La “doctrine Dahyé”, une stratégie militaire israélienne dissuasive
Une femme passe devant un cratère où un bâtiment s'est effondré à la suite d'une attaque aérienne israélienne sur le quartier de Kafaat dans la banlieue sud de Beyrouth, le 7 octobre 2024. ©AFP

Cela fait des semaines que la banlieue sud de Beyrouth, communément appelée Dahyé, est soumise à des frappes israéliennes devenues récemment quotidiennes.

Les frappes se sont intensifiées à partir du 27 septembre, date à laquelle Israël a mené de violents raids qui ont détruit au moins six immeubles à Haret Hreik pour pouvoir assassiner le secrétaire général de la formation pro-iranienne, Hassan Nasrallah.

Mais, derrière la fumée des explosions se cache aussi une stratégie militaire machiavélienne.
C’est l’histoire d’une stratégie militaire qu’Israël a suivie durant la guerre de 2006, l’appliquant essentiellement à la banlieue sud de Beyrouth. Une stratégie baptisée depuis “doctrine de Dahyé”, comme elle était destinée à atteindre un objectif précis, dissuassif.

Cet endroit, bastion du Hezbollah, était devenu le théâtre d'un conflit militaire dans lequel Israël a redéfini la manière avec laquelle il répond à ses ennemis. Des quartiers entiers ont été rasés et des centaines de civils ont péri.
Face à une organisation paramilitaire qui maîtrisait parfaitement la guerre asymétrique, l’État hébreu avait décidé de frapper non seulement les combattants, mais aussi les infrastructures, les maisons, les routes, bref tout ce qui rendait la vie normale possible dans ce fief du Hezb. La stratégie était la suivante: saper le soutien populaire dont bénéficie le Hezbollah au sein même de sa propre base en rendant le coût de la guerre insupportable pour les civils, dans l’espoir que ces derniers secouent le joug de la formation pro-iranienne sur le Liban.
“La doctrine Dahyé” est née de la conviction qu'il ne s'agissait plus seulement de gagner des batailles, mais de rendre la guerre tellement douloureuse pour l'adversaire qu'il renoncerait à jamais à la déclencher.
Ce n’est qu’en 2008, cependant, que le général israélien Gadi Eizenkot a expliqué “la doctrine” sans ambiguïté lors d’une interview avec Reuters: “Ce qui est arrivé à Dahyé en 2006 arrivera à tous les villages qui servent de base pour attaquer Israël. Nous y emploierons la force de manière disproportionnée et y causerons de grands dégâts. De notre point de vue, il ne s'agit pas de villages civils, mais de bases militaires”. 

“Il ne s'agit pas d'une recommandation, mais d'un plan, et il avait été approuvé” a-t-il poursuivi. “S'en prendre à la population est le seul moyen de retenir Nasrallah”.

Mais cette “doctrine” n’a pas empêché ce dernier de continuer à cacher ses armes parmi une population civile, sa propre base, devenue une chair à canon, que ce soit dans la banlieue sud de Beyrouth ou dans les villages du sud, de la Békaa, voire même dans les jurds du Kesrouan et de Jbeil, au nord de Beyrouth, bien loin de la frontière avec Israël.

La guerre de 2006 a marqué un tournant, car, pour la première fois, Israël ne se contentait pas de neutraliser des cibles militaires. Il cherchait à envoyer un message plus large et plus terrifiant.


La résurrection d'un spectre
Le 27 septembre 2024, les forces israéliennes ont largué plus de 80 bunker busters (destructeurs de bunkers) sur le QG du Hezbollah à Haret Hreik, tuant Hassan Nasrallah. Ces bombes sont si puissantes qu’elles peuvent pénétrer sous terre avant d’exploser. Elles ont un rayon de destruction de 35 mètres. 

Ces frappes, qui ont détruit six bâtiments résidentiels sous lesquels se trouvait le QG du Hezbollah, ont offert un paysage dantesque à des centaines de milliers de Libanais.

Le ministre libanais sortant de la Santé, Firas Abiad, avait annoncé que certains des bâtiments visés étaient “pleins de résidents civils”. Mais son département n’a fait état par la suite que de 11 tués et 73 blessés.

Dans son chef-d’œuvre, Le Prince, qu’il a publié en 1532, Nicolas Machiavel, père de la realpolitik, explique que “l’offense que l’on fait à l’homme doit être telle que l’on ne craigne pas la vengeance”. Le gouvernement israélien a appliqué ce principe en 2006 et en 2024. 

Mais cette stratégie est-elle efficace? En d’autres termes, Israël est-il parvenu ou parviendra-t-il à atteindre ses objectifs en la poursuivant, en supposant que des alternatives moins coûteuses soient disponibles? La réponse est non pour 2006, puisque le Hezbollah n’a pas changé son comportement.

Sous l’impulsion de l’Iran, il a continué de cacher son arsenal dans les quartiers résidentiels et de “miner”, pour ainsi dire, les villages libanais, notamment frontaliers, avec ses armes, en violation de la résolution 1701 du Conseil de sécurité et des droits les plus élémentaires des Libanais à vivre en sécurité sur leur propre territoire.  

Il est encore trop tôt, parallèlement, pour avancer un bilan décisif pour 2024. Une chose est sûre: la base du Hezb avait continué à soutenir celui-ci, même après les frappes massives de 2006, alors que le reste des Libanais insistait pour une application des résolutions 1701 et 1559 du Conseil de sécurité. La 1559, rappelle-t-on, se rapporte au désarmement des milices et à l’extension de l’autorité de l’État libanais sur l’ensemble du territoire. La 1701 y fait aussi mention. Mais le Hezbollah ne tient compte ni de l’une ni de l’autre.

 

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