Infox: qu’encourt une personne qui propage des nouvelles mensongères au Liban?
Un embouteillage monstre a eu lieu à Beyrouth le 17 octobre, après l'évacuation de plusieurs établissements du centre-ville, à la suite d'avertissements israéliens qui se sont révélés être des fake news. ©Ici Beyrouth - Yara Germany

     

Les infox (fake news), fausses nouvelles, fausses informations et informations fallacieuses sont devenues légion ces derniers jours, et surtout ces dernières heures, dans un Liban en proie à une guerre qui sévit depuis plus d’un an déjà entre le Hezbollah et Israël.

Ces infox sont dangereuses pour plusieurs raisons, principalement parce que leur diffusion alimente la désinformation et sème la confusion. Rien qu’hier (jeudi), plus de cinq nouvelles mensongères (au minimum) ont été diffusées sur les réseaux sociaux et relayées en boucle par des citoyens alarmés qui ne savaient plus où donner de la tête, quoi ou qui croire.

En effet, pour ne citer que quelques exemples de canulars de très mauvais goût, plusieurs institutions, dont l’ambassade de Norvège et la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera, situées au centre-ville de Beyrouth, ont tour à tour reçu des appels téléphoniques et des alertes anonymes les exhortant à évacuer les lieux. Il en a été de même vers 11 heures jeudi matin au siège de la Cour des comptes, dans le quartier de Kantari, qui a aussi été momentanément évacué pour les mêmes raisons. D’autres institutions et organisations situées dans le quartier de Hamra ou autres régions du pays ont également reçu des menaces similaires.

En attendant que les autorités compétentes mènent leurs investigations et procèdent à un «fact-checking» (recoupement des informations) pour rassurer la population sur la fausseté de ces allégations – ce qui a été confirmé un peu plus tard –, le mal était déjà fait. La panique avait provoqué des embouteillages massifs, avec des gens fuyant précipitamment le coeur de la capitale.

Que dit le Code pénal sur les auteurs d’infox?

Alors que prévoit le code pénal libanais pour sanctionner l'auteur de la diffusion de fausses nouvelles visant à manipuler ou tromper l'opinion publique, en l'occurrence les citoyens libanais qui vivent dans la peur au ventre depuis des mois?

Interrogé par Ici Beyrouth, un avocat spécialiste en droit pénal, qui a requis l’anonymat, a précisé que la loi libanaise sanctionne cet acte de “propagande” ou de “désinformation” à travers deux articles spécifiques, applicables aux infractions commises en période de guerre.

“Quiconque, en temps de guerre ou de péril de guerre, entreprendra au Liban une propagande tendant à affaiblir le sentiment national ou à attiser les tensions ethniques ou confessionnelles, sera puni d’une détention à temps.”stipule l’article 295 du Code pénal libanais, indique-t-il.

Mais l’avocat pénaliste insiste pour dire que l’article le plus pertinent face à la désinformation actuelle est l’article 296. Il stipule: “Subira la même peine quiconque, dans les mêmes circonstances, colportera au Liban des nouvelles qu’il savait être fausses ou exagérées, susceptibles d’affecter le moral de la nation.” Et effectivement, il s’agit bien du moral de toute une nation, comme le stipule l’article susmentionné.

Alors que les citoyens, du nord au sud, du sud à l’est, de l’est à l’ouest et au cœur de Beyrouth sont angoissés et vivent dans l’incertitude la plus totale, attendant une résolution prochaine de la guerre qui les engloutit (sans qu’ils l’aient choisie) depuis des mois, il ne manquait plus que les infox pour les achever.

En effet, ces fausses nouvelles viennent saper davantage le moral d’une population déjà très vulnérable, fragilisée depuis cinq ans par des crises multiples: une crise financière qui perdure depuis 2019 avec une dévaluation de la livre libanaise de plus de 98%, un gouvernement fantoche et pris en otage – sans aucun contrôle sur la décision de guerre et encore moins sur celle de paix –, une vacance présidentielle depuis le 31 octobre 2022, et surtout l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, dont les stigmates sont encore vivaces avec des troubles de stress post-traumatique (PTSD, Post-Traumatic Stress Disorder) en conséquence de la double explosion. Cette tragédie a fait plus de 235 morts, 6 500 blessés et 300 000 déplacés, détruisant des pans entiers de la capitale.

Quid de la peine infligée ?

L’article 296 ajoute: “Si l'auteur estime que ces informations sont vraies, il encourra une peine de prison d'au moins trois mois.”

Le spécialiste en droit pénal explique également que, selon le type d’infraction commise, il faudrait “combiner les articles 295 et 296” avec l’article 317*, qui stipule notamment que “tout acte, tout écrit, tout discours dont le but ou l’effet est de provoquer des tensions confessionnelles ou ethniques et de susciter des conflits entre les communautés ou les différents éléments de la population sera passible d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de cent à huit cent mille livres libanaises (...). Le Tribunal pourra ordonner la publication du jugement”, conclut l’expert.

En tout cas, ce qui est certain, c’est que dans un pays anxiogène qui vit au rythme des bombes incessantes et des mauvaises nouvelles, les autorités compétentes doivent accomplir leur travail et sanctionner sévèrement ces infractions inhumaines.

Mais comment se faire entendre et porter plainte en temps de guerre, sachant que nous vivons dans un pays où la justice croule sous les dossiers non résolus ou relégués aux placards poussiéreux pour des raisons politiques ou clientélistes, ou encore qui manque cruellement de moyens? Cela est en tout cas un autre débat qui mériterait un nouvel article.

*Article 317 – Abrogé et remplacé par l’article 1e de la loi du 1/12/1954; et le montant de l’amende a été modifié par l’article 19 de la loi n° 239 du 27/5/1993.
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