Le Liban fait face à une recrudescence des cas d'intoxication alimentaire, révélant les effets préoccupants des crises socio-économiques sur la sécurité alimentaire, aggravés par la guerre et les problèmes d'hygiène qui en résultent.
Ces dernières semaines, le Liban a enregistré une hausse sensible des cas d'intoxication alimentaire, un phénomène qui ne peut être isolé des conditions socio-économiques qui accablent le pays. Le contexte de guerre, à lui seul, en accroît les risques, comme nous l’expliquerons par la suite. D'autres facteurs, cependant, entrent également en jeu. En premier lieu, le manque, voire la pénurie chronique d'électricité, compromet gravement la chaîne de froid, indispensable à la conservation adéquate de certaines denrées alimentaires. De plus, les coupures d'eau et l'accès limité à une eau potable fiable, dans certaines régions, intensifient les risques de contamination. Une étude menée dans le cadre des interventions d'urgence de l'Organisation des Nations unies (ONU) en 2021 a révélé que 9,2% des Libanais peinent à accéder à l'eau potable et 16,6% à l'eau domestique, avec des disparités notables selon les régions. Il est fort probable que ces pourcentages aient considérablement augmenté aujourd'hui, exacerbés par l'aggravation des crises socio-économiques et infrastructurelles dans le pays. De surcroît, le manque de contrôle sanitaire, tant dans les zones les plus touchées par le conflit que dans celles qui accueillent les déplacés, expose la population à des risques sanitaires majeurs.
Chaîne alimentaire
L’augmentation des cas d’intoxications alimentaires au Liban résulte des différents dysfonctionnements au niveau de la chaîne alimentaire, allant de la préparation au transport en passant par le stockage des denrées. Certains établissements de restauration et sociétés de livraison à domicile ne respectent pas systématiquement les normes de sécurité sanitaire, ce qui se traduit naturellement par une aggravation des risques de contamination. Les viandes, les poissons, les fruits de mer, les produits laitiers et certains légumes crus peuvent favoriser la prolifération de bactéries telles que la salmonelle, l’Escherichia coli et la Listeria lorsque ces aliments sont exposés à des températures inadéquates ou lorsque leur manipulation, stockage ou transport ne sont pas conformes aux normes d'hygiène. Le manque de sensibilisation aux bonnes pratiques sanitaires et l'absence de traçabilité précise tout au long de la chaîne alimentaire complique davantage la prévention de ces contaminations.
En Europe, la conservation, la vente et le transport de denrées dites périssables sont encadrés par la loi afin de garantir la santé publique. Au Liban, la capacité à maintenir une température constante lors des livraisons à domicile de produits réfrigérés et congelés suscite des interrogations. La plupart des sociétés proposant ce service ne disposent pas de véhicules équipés de réfrigérateurs, bien que les trajets puissent durer plusieurs dizaines de minutes, voire plus. Cela entraîne des fluctuations potentiellement importantes de la température de ces produits, qui ne devraient pourtant pas varier de plus de 2 à 3 degrés Celsius sur une durée maximale de 30 minutes. “Il est essentiel de maintenir la chaîne du froid pour assurer une conservation optimale des aliments et prévenir les intoxications alimentaires. Il est tout aussi crucial de respecter les dates de péremption. En période de guerre, certains pourraient tirer parti de la diminution des contrôles pour adopter des pratiques négligentes, voire écouler des stocks périmés”, avertit le Dr Eid Azar, chef du service d'infectiologie à l'Hôpital Saint-Georges de Beyrouth.
Sous-estimation des risques
Les intoxications alimentaires trouvent, en outre, leurs racines dans les foyers. Le non-respect des consignes de conservation et de cuisson, l'usage de produits périmés en ces temps de crise économique et l'ignorance des risques liés à certains aliments crus – très souvent mal conservés à cause de la grave crise d'électricité – contribuent à l'augmentation des cas. Certains consommateurs sous-estiment, de plus, les risques liés à une mauvaise gestion de certains produits crus ou même cuits. “L'ingestion de nourritures contaminées par des toxines bactériennes (des substances toxiques synthétisées par certaines bactéries, ndlr) peut entraîner des intoxications sévères. Les symptômes associés à ces dernières varient en fonction de la nature des toxines, allant des nausées et des vomissements à des diarrhées sévères et des déshydratations”, explique le médecin, soulignant que ces cas se distinguent des gastroentérites – principalement causées par des entérovirus et rotavirus – généralement observées durant l'été. D'autre part, l'augmentation de la consommation d'aliments prêts à consommer et de plats à emporter contribue aussi à l'exposition à des plats manipulés dans des conditions parfois insalubres. L'absence de contrôle strict sur ces préparations, combinée à une forte demande, favorise l'apparition de foyers d'intoxication.
Cuisines collectives
La guerre au Liban a également contribué à la dégradation des conditions de sécurité alimentaire. Les efforts louables de cuisines collectives, destinés à soutenir les populations déplacées, ont parfois été entachés par des méthodes inappropriées de préparation et de distribution des repas, entraînant des intoxications collectives. À titre d’exemple, le 5 octobre, plus de 100 personnes déplacées, hébergées à l'école Darb el-Tebbané, à Tripoli, ont été victimes d'intoxication alimentaire après l'ingestion de repas distribués par des associations, comprenant des légumes, du riz et de la viande. Le même jour, des dizaines d'autres cas d'intoxication ont été signalés dans une école située dans le quartier de Kobbé, à l'est de la ville. D’une façon générale, la guerre crée des conditions favorables à la propagation des agents infectieux en raison des déplacements de population massifs, de la promiscuité et du manque d'accès à l'hygiène de base.
Quelle que soit la cause de l’intoxication, il est impératif d'éviter l'automédication, en particulier l'usage d'antibiotiques, sans consultation préalable d'un professionnel de santé, afin de prévenir l'émergence de résistances bactériennes, vouées à devenir, selon des études, la première cause de mortalité mondiale d'ici à 2050.
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