phase, les belligérants observaient, de manière globale, ce qu’ils avaient appelé des «règles d’engagement», une espèce de garde-fou pour éviter une guerre de grande envergure.

  • À partir du 23 septembre 2024

La journée du 23 septembre a marqué une escalade significative dans le conflit militaire. Ce jour-là, l’armée israélienne a lancé l’opération Flèches du Nord, effectuant 1.100 raids et visant 1.600 cibles du Hezbollah dans le sud du Liban et dans la plaine de la Békaa.

En une seule journée, le bilan des raids israéliens s’est élevé à 558 morts, dont 35 enfants et 58 femmes, et 1.835 blessés.

D’ailleurs, l’État hébreu a annoncé, le 17 septembre, élargir les objectifs de sa guerre contre le Hamas à Gaza, pour y inclure le front avec le Hezbollah, le long de sa frontière nord avec le Liban.

“Le cabinet politique et de sécurité a mis à jour les buts de la guerre, afin d'y inclure la section suivante: le retour chez eux en toute sécurité des habitants du Nord”, avait indiqué le bureau du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, dans un communiqué.

Dans le même sens, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, avait déclaré que “l'action militaire” contre le Hezbollah était “le seul moyen de garantir le retour des habitants du nord d'Israël dans leurs foyers”.

M. Gallant a aussi précisé, le 18 septembre, que le “centre de gravité” de la guerre menée contre le Hamas “se déplace vers le nord”.

Les frappes israéliennes touchent désormais, de manière quotidienne, de grands secteurs du Liban, avec une concentration d'incidents dans le Sud, à Baalbek, au Hermel et dans la Békaa. 

Le sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, est aussi la cible de raids israéliens de plus en plus massifs, qui s’étendent à d’autres régions, au cœur de la capitale, telles que Cola, Jnah ou encore des rues à proximité de l’aéroport. Des entrepôts d’armes ainsi que des infrastructures du Hezb y sont quotidiennement ciblés.

La région de Tripoli a été visée pour la première fois, le 5 octobre, par une frappe sur le camp d’Al-Badaoui.

Parallèlement, de nombreux appels d’évacuation sont constamment lancés par l’armée israélienne aux habitants de plusieurs régions du Liban-Sud et de Beyrouth.  

Du côté du Hezb, les tirs ont également gagné en profondeur dans le territoire israélien. Après avoir commencé par viser le nord, la formation a élargi ses cibles pour toucher, à partir du 23 septembre, les environs de Haïfa, métropole la plus proche du Liban, ainsi que le quartier général du Mossad, dans la banlieue de Tel-Aviv, première attaque sur cette ville depuis le début du conflit.

  • L’incursion terrestre 

Dans la nuit du 30 septembre 2024, l’armée israélienne a annoncé dans un communiqué avoir lancé, “il y a quelques heures, une offensive terrestre limitée, localisée et ciblée contre des objectifs du Hezbollah dans la zone frontalière”.

Depuis cette date, des altercations quotidiennes ont lieu avec les combattants du Hezb, dans plusieurs villages jouxtant la frontière.

“Ces opérations terrestres s'appuient sur les mesures récentes et en cours visant à éliminer les hauts dirigeants du Hezbollah et à affaiblir les capacités offensives de la formation”, a affirmé M. Gallant à son homologue américain, Lloyd Austin, selon le bureau du ministre israélien cité par Reuters.

Dans ce cadre, l’ambassadeur d’Israël en France, Joshua Zarka, a indiqué, dans un entretien accordé à France Inter au lendemain du début des opérations terrestres, qu’Israël “n’a pas l’intention d’envahir le Liban”, ni de s’y attarder pendant “des mois”, mais de “nettoyer une partie du Liban le long de notre frontière”.

Depuis octobre 2023, Israël avait déployé ses troupes à la frontière avec le Liban. Plusieurs redéploiements ont été opérés, notamment en juin 2024. L’armée de Tel-Aviv s’est préparée, des mois durant, pour ce scénario d’incursion terrestre, attendant le moment propice pour le mettre en œuvre.

Un lourd bilan

Le Liban paie un tribut de plus en plus lourd, notamment à la suite de la dernière escalade des opérations militaires.

Entre le 23 septembre et le 2 octobre 2024, les autorités libanaises ont fait état de près de 1.100 tués et 3.000 blessés. Ce bilan de dix jours de frappes israéliennes correspond sensiblement à celui d’un mois de la guerre de 2006.

Parmi les civils, qui constituent la majorité des victimes, le personnel de secours est également touché. Le 3 octobre, le gouvernement a annoncé la mort de plus de 40 secouristes et pompiers en trois jours, dans les frappes israéliennes.

