D’aucuns se demandent si nous nous acheminons vers une fin quelconque des conflits ouverts. Les derniers déchaînements de violence avec leurs dérives nihilistes, leurs délires idéologiques et leur degré d’instrumentalisation sont de très mauvais augure, vu que les verrouillages institués de toutes parts sont loin de favoriser des trains de normalisation dans une région qui ne produit que des conflits. Bizarrement, elle n’a d’autre expression de soi que dans les conflits qu’elle génère de manière continue.
L’ennui dans ce fouillis est que les idéologies du woke retrouvent, comme par hasard, leur inspiration, leurs emblèmes et leurs leviers d’action. Rien d’inédit, la gauche nihiliste n’aurait jamais existé si ce n’était à la faveur des ruines laissées par un monde qui s’est décomposé et qui n’a jamais pu s’extraire aux malédictions d’une modernité disloquée. Ce n’est pas un hasard que ces conflits n’aient jamais pu dépasser le seuil des luttes meurtrières de survie, des haines aux enveloppements religieux et des anathèmes idéologiques absolutisés.
La question palestinienne est devenue emblématique des impasses d’un monde arabe sans repères, où les acteurs du conflit sont constamment renvoyés à la violence primaire qui interdit toute parole, tout échange rationnel et toute recherche négociée de solutions. La répétition ennuyeuse des conflits nous renvoie à des automatismes conflictuels et à des répétitions de scènes primitives qui servent de substituts à toute réflexion politique ou éthique qui permet de faire la jonction entre des conflits meurtriers et la possibilité de leur dépassement. Le caractère foncièrement anti-judaïque de la grammaire arabo-islamique a entravé toute forme de discursivité entre les parties du conflit, alors que du côté israélien, la quête d’une solution négociée a été mise au rancart à la suite de la mort graduelle des accords de paix et des dynamiques qui les ont portés.
Les Palestiniens n’ont jamais pu se défaire de la damnation alternée des pouvoirs de tutelle, de la méconnaissance du fait juif et israélien comme réalité historique et politique, et du rejet de l’héritage de résolutions et d’accords internationaux qui auraient dû mettre fin à ces dynamiques conflictuelles destructrices. La défaite du Hamas et la reprise des négociations avec l’Autorité palestinienne restructurée devrait paver la voie à une sortie par effraction de cette fatalité induite par les blocages idéologiques et la politique annexionniste iranienne.
La déradicalisation en milieu israélien dépend largement de la reconduite des négociations sur la base de la reconnaissance mutuelle, des réaménagements géopolitiques, de la sanctuarisation géostratégique et de l’intégration économique attestée dans la réalité et scellée par les accords de Camp David et ses dérivés. Sinon, le recoupement des récits respectifs est non seulement source de réciprocité morale, mais il contribue à désidéologiser les enjeux de politique publique et à donner lieu à des approches empiriques et à la raison instrumentale. Vraisemblablement, les hostilités en cours depuis plus d’un an ne peuvent être résolues que moyennant de nouveaux rapports de force et une nouvelle dynamique de dissuasion qui viendrait à bout de la stratégie iranienne de subversion.
Le Liban retrouve son statut d’État-lige et de pays otage doublé des fragilités structurelles d’une société politique pluraliste et d’une démocratie libérale minée par des clivages idéologiques et des politiques de subversion et de prédation qui ont détruit la notion d’État de droit et ses prémisses intellectuelles et éthiques. La politique de subversion chiite reprend à son actif tout un héritage de politique de subversion qui a détruit la vie politique au Liban et rendu possible les politiques de domination. La destruction systématique de l’infrastructure opérationnelle du Hezbollah nous a permis de jauger la gravité du travail de sape qui a remis en cause la raison d’être du pays et la possibilité même de l’État national.
L’instrumentalisation de l’État libanais à des fins de subversion qui visaient l’intégrité territoriale et la sécurité nationale d’Israël ont fini par détruire des pans entiers de l’espace national libanais, par creuser les différends politiques dans un pays où les questions de légitimité nationale et de gouvernance n’ont jamais bénéficié d’un consensus national qui pouvait les immuniser contre la contestation islamiste et ses variantes. La guerre entre le Hezbollah et Israël s’est soldée, non seulement par les destructions monumentales, mais par voie de prétérition par l’effondrement même de la raison d’être du pays et de sa viabilité. En fin de guerre, ce pays ne dispose plus des titulatures qui lui permettent de se positionner sur l’échiquier diplomatique et de se faire traiter comme tel.
La stratégie militaire israélienne a fini par infléchir l’ordre des priorités politiques et par lancer une dynamique militaire et politique révolutionnaire qui a cassé les verrouillages hermétiques imposés par la politique impériale du régime islamique en Iran et par remettre en question les équilibres géopolitiques en vigueur et leurs doubles idéologiques et stratégiques. Bien au-delà des considérations de politique sécuritaire, la stratégie israélienne a réussi la double gageure de défaire les hypothèques stratégiques et de redonner aux dynamiques endogènes leur latitude opérationnelle. Nous avons affaire à un bouleversement stratégique majeur dont les effets finiront par changer la donne stratégique et libérer les choix politiques dans une région immobilisée par des conflits pérennes et des déficits institutionnels qui rendent improbables les scénarios de paix, la construction de l’État – et de l’État de droit en particulier.
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