Enquête Al-Qard al-Hassan: “La banque du Hezbollah” en danger? (2/2)
©Ici Beyrouth

De nombreux juristes conviennent que "l'Association" Al-Qard al-Hassan constitue en réalité un subterfuge vis-à-vis de la loi libanaise. Bien que l'institution utilise un vocabulaire différent, qualifiant les "dépôts" de "contributions" et les "déposants" de "contributeurs", sa nature juridique reste celle d'une véritable banque plutôt que d'une association caritative à but non lucratif. Or, selon la loi, il est interdit à une banque de fonctionner sans l'agrément préalable de la Banque du Liban (BDL). Néanmoins, depuis des années, Al-Qard al-Hassan opère de manière indépendante, sans se conformer aux directives de la BDL ni aux dispositions du Code de la monnaie et du crédit.

L'Association est enregistrée auprès du ministère de l'Intérieur en tant qu'entité caritative, ce qui lui permet d'échapper aux réglementations financières qui lieraient normalement les institutions bancaires à la Banque centrale. Le 22 avril 2021, l'avocat Majd Harb a déposé une plainte dénonçant les activités de cette institution, les jugeant contraires aux normes bancaires établies par le Code de la monnaie et du crédit, dont l'article 206 stipule que les contrevenants doivent être traduits devant les juridictions pénales. Harb a également souligné que l'absence de régulation a permis à Al-Qard al-Hassan de croître et de s'établir, la rendant propice au blanchiment de capitaux au profit de réseaux de trafic de drogue.

À ce jour, la plainte est restée sans suite dans le système judiciaire libanais. Il est essentiel de rappeler les propos du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en janvier 2021, lorsqu'il a défendu Al-Qard al-Hassan. Il avait alors affirmé que près de 1,8 million de personnes bénéficiaient de cette association et que le montant total des contributions et des prêts cumulés dépassait les 3 milliards de dollars, tout en précisant sans ambages que le financement provenait entièrement de Téhéran.

Jammal Trust Bank, la première victime

En juillet 2007, le département du Trésor américain a imposé des sanctions à Al-Qard al-Hassan, considérant que cette association facilitait l’accès du Hezbollah au système bancaire international à travers des comptes détenus par ses principaux financiers. Par ailleurs, des employés de l'association ont utilisé des comptes personnels à la Jammal Trust Bank pour réaliser des transactions commerciales.

Fin décembre 2020, un pirate connu sous le nom de "Spiderz" a réussi à accéder aux comptes de l’association auprès de la Jammal Trust Bank, laquelle avait été sanctionnée par les États-Unis en 2019 pour avoir facilité les transactions financières au profit du Hezbollah, selon les accusations du département du Trésor américain. À la suite de ces sanctions, la Banque du Liban (BDL) a approuvé, le 19 septembre 2019, la liquidation de la Jamal Trust Bank, mettant ainsi fin à ses activités bancaires.

Les conséquences de cette cyberattaque ont resurgi avec le piratage des caméras dans les agences d'Al-Qard al-Hassan. Ce piratage a permis la publication des listes des emprunteurs pour les années 2019 et 2020, incluant des détails sur les montants prêtés, les taux de remboursement et des informations personnelles sensibles. Ces données auraient potentiellement été exploitées par Israël pour identifier des membres du Hezbollah car la majorité des bénéficiaires des services d'Al-Qard al-Hassan sont soit affiliés au parti, soit issus de son cercle proche. Ainsi, l'association, autrefois considérée comme un soutien crucial pour le Hezbollah, pourrait désormais représenter une vulnérabilité exploitable contre lui.

Les secrets révélés par le vol de données

Selon le site Iran International, qui s’appuie sur des informations de la Foundation for Defense of Democracies (FDD), des extraits de documents internes d’Al-Qard al-Hassan, ayant fuité, révèlent que l’association gère actuellement 400.000 comptes, appartenant à divers individus et des entités, parmi lesquels on trouve des expatriés libanais, des cadres, des institutions affiliées au Hezbollah et des financiers d'Al-Qard al-Hassan, ayant des intérêts commerciaux considérables, notamment en Afrique.

Les données divulguées mentionnent notamment:

Ali Taj al-Din

• L'un des trois frères ayant été sanctionné par le département du Trésor américain en 2009 et 2010 en raison de leur rôle en tant que collecteurs de fonds importants, contributeur financier et blanchisseur d'argent pour le Hezbollah.

• Le département du Trésor a désigné Taj al-Din comme un "ancien responsable du Hezbollah", ayant financé le parti pro-iranien par des transferts de fonds pouvant atteindre un million de dollars.

• Il est un acteur central de "Jihad al-Bina", une entreprise de construction basée au Liban, créée et dirigée par le Hezbollah. Cette entreprise a été inscrite sur la liste des sanctions du département du Trésor américain en février 2007.

• Ali Taj al-Din est également copropriétaire de Tajco, une multinationale que le département du Trésor américain a désignée en 2010 comme "l'entité principale pour l'acquisition et le développement de biens immobiliers au Liban au nom du Hezbollah".

• Sous la marque Tajco, Ali Taj al-Din a mené divers projets immobiliers, mettant en place des prêts hypothécaires et souscrivant à des assurances-vie hypothécaires, offrant ainsi une protection financière aux emprunteurs.

Hussein et Zahra Taj al-Din

• Hussein et Zahra, le fils et la fille de Ali Taj al-Din, jouent un rôle actif au sein des entreprises familiales, dont la société Tajco, qui fait l’objet de sanctions américaines.

• Malgré cela, Washington n'a inscrit aucun d'entre eux sur la liste des sanctions.