Par ailleurs, l’armée libanaise a perdu deux de ses soldats dans des frappes israéliennes, durant la première semaine d’octobre. L’un a été tué dans un poste militaire visé à Bint Jbeil, et l’autre à Taybé (Marjayoun), alors qu’il participait à des opérations de secours avec la Croix-Rouge libanaise.

Il s'est ensuivi une première. “Le personnel militaire a répondu aux tirs” israéliens, a indiqué l'armée dans un communiqué publié le 3 octobre sur la plateforme X.

Un soldat libanais avait été tué le 5 décembre 2023, dans une frappe sur un poste militaire de Odaisseh, au Liban-Sud. Depuis, plusieurs postes militaires frontaliers avaient été visés, sans faire de victimes.

La crise du déplacement de population vient s’ajouter aux pertes humaines, bouleversant, une fois de plus, la vie des Libanais.

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus d'un million de personnes ont été déplacées à l'intérieur du Liban, principalement en provenance des régions les plus touchées par les bombardements israéliens: le Liban-Sud, la Békaa et la banlieue-sud de Beyrouth.

Le chef du HCR, Filippo Grandi, a dénoncé, le 6 octobre, “de nombreuses violations du droit international humanitaire lors des frappes au Liban”.

De son côté, le Centre de crise libanais a signalé la présence de 180.000 personnes déplacées dans les centres d’hébergement.

En outre, le directeur général de l'Éducation, Imad Achkar, a indiqué que 40% des élèves scolarisés dans les écoles libanaises ont été déplacés en raison des bombardements israéliens.

Une guerre technologique

Ce qui caractérise les stratégies guerrières de Tel-Aviv, par rapport aux précédents conflits armés, est sans doute l’utilisation d’une technologie de pointe au service de visées militaires.

Toute opération réussie repose sur des renseignements précis. Or l’État hébreu investit dans l’intelligence artificielle pour perfectionner des outils capables de générer des cibles, matérielles ou humaines. Des logiciels, tels que The Gospel et Lavender, ont déjà été employés par l’armée israélienne à Gaza. Ont-ils servi pour la planification des frappes au Liban? Une question qui reste pour le moment sans réponse.

Quoi qu’il en soit, Israël n’a pas manqué de surprendre la formation pro-iranienne. Croyant esquiver le système de traçage par géolocalisation, les membres du Hezbollah se sont mis à communiquer au moyen de bipeurs et de talkies-walkies. Le grand public ne l’a découvert que lorsque l’armée israélienne a fait exploser, en l’espace de quelques secondes et pendant deux jours consécutifs, des appareils de transmission piégés, dans les mains de centaines d’utilisateurs civils.

Les 17 et 18 septembre, deux vagues d'explosions ont été provoquées simultanément dans plusieurs régions du Liban, dans le Sud, dans la Békaa, mais surtout dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Le ministère libanais de la Santé a fait état de 39 morts et 2.931 blessés au total. 

Il ne faut pas oublier la grande précision conférée par les drones guidés, utilisés pour les assassinats ciblés de hauts cadres, ni la puissance destructrice spectaculaire des missiles israéliens.

Voici comment Israël a démantelé la structure hiérarchique du Hezbollah, s’attaquant au sommet de la pyramide.

Le Hezbollah décimé

Une série d’assassinats orchestrés par Tel-Aviv a progressivement visé les membres de haut rang de la formation pro-iranienne.

Le sommet de l’édifice, à savoir le chef, Hassan Nasrallah, a été assassiné dans la frappe la plus puissante depuis 2006, le 27 septembre 2024, à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth.

Des dizaines de bombes à fragmentation, de 900 kg chacune, ont été larguées par des avions F-35 sur le quartier général souterrain du Hezbollah, où Nasrallah se réunissait avec d’autres hauts responsables. Six bâtiments résidentiels se sont effondrés en l’espace de quelques secondes. On a signalé 11 tués et 108 blessés.

“Le message est simple: quiconque menace les citoyens d'Israël, nous saurons comment l'atteindre”, a déclaré le général Herzi Halevi, chef d'état-major de l'armée israélienne, au lendemain de la frappe meurtrière. 

En éliminant le secrétaire général de la formation, Israël a décapité par la même occasion le Conseil de la Choura, tout en haut de la hiérarchie. Les membres de ce Conseil encore en vie sont Naïm Kassem, secrétaire adjoint, Mohammed Yazbek, chef du Conseil judiciaire, Ibrahim A. al-Sayyed, chef du Conseil politique et le député Mohammad Raad, chef du Conseil de l'action parlementaire.

