«J’ai vécu la guerre de 2006. Je peux dire que celle-ci est bien pire. Nous sommes partis sans rien», soupire Rana, déplacée de Marjeyoun.
Le 23 septembre, la situation au Liban-Sud, qui vivait depuis le 8 octobre 2023 au rythme des échanges de tirs d’artillerie entre Israël et le Hezbollah, a pris un tournant inédit avec l’escalade annoncée par Tel Aviv.
Un appel téléphonique israélien a provoqué une onde de choc à Marjeyoun et dans les villages avoisinants (Ebel Saqi, Khiam, Kfarchouba, Chebaa), poussant de nombreux habitants à quitter leurs foyers à la hâte, sans rien emporter. Ils venaient d’être sommés de quitter leurs villages en prévision de l’offensive qui devait être lancée trois jours plus tard. La sommation a entraîné un déplacement massif vers le village de Hasbaya, chef-lieu du caza du même nom.
Cette localité voisine, située à quelques kilomètres du caza de Marjeyoun, a accueilli en quelques jours des milliers de déplacés, qui partagent tous le même espoir: rentrer chez eux au plus vite.
«Nous souhaitons tellement que la guerre s’arrête pour retrouver nos maisons», lâche Albert, un habitant de Marjeyoun. Son épouse, Simona, a vécu les pires heures de sa vie: «Je me suis terrée dans ma maison quand mon mari a reçu un appel téléphonique d’un individu qui nous a demandé de nous éloigner des caches d’armes ou des sites de lancement de roquettes du Hezbollah. On ne savait pas quoi faire, puis nous sommes partis sans rien prendre avec nous», raconte-t-elle, les larmes aux yeux.
Lama n’a qu’un désir: «Trouver un logement en dur pour se sentir un minimum à l’abri.» Avec sa famille, elle est actuellement installée dans une tente aménagée dans le jardin d’une vieille demeure du village. Alors que les drones de surveillance israéliens grésillent dans le ciel, cette femme de 30 ans se souvient de la nuit passée avec son mari et ses deux enfants dans leur voiture, garée sur la place du Sérail à Hasbaya: «Nous entendions les explosions, à Khiam et dans la plaine de Marjeyoun. Les enfants étaient effrayés. Puis il y a eu la pluie. Que va-t-on faire si la saison des pluies commence? C’est une vraie souffrance», se lamente-t-elle.
Sous le préau de l’école publique rapidement transformée en centre d’accueil, Abou Jawad, le visage creusé par les rides, tente difficilement de se remettre de ses émotions, assis sur un banc. Il raconte son aventure à des familles fraîchement arrivées. Ils partagent leurs histoires. Presque tous ont vécu le même enfer. Démunis, ces femmes, hommes et vieillards s’accrochent au même espoir: que tout s’arrête.
Dans une des salles de classe, une femme nettoie le sol poussiéreux. Dans une autre, des hommes sont assis sur de vieilles chaises près des fenêtres donnant sur la cour. Ailleurs, des enfants chahutent, jouant près de leurs mères.
Dans une petite salle défraîchie du lycée public de Hasbaya, Youssef, un fermier de Sarada, un village situé à quelques kilomètres de la frontière, fait défiler des photos sur son téléphone portable. Ce sont des souvenirs de jours heureux en famille, en compagnie de son chien et de ses animaux. Sur les photos suivantes, tous les animaux sont morts. «Un bombardement a endommagé notre maison et tué nos animaux. La ferme et les terrains agricoles ont aussi été touchés. Il me faudra au moins dix ans pour retrouver ma production d’avant-guerre», lâche-t-il en allumant sa cinquième cigarette.
Des défis en série
L’afflux soudain d’un grand nombre de déplacés a mis à rude épreuve les infrastructures locales de ce grand village. Les demeures ou locaux mis à leur disposition n’offrent pas toujours les conditions nécessaires pour une vie décente. Arrivés avec peu de biens et souvent des traumatismes profonds, les déplacés vivent dans des conditions précaires.
Beaucoup ont loué des maisons à l’espace réduit, alors que leurs ressources financières sont souvent insuffisantes. Les loyers, bien que raisonnables, représentent tout de même un fardeau pour des familles dont nombre d'entre elles ont perdu leurs sources de revenus.
