Une fois de plus, le Liban paie cher, voire très cher, le prix d’une énième guerre. Le conflit entre Israël et le Hezbollah aura certainement des répercussions particulièrement sévères sur l'économie à court et à moyen terme, et ces effets pourraient s'aggraver si la guerre venait à se prolonger ou à s’amplifier davantage.
Le conflit entre Israël et le Hezbollah aura des répercussions particulièrement sévères sur l'économie libanaise à court et à moyen terme. En effet, le Liban, déjà en proie à une crise économique, pourrait voir sa situation se détériorer, avec une inflation accrue et une augmentation du chômage. Sans oublier que les tensions ont entraîné une incertitude croissante, affectant les investissements étrangers et locaux déjà au plus bas. La guerre va également pousser les investisseurs et les professionnels à fuir le pays, reléguant aux oubliettes la relance économique. Le Liban, qui a un secteur touristique fructueux, subira aussi, sans aucun doute, une nouvelle chute de l’afflux touristique, essentiel pour son économie.
Pour l’économiste en chef de la Byblos Bank, Nassib Ghobril, les répercussions ont commencé le 7 octobre dernier, puisque ses prévisions de croissance en 2023 étaient de 2%, résultat d’une année touristique exceptionnelle. Sans oublier que l’activité des secteurs agricole et industriel s’était développée, ainsi que celle des services. De plus, le secteur privé a pu absorber le choc de la crise économique et financière et a recommencé à travailler de façon plus ou moins normale en 2023. Parallèlement, le pouvoir d’achat d’une partie des Libanais a augmenté grâce au réajustement des salaires dans le secteur privé et à leur dollarisation partielle. Il faut dire que la stabilité du taux de change de la livre libanaise a également contribué à ces prévisions de croissance. Mais le choc du 7 octobre a changé la donne. “Le déclenchement de la guerre et des affrontements au Liban-Sud a créé une onde de choc négative qui a freiné cette relance économique; aussi, au lieu d’une croissance de 2% en 2023, l’économiste estime que la croissance ne sera plus que de 1%, sans la moindre perspective pour le secteur privé”.
Perte de croissance de 10%
En ce qui concerne l’économie, il indique que le manque de visibilité est aussi de mise. Il rappelle que la saison d’été (2024) tant attendue a basculé dès la fin juillet avec des annulations en masse et les départs précipités des expatriés et des touristes. “Nous étions dans une perspective de ralentissement économique jusqu’à fin août. Selon mes prévisions, il fallait s’attendre à une contraction de 1% pour 2024, mais, à partir du 17 septembre, tout a basculé, et nous sommes arrivés au scénario que tout le monde redoutait, à savoir l’élargissement de la guerre. Avec le niveau de destruction et le déplacement de plus d’un million de Libanais, je prévois une contraction économique d’à peu près 6 à 7% pour l’année 2024”, assure-t-il.
En ce qui concerne les opportunités perdues de l’économie libanaise en 2024, elles représentent 10% de croissance, contre 1% en 2023, sans compter les destructions résultant des bombardements israéliens. En effet, les prévisions penchaient pour une croissance de 3%. “Donc, au lieu d’avoir une croissance de 3%, nous nous dirigeons vers une contraction de 6 à 7% jusqu’à présent”, poursuit l’économiste.
Les finances publiques seront également impactées, alors qu’elles s’étaient améliorées en 2023. Le budget avait enregistré un surplus de 1,9% du PIB et les prévisions du ministère des Finances pronostiquaient le 15 septembre un surplus de 2% du PIB en 2024. M. Ghobril estime que ce surplus n’est désormais plus envisageable dans ce contexte. En effet, la guerre et la contraction économique vont aboutir à un recul des recettes du trésor et les dépenses publiques vont inévitablement augmenter. Il a souligné qu’il est difficile de mettre un nouveau chiffre relatif au budget et aux finances publiques, considérant que dans le meilleur des cas, ce sera 0% du PIB, ou bien un déficit de 1% de ce dernier.
