Témoignages de journalistes en temps de guerre

J’écris ces lignes alors que le Liban endure de terribles épreuves: plus de 2.000 vies perdues, des destructions terribles et des centaines de milliers de personnes qui ont fui vers l’inconnu.

Malgré le danger omniprésent, les journalistes continuent de couvrir la guerre au Liban, leur courage défiant toute description. Jour et nuit, ils se relaient sur le terrain, pour rapporter ce qui se passe ici et là, capturer les images et faire entendre les voix étouffées.

Ce texte rend hommage aux journalistes dont la mission et l’engagement demeurent inébranlables, même face au danger.

“Lorsque les événements se déroulent devant vos yeux, la souffrance est décuplée”

“Tout nous affecte lors des reportages en direct”, confie Bassam Abou Zeid, journaliste à la LBCI, à Ici Beyrouth. “Vous assistez aux événements en temps réel, vous êtes plongés au cœur de l’horreur, tout en devant informer. La souffrance est décuplée.”

Pour Bassam Abou Zeid, le défi majeur auquel les journalistes libanais sont confrontés aujourd’hui, sur le terrain comme en studio, réside dans le choix des mots. En effet, utiliser certains termes peut les exposer à “des accusations de trahison ou de collaboration avec l’ennemi”. Il rappelle également l’importance de tenir compte des émotions des personnes sur le terrain, qui peuvent parfois prendre les journalistes à partie, les percevant comme des espions. “Personne ne protège ou ne défend les journalistes dans ces circonstances”, ajoute-t-il. “Ceux qui se retrouvent dans de telles situations doivent se débrouiller tout seuls.”

Il exprime une profonde tristesse face à la destruction du Liban et à la mort de ses habitants, alors que les dirigeants politiques se contentent de paroles creuses et de promesses non tenues. “On ressent un déchirement intérieur et on se demande: ‘Pourquoi sommes-nous encore au Liban? Nous devrions partir.’ C’est un sentiment qui me taraude souvent en ce moment. Il n’y a aucun avenir, aucun gouvernement responsable, aucun leader compétent pour agir comme il le faudrait”, souligne-t-il.

M. Abou Zeid souligne également que, même si les Libanais peuvent désormais partager des vidéos, des images et des enregistrements audio via les réseaux sociaux, la vérification de leur authenticité demeure cruciale. Et d’ajouter: “En 2006, couvrir la guerre était bien plus difficile, mais aujourd’hui c’est différent grâce à une vérification plus rigoureuse. Les gens publient tout ce qu’ils voient: corps, victimes, sang et débris.”

Défi dans la transmission d’informations sensibles

Sobhi Kablawi, reporter principal de la chaîne MTV, évoque le défi que pose l’impartialité lors de la diffusion d’informations, surtout sur une chaîne de grande audience où il faut se démarquer.

Un autre défi consiste à faire face aux fausses informations et aux personnes se faisant passer pour des journalistes. “La difficulté réside dans la rapidité de l’information, mais l’enjeu majeur reste d’allier vitesse et crédibilité”, dit-il.

M. Kablawi rapporte également les risques encourus par les journalistes sur le terrain, qui peuvent être pris pour cible par les Israéliens, tout en devant jongler avec la diversité des opinions au sein du pays. Il relate deux incidents marquants dans la couverture de cette guerre.

Le premier remonte aux premiers jours du conflit, après l’assassinat de hauts commandants de l’unité Radwan du Hezbollah: “J’ai probablement été le premier à recevoir l’information au Liban, et j’ai demandé à la direction si je devais la diffuser. Ils m’ont conseillé de ne pas le faire, car nous évitons d’annoncer les décès de manière précipitée. Peu après, un enregistrement vocal du fils d’un des commandants, ignorant la mort de son père, a circulé dans un groupe de discussion. Cela m’a profondément touché, surtout que la nouvelle circulait déjà sur WhatsApp sans qu’il le sache”, se remémore-t-il.

Le second incident a eu lieu lors de l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. “Lorsque la nouvelle est tombée alors que j’étais en direct, je ne pouvais pas dire son nom en raison de son importance dans la région. J’ai alors relaté le fait en évoquant une ‘figure très importante au sein du Hezbollah’”, ajoute-t-il.