• Hussein détient 20% des parts de Tajco, de même que sa mère et son frère Hassan.

• Zahra est cofondatrice de la société Al-Burhan pour le développement et la construction, une autre entité contrôlée par la famille Taj al-Din, où elle travaille aux côtés de sa mère et de son frère Hassan.

Hussein Ahmad Issawi

• Les documents piratés révèlent que Hussein Ahmad Issawi figure parmi les principaux déposants et titulaires de comptes auprès d'Al-Qard al-Hassan.

• Issawi appartient à une famille qui détient d'importants intérêts commerciaux en République démocratique du Congo.

• Il détient également plusieurs comptes libellés en dollars dans l'association Al-Qard al-Hassan.

Comptes iraniens au sein d'Al-Qard al-Hassan

La “Fondation du martyr” des anciens combattants iraniens 
- La cyberattaque des comptes d'Al-Qard al-Hassan a révélé que la branche libanaise de la Fondation du martyr, sanctionnée par le département du Trésor américain en 2007, détient plusieurs comptes dans cette association.
- Fondée en 1980 par l'ayatollah Khomeini, la fondation apporte un soutien financier aux familles des soldats tués ou blessés durant la guerre Iran-Irak.

- Cette fondation canalise également des fonds depuis l'Iran vers ses alliés régionaux, dont le Hezbollah.

Comité d'aide de l'ayatollah Khomeini
• Le Comité d'aide de l'ayatollah Khomeini, également connu sous le nom de Comité de secours islamique, possède des comptes liés à sa branche locale au sein d’Al-Qard al-Hassan.
• En 2010, le département du Trésor américain a imposé des sanctions contre ce comité ainsi que son directeur, Ali Hassan Zreik, qui détient également des comptes au sein d'Al-Qard al-Hassan.

Mahan Air et Sky Gift

• Mahan Air, la plus grande compagnie aérienne commerciale d'Iran, a été placée sous sanctions par le département du Trésor américain en 2011 pour son soutien aux Gardiens de la révolution iranienne.

• Malgré ces sanctions, Al-Qard al-Hassan a maintenu des comptes libellés en livres libanaises et en dollars américains au nom de Mahan Air, sous les noms de deux individus libanais portant les noms d’Ayoub et Saidi. 

• "Sky Gift" semble être l'agent de vente local de Mahan Air au Liban.

• Depuis 2018, le département du Trésor américain a étendu ses sanctions à trois agents de vente de Mahan Air, visant notamment des entités situées en Chine, en Malaisie et en Thaïlande.

East Star

• Al-Qard al-Hassan détenait des comptes en livres libanaises et en dollars au nom d'Ayoub et Saidi pour une entité appelée East Star.

• L'agence de voyages East Star Travel Agency opère en tant qu'agent de vente pour la compagnie aérienne iranienne Mahan Air.

Iran Air

• Al-Qard al-Hassan a ouvert des comptes en livres libanaises et en dollars pour Iran Air au nom de deux individus, Rouhani et Kasri.

• Le département du Trésor américain a imposé des sanctions à Iran Air en 2011, puis à nouveau en 2018, lorsque l'administration Trump a rétabli les sanctions qui avaient été levées par l'administration Obama dans le cadre du Plan d'action global conjoint (JCPOA) signé avec l'Iran en 2015.

Le Croissant-Rouge iranien

Al-Qard al-Hassan détient des comptes au nom du Croissant-Rouge iranien, et l'association a utilisé ces comptes pour transférer des fonds en Iran à la suite des importantes inondations survenues en 2019.

Bureau du Guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei

Les documents révèlent l'existence de comptes, dont un pour le bureau de l'ayatollah Ali Khamenei, désigné sous le nom de "Compte du Wali el-faqih".

Représentant du Guide suprême 

Les documents révèlent qu'Issa Tabatabai, représentant de l'ayatollah Ali Khamenei et un proche du Hezbollah, détient également un compte à Al-Qard Al-Hassan. Tabatabai est le fondateur des centres culturels "Imam Khomeini", qu’il supervise également. Il a contribué à l'établissement de plusieurs institutions liées au parti pro-iranien, dont la Commission de secours de l'Imam Khomeini, la Fondation du martyr et l'hôpital al-Rasoul al-A‘zam.

Ambassade d'Iran à Beyrouth

Les données divulguées indiquent que l'ambassade d'Iran à Beyrouth possède un compte au sein d'Al-Qard al-Hassan.

Comptes d'organisations médiatiques iraniennes chez Al-Qard Al-Hassan 

•Les documents mettent en lumière l'existence de comptes en euros pour le bureau de Radio-Télévision de la République islamique d’Iran (IRIB), qui a été sanctionnée en 2013. 

•Des comptes sont également associés à des responsables de la chaîne Press TV, dont Naji Janani, ancien directeur de l'information de la chaîne Al-Alam en arabe. 

•Enfin, plusieurs comptes appartiennent à des responsables de la chaîne Al-Alam, parmi lesquels Mahmoud Boujnoordi, qui a occupé le poste de directeur de la chaîne à Beyrouth et a été directeur général des chaînes étrangères iraniennes au Liban.

Banque Saderat d'Iran

•Al-Qard al-Hassan possède des comptes liés à cette banque iranienne qui a fait l'objet de sanctions américaines et européennes. Cependant, l'Union européenne a levé ces sanctions en 2015.

• Les documents révèlent également qu'Al-Qard al-Hassan maintient un compte dédié aux dons pour les Houthis au Yémen, sous l'intitulé "Dons pour les enfants du Yémen".

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