Pour ce qui est de la situation financière, il rappelle que jusqu’à présent la Banque du Liban (BDL) a réussi à maintenir la stabilité de la livre libanaise grâce à sa politique d’absorption d’une grande partie de la masse monétaire en livres libanaises sur le marché. En 2023, la BDL a retiré 22 trillions de livres libanaises, rétrécissant ainsi la masse monétaire de 30%. À cela s’ajoute le facteur de l’économie dollarisée qui contribue aussi à la stabilité du marché. Il affirme toutefois qu’il est impossible de faire des prévisions, même à moyen terme, car l’État va avoir besoin de dépenser beaucoup plus que ce qu’il avait planifié. D’autre part, M. Ghobril souligne que le secteur public a, dans ses comptes à la BDL, un total de 5 milliards 800 millions de dollars, sans toutefois connaître le pourcentage en dollars frais. Est-ce que l’État va utiliser cet argent? Est-ce que la BDL va être contrainte de financer l’État de nouveau? Est-ce que l’État va mettre la pression pour utiliser les réserves en devises? Autant de questions qui restent en suspens pour l’instant. Il estime que la BDL va coopérer avec l’État, mais sans mettre en péril la stabilité du taux de la livre libanaise.
Du côté du taux de chômage, selon la Banque mondiale (BM) il était de 11% en 2022 et 2023. Or, étant donné l’impact négatif sur la plupart des secteurs dans le pays, ce dernier va sûrement augmenter en 2024, conséquence de la réduction des coûts opérationnels des entreprises. Sans oublier que la consommation en temps de guerre est consacrée aux biens essentiels, ce qui aura donc un impact sur une partie du commerce du détail. Les autres secteurs souffrent aussi d’un ralentissement, si ce n’est d’un arrêt, et les investissements sont quasiment au point mort.
M. Ghobril insiste sur le fait que tout cela a affecté négativement la confiance. Pour la regagner, un arrêt de la guerre est impératif. Mais il faut aussi tirer des leçons, respecter les délais constitutionnels, la séparation des pouvoirs, l’indépendance du système judiciaire, combattre l’économie parallèle et l’évasion fiscale et douanière ainsi que la contrebande.
Pour ce qui est de 2025, M. Ghobril juge qu’il est très difficile de se projeter, espérant que la guerre ne s’étendra pas jusque-là.
Un milliard et demi de dollars de pertes par mois
Pour le doyen de la faculté de gestion et de management de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et président du Mouvement international des chefs d’entreprises libanais (Midel), Fouad Zmokhol, les répercussions de ce conflit sur les secteurs productifs sont “dramatiques” à plusieurs niveaux, avec des coûts monumentaux: environ 3 à 4 milliards de dollars pour le tourisme et une perte d’environ un milliard et demi de dollars par mois si nous nous en tenons aux prévisions d’environ18 milliards de PIB prévues pour cette année. Il affirme que ces secteurs sont gravement touchés, à commencer par le secteur industriel qui était celui qui avait le mieux repris après la crise avec des coûts de production en augmentation. De plus, les exportateurs ont perdu la confiance des clients qui se tournent vers d’autres fournisseurs pour leurs commandes, craignant des retards dans les livraisons. En ce qui concerne le secteur commercial, étant donné que c’est la période des commandes pour les fêtes de fin d’année, M. Zmokhol a émis un doute sérieux sur de gros budgets, de même que pour la période touristique de fin d’année puisque les réservations se font dès à présent.
Quant au secteur agricole, essentiellement basé à la Bekaa et au sud du Liban sévèrement bombardé au phosphore, il est également touché de plein fouet.
Au niveau international, ce conflit pourrait, s’il venait à s’étendre, faire réagir négativement les marchés financiers et perturber le commerce, notamment en Méditerranée, affectant l'importation et l'exportation de biens. Enfin, il pourrait faire bondir le prix du pétrole, ce qui aurait des répercussions sur les économies mondiales.
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