Parmi les principaux membres connus du Conseil du jihad, Nabil Kaouk, chef adjoint du Conseil exécutif, a été tué le 28 septembre dans une frappe à Chiyah.

Fouad Chokr, haut commandant militaire, a été éliminé le 30 juillet dans une attaque ciblée sur la banlieue sud de Beyrouth. Un coup dur pour le Hezb, puisque Chokr, qui était le bras droit de Nasrallah, était aussi l’un des fondateurs du parti. Selon Israël, il était notamment responsable d'une attaque ayant tué, le 27 juillet, 12 jeunes gens à Majdal Shams, ville druze du plateau du Golan. Le Hezbollah a nié la responsabilité de cette frappe.

Ibrahim Akil, chef de la force d’élite Al-Radwan au sein du Hezbollah, a été assassiné le 20 septembre, avec 15 autres membres de cette unité, dans une frappe israélienne sur un immeuble de la banlieue sud de Beyrouth. Les autorités libanaises ont fait état de 55 morts, dont des civils. Considéré comme “terroriste” par le département d'État américain, Ibrahim Akil était recherché par Washington pour son implication dans les attentats sanglants contre l’ambassade américaine en 1983.

Dans le Conseil du jihad, il reste Houssein al-Khaili, conseiller politique du secrétaire général, Wafik Safa, chef de l'unité de liaison et de coordination, et Hachem Saffieddine, chef du Conseil exécutif, dont le sort demeure incertain. 

D’autres membres haut gradés ont également été assassinés dans des frappes rapprochées sur la banlieue sud de Beyrouth.

Ali Karaki, considéré comme le numéro 3 militaire du Hezbollah, a été tué aux côtés de Nasrallah, le 27 septembre. Commandant du front sud au Liban, il avait survécu à une frappe le visant le 23 septembre.

Le chef de l'unité de drones du Hezbollah, Mohammad Srour, a été tué le 26 septembre. D'après une source proche de la formation pro-iranienne, le mathématicien faisait partie des hauts commandants du mouvement envoyés au Yémen pour entraîner les rebelles houthis, également soutenus par l'Iran.

Ibrahim Kobeissi, commandant de l’unité de missiles de précision, a été tué le 24 septembre. Selon l'armée israélienne, Kobeissi «était une source importante de connaissances dans le domaine des missiles et entretenait des liens étroits avec les hauts responsables militaires du Hezbollah».

Wissam Tawil, un commandant de la force Al-Radwan, a été assassiné le 8 janvier dans une frappe israélienne sur son véhicule, dans le sud du Liban.

Deux des trois commandants des secteurs du Liban-Sud ont également été tués, Mohammad Nasser (le 3 juillet) et Taleb Abdallah (le 11 juin).

Le Hezbollah, au commandement amputé et considérablement affaibli, campe toujours sur ses positions. Cessez-le-feu à Gaza, et alors, seulement, au Liban. Ses unités présentes sur le terrain poursuivent les tirs en direction du territoire hébreu. Selon le think-tank américain Center for Strategic and International Studies (CSIS), le Hezbollah aurait tiré vers Israël moins d’un douzième de son arsenal, estimé à plus de 130.000 munitions. Sa force résiderait dans ses projectiles à longue portée, au-delà de 100 km. 

Parallèlement, Israël est déterminé à éradiquer la formation pro-iranienne afin de sécuriser définitivement sa frontière nord.

Dans toutes ces équations, le Liban officiel est absent.

Le Liban est face à “l’une des phases les plus dangereuses de son histoire”, a alerté le Premier ministre sortant, Najib Mikati. Ses conseils au peuple libanais s’étaient jusque-là limités à observer la “prière” et la “patience”, pendant que le ministère des Affaires étrangères déposait par séries des plaintes contre Israël, auprès du Conseil de sécurité de l’ONU.

Dans ce contexte, quel destin pour la 1701? Israël pose comme condition le retrait des combattants du Hezbollah jusqu’au nord du Litani, ce que le mouvement refuse catégoriquement.

À la lumière des derniers développements, l’on craint que le Liban ne se transforme en un second Gaza, comme l'a suggéré, le 22 septembre, António Guterres, secrétaire général de l'ONU.

L’armée libanaise semble être la seule bouée de sauvetage pour ce Liban meurtri. Son commandant en chef, le général Joseph Aoun, réussira-t-il à obtenir le soutien nécessaire, à la fois politique et financier, pour un déploiement, cette fois efficace, au Liban-Sud?

Après le prix faramineux qu’il a payé, à maintes reprises, pour défendre les causes de peuples étrangers à sa terre, n’est-il pas temps que le pays du Cèdre retrouve sa souveraineté?

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