D’autres, faute de moyens, se sont installés dans les écoles. Les classes sont encombrées et l’intimité est difficile à préserver. Les conditions d’hygiène et de confort laissent souvent à désirer, exacerbant le stress et l’anxiété des déplacés. L’électricité est capricieuse et l’accès à l’eau potable est très limité. «Nous faisons la queue pendant des heures pour remplir nos bidons, et à la longue, cela risque d’entraîner de graves problèmes de santé», s’inquiète Fatima, mère de famille. Rami, un adolescent, ajoute: «Souvent, nous n’avons pas d’eau pour nous laver les mains. Cela nous inquiète, surtout avec le nombre de maladies qui circulent.»
Dans ces espaces surpeuplés, où la promiscuité complique davantage une situation déjà difficile, des familles nombreuses doivent partager des installations sanitaires, souvent insuffisantes. Des associations locales tentent de leur offrir un soutien, mais «les besoins dépassent largement les ressources disponibles», affirme Cheikh Sami, membre d’une ONG à Hasbaya.
La municipalité de Hasbaya joue un rôle crucial dans la gestion de la crise. Elle a mis en place plusieurs initiatives pour soutenir les familles en détresse. «On compte près de 20.000 enregistrements de déplacés», explique Labib Hamra, président du conseil municipal.
Près de son bureau, où s’entassent téléphones, ordinateurs et dossiers, une dizaine de volontaires reçoivent des déplacés, les enregistrent, avant de leur attribuer un numéro qui leur permettra de retirer une aide alimentaire.
La municipalité a mobilisé des ressources pour fournir une aide d’urgence, notamment des denrées alimentaires, des vêtements et des produits de première nécessité. Des distributions régulières sont organisées pour répondre aux besoins fondamentaux des déplacés. «Nous faisons de notre mieux pour leur apporter un peu de réconfort. Chaque sourire qui éclaire un visage est un signe de notre réussite», affirme M. Hamra, qui souligne l’importance «d’efforts soutenus et parallèles pour faire face à cette crise humanitaire et créer un environnement où chacun peut vivre dignement».
Initiatives citoyennes
La société civile s’est également mobilisée. Les sœurs du couvent de Saydnaya ont mis en place une série d’initiatives pour répondre aux besoins des personnes affectées par le conflit, notamment l’installation de maisons préfabriquées offrant un abri temporaire et décent.
Grâce à des dons généreux et à des partenariats avec des organisations, ce couvent a réussi à accueillir plusieurs familles déplacées. «Chaque jour, nous accueillons de nouvelles familles. Notre mission est de les entourer avec chaleur et compassion. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour leur redonner espoir», affirme la supérieure du couvent, Mère Fabronia Nabhan.
La municipalité collabore également avec des associations telles que la Croix-Rouge libanaise et SHIELD (UNHCR) pour développer des actions de soutien.
Cependant, les ONG sont elles aussi submergées, les besoins dépassant largement les ressources disponibles, tandis que l’accès à l’eau potable et les défis économiques restent au cœur des préoccupations. «Nous avons besoin de plus de fonds et de matériels pour répondre à la demande croissante. Les besoins sont énormes», lance une bénévole.
Des initiatives individuelles ont également vu le jour, portées par des enseignants locaux ou des habitants du village. Des activités parascolaires et des groupes de soutien ont été créés pour faciliter l’intégration des enfants déplacés. «Notre équipe travaille sans relâche pour fournir un soutien psychologique aux enfants. Nous essayons de créer un environnement sûr et accueillant. Il y a encore beaucoup à faire», commente Rania, une bénévole membre d’une ONG locale.
Certains habitants de Hasbaya ont accueilli des familles chez eux. Une femme du village a même commencé à organiser des cours de soutien pour les enfants déplacés: «Ces petits ont besoin de chaleur humaine et d’un peu de normalité dans leur vie», relève-t-elle, en précisant que ce qu’elle fait est «un minimum».
Certaines ONG nouvellement formées à la suite de la crise humanitaire sont cependant critiquées pour leur approche, notamment lorsqu’elles se contentent de recenser les personnes déplacées, collectant leurs données sans fournir l’aide nécessaire, ce qui soulève des questions et crée un sentiment de frustration parmi les déplacés.
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