M. Kablawi explique que la couverture médiatique a indéniablement évolué à notre époque, avec ses avantages et ses inconvénients. D’un côté, les nouvelles arrivent instantanément, souvent accompagnées d’images en temps réel. Mais en contrepartie, la prolifération de fausses informations, notamment via WhatsApp, est devenue un véritable défi pour la profession.

“Les gens en sont venus à détester la caméra”

Hussein Beydoun, photojournaliste pour Al-Araby al-Jadeed, raconte: “Autrefois, les gens nous demandaient de venir documenter ce qui se passait pour montrer la vérité au monde.” En revanche, aujourd'hui, avec l’essor des technologiques et des réseaux sociaux, les gens en sont venus à détester la caméra. “C’est l’un des défis les plus difficiles à surmonter. Sur le terrain, les gens nous agressent, nous accusant d’espionnage, comme si nous étions ceux qui fournissaient les données”, explique-t-il.

Les photographes doivent également faire face à de nombreuses restrictions. “Aujourd'hui, nous n'avons plus le droit de nous rendre sur les sites bombardés. L'accès nous est interdit, nous devons obtenir des autorisations pour finalement ne filmer que le lendemain, au terme de longues attentes”, raconte-t-il.

Il décrit un contexte bien différent de celui de la guerre de juillet 2006. “Même les photographes qui ont couvert la guerre civile estiment que ce conflit est l’un des plus difficiles, car sur le terrain, les menaces et les agressions sont constantes”, poursuit-il.

M. Beydoun se souvient particulièrement de l’épreuve que représentait le fait de filmer Beyrouth sous les bombardements pendant huit heures consécutives. “Je capturais les frappes nocturnes dans la banlieue sud de Beyrouth depuis une hauteur, peu de temps après l’assassinat de Hassan Nasrallah. Voir Beyrouth se faire bombarder et les déplacés, déjà appauvris par la crise financière de 2019, contraints de fuir, était profondément douloureux. Le traitement discriminatoire des déplacés, révélant l’inhumanité de la situation, rendait tout cela encore plus insoutenable”, souligne-t-il avec émotion.

“L’absurdité de la guerre”

Pour Tilda Abou Rizk, notre collègue et rédactrice en chef, le plus grand défi reste la sécurité des journalistes. “Les reporters se retrouvent souvent en première ligne. En temps de guerre, il faut redoubler de vigilance, avec des réflexes et des instincts journalistiques constamment en alerte. Pour protéger les reporters, la direction opte pour la couverture à distance, se concentrant sur les répercussions des événements militaires”, explique-t-elle.

Elle aussi reconnaît que les réseaux sociaux ont bouleversé la donne, les images et les informations circulant en temps réel. Cependant, le défi crucial reste de pouvoir discerner la vérité et de ne pas tomber dans le piège de la manipulation ou de la contre-vérité. Les réseaux sociaux sont de ce fait une arme à double tranchant, ces plateformes étant à la fois un outil puissant de témoignage et une source potentielle de désinformation.

“Au début de l’offensive israélienne, à la suite d’un raid sur la banlieue sud de Beyrouth, la mort tragique de nombreux civils, dont une fillette de cinq ans, Naya Ghazi, m’a profondément bouleversée”, raconte Mme Abou Rizk. “Une vidéo d’elle chez le coiffeur, riant de tout cœur, est devenue virale. Elle est pour moi l’incarnation même de la joie de vivre et de l’amour que les Libanais ont pour la vie. Si je devais représenter le Liban, ce serait à travers cette fillette, emportée par une guerre avec laquelle elle n’avait rien à voir. Sa mort symbolise l'absurdité de cette guerre dans laquelle on a été entraîné”, ajoute-t-elle.

Ces morts inutiles, on ne les oublie jamais, à cause de la colère et de la frustration qu’elles entraînent. Mme Abou Rizk évoque le massacre de Cana en 1996, qui l’avait profondément marquée alors qu’elle couvrait les funérailles. Elle décrit l’événement au cours duquel plus de 100 cercueils blancs renfermant les corps de civils, des femmes et des enfants, étaient portés à bout de bras, dans une ambiance de déchirement palpable. Rédiger sur cet événement nécessitait une objectivité difficile à préserver, tellement l’émotion était forte. “Cet épisode témoigne de la cruauté et de l’absurdité de la guerre, où des vies d’innocents sont anéanties en une fraction de seconde, sans raison”, conclut-elle.

 

 

Commentaires
  • Aucun